Le 4 novembre, le gouvernement libéral a déposé son premier budget à la Chambre des communes. Le document de plus de 500 pages détaille le plan de Mark Carney pour soi-disant « bâtir un Canada fort » en cette période de profonde transformation politique et économique. Une lecture plus approfondie révèle plutôt un plan à courte vue, inadéquat et dangereux qui manque sa cible dans tous les domaines importants.

Peu après son élection, Mark Carney a annoncé que la grande majorité des ministères devraient réduire leurs dépenses de 15 % d’ici 2028-2029. Dans son budget, il trace la voie pour y parvenir : en abolissant quelque 40 000 emplois dans la fonction publique au cours des quatre prochaines années, et en réduisant les programmes et les paiements de transfert aux ministères. Ces compressions imposeront de nouvelles contraintes aux services publics essentiels.

Le budget ne prévoit aucune mesure ni aucun financement pour élargir des programmes comme l’assurance médicaments, le régime de soins dentaires ou les services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Il ne fait rien non plus pour corriger des lacunes évidentes en matière de financement et de politique dans les domaines de l’assurance-emploi, de la santé, des services éducatifs à la petite enfance et des soins de longue durée. De l’autre côté, il s’empresse de combler les demandes des lobbyistes du milieu des affaires. Le plan des libéraux en matière d’intelligence artificielle, de combustibles fossiles et de dépenses militaires profitera largement aux intérêts commerciaux des États-Unis. Mark Carney avait promis des changements transformateurs, mais son budget n’offre rien de plus que quelques remaniements et des demi-mesures.

Depuis sa campagne électorale, il rabâche son slogan : « Dépenser moins, investir plus. » Et son mot d’ordre se retrouve au cœur d’un nouveau processus budgétaire fédéral, le « Cadre de budgétisation des investissements en capital ». Ce nouveau cadre classe les dépenses publiques en deux catégories : les dépenses de fonctionnement et es investissements en capital.

Les dépenses de fonctionnement regroupent ce que la plupart des gens associent aux dépenses publiques : les transferts aux particuliers, le financement accordé aux provinces pour la santé et les programmes sociaux, ainsi que les coûts liés au fonctionnement du gouvernement et aux services publics, dont les salaires et avantages sociaux des fonctionnaires.

La deuxième catégorie, celle des investissements en capital, est un peu plus complexe. Au sens large, elle comprend toutes les dépenses ou initiatives gouvernementales destinées à accroître le capital national, c’est-à-dire les actifs tels que les routes, les ponts, les mines, les pipelines, la machinerie et les bâtiments, des usines aux hôpitaux : bref, tout investissement censé stimuler la croissance économique.

Dans le présent budget, sont aussi considérés comme des investissements en capital les allégements fiscaux qui visent à attirer les investissements privés, et d’autres mesures qui cherchent à rendre l’économie canadienne plus « compétitive », notamment en affaiblissant notre stratégie climatique ou en misant sur l’intelligence artificielle.

Ainsi, selon le nouveau cadre de budgétisation des investissements en capital, les subventions accordées aux PDG du secteur des énergies fossiles, aux promoteurs immobiliers et à d’autres propriétaires de grandes entreprises constituent des investissements qui bénéficieront à long terme à l’ensemble de la population. Cette théorie ne tient toutefois pas la route.

Dans les semaines précédant le dépôt du budget, Mark Carney a promis que son gouvernement « équilibrerait son budget de fonctionnement d’ici trois ans » — une priorité qui cache un coût important, tel que nous l’avions exposé dans l’édition d’automne 2025 de L’Économie au travail. Mark Carney prévoit donc « équilibrer le budget » en utilisant cette nouvelle approche en matière d’investissements en capital: réduire les dépenses de fonctionnement et augmenter les investissements en capital à coup de subventions aux milliardaires.

Le problème de ce plan, c’est qu’il sous-estime l’importance des dépenses de fonctionnement et surestime les retombées économiques des investissements en capital pour les travailleuses et travailleurs. En priorisant le développement des infrastructures et l’attraction d’investissements privés, le gouvernement réduit sa capacité à investir dans les travailleuses et travailleurs et la qualité des services publics. Par exemple, la nouvelle orientation budgétaire axée sur les investissements en capital pourrait permettre à une province de bâtir un nouvel hôpital en partenariat avec une société privée. Mais avec les coupes des dépenses de fonctionnement, elle pourrait ne pas disposer des fonds nécessaires pour doter l’hôpital en personnel.

Comme mentionné précédemment, le cadre de budgétisation proposé par les libéraux ne considère pas comme des investissements les fonds versés aux provinces par l’entremise du Transfert canadien en matière de santé et du Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que le budget de 2025 fasse la sourde oreille aux appels répétés pour soutenir le système de santé, les services sociaux et l’éducation en augmentant les paiements de transfert, qui ne suivent pas l’inflation ni la croissance démographique.

Finalement, ce qui frappe le plus dans le budget de Carney, c’est peut-être sa capacité à augmenter les dépenses publiques d’une manière qui déplait aux conservateurs, et ce, sans allouer de nouveaux fonds là où les familles en ont le plus besoin et tout en sabrant massivement les services publics.