Depuis le milieu des années 90, la réduction de la dette publique est au cœur de la politique canadienne, et ce, à tous les ordres de gouvernement. C’est pourquoi on entend souvent les politicien(ne)s parler « d’équilibre budgétaire » ou « de gestion responsable des finances ». C’est d’autant plus vrai en période électorale. Et les élections fédérales de 2025 n’ont pas fait exception. Le Parti conservateur, alors dans l’opposition, a accusé les libéraux de trop dépenser et d’accroître le déficit fédéral de manière irresponsable. Même quelques membres du caucus libéral, dont la vice-première ministre de l’époque Chrystia Freeland, ont reproché au premier ministre Justin Trudeau ses dépenses excessives. Après la démission de celui-ci, Mark Carney, qui souhaitait se dissocier de son prédécesseur, a fait campagne en promettant de réduire ou de « plafonner » les dépenses publiques.
Les discours alarmistes des partis politiques et des médias sur la dette publique trouvent souvent écho chez la population, car la majorité connait la réalité d’avoir des dettes. Le bon sens nous dit que contracter de lourdes dettes, sans stratégie pour les rembourser, n’a rien de judicieux. Pourtant, l’endettement total des Canadien(ne)s ne cesse d’augmenter depuis les dernières décennies. Les dettes constituent une source majeure de stress pour beaucoup et, malheureusement, un nombre croissant de ménages n’a d’autres choix que de s’endetter pour joindre les deux bouts. Alors que les personnes aux revenus les plus élevés ont accru considérablement leurs épargnes au cours des dernières années, les ménages aux revenus les plus faibles se sont enfoncés dans les dettes sans parvenir à épargner. Ce n’est toutefois pas ce genre de dette qui préoccupe les gouvernements et les politicien(ne)s.
Dans l’édition d’automne 2024 de L’économie au travail, un article déconstruisait certaines fausses idées sur la dette publique et son rapport au bien-être socioéconomique. Voici deux points principaux sur lesquels nous souhaitons revenir :
- L’emprunt public soutient souvent la croissance économique.
- Parmi les pays du G7, le Canada a l’un des plus faibles ratios de la dette publique par rapport au PIB, un signe que la croissance économique est soutenue par les dépenses publiques.
L’une des méthodes utilisées par les économistes pour mesurer les effets des dépenses publiques sur l’économie consiste à comparer le produit intérieur brut (PIB) d’un pays, soit la valeur totale des biens et services qui y sont produits, à sa dette nette, soit le total de la dette publique à laquelle on soustrait la valeur des actifs publics, comme les terrains, les bâtiments et le capital. C’est ce qu’on appelle le ratio de la dette nette au PIB.
Il n’existe pas de consensus sur le ratio idéal, aucun « chiffre magique » à atteindre. En général toutefois, si l’économie croît plus rapidement que la dette publique, c’est que les emprunts (la dette) soutiennent probablement la croissance économique.
Un autre indicateur important est le ratio de la dette des ménages par rapport au PIB, qui mesure la valeur de l’endettement des ménages canadiens par rapport à la taille de notre économie. Parmi les dix plus grandes économies dans le monde, c’est au Canada que ce ratio est le plus élevé. En effet, il est égal ou supérieur à 100 % depuis plus d’une décennie. Les hypothèques représentent environ 75 % des dettes des ménages; le reste comprend les cartes de crédit, les prêts automobiles et les autres formes de dettes personnelles ou pour petites entreprises. Au Canada, notre dette personnelle mensuelle croît plus rapidement que notre salaire net. Ce n’est pas surprenant que les écarts en matière de fortune et d’épargne se creusent entre les ménages aux revenus les plus élevés et les plus faibles.
Voici un autre point important : on ne peut pas mettre la dette publique et celle des ménages dans le même panier. Pour les gens ordinaires, l’endettement est un fardeau stressant. Mais pour les gouvernements, il est tout à fait normal d’afficher un déficit budgétaire dans ses opérations, même si les politicien(ne)s prétendent le contraire.
Il existe toutefois un lien entre ces deux types de dette, car les efforts visant à réduire la dette publique peuvent entraîner une hausse de la dette des ménages. Depuis plus de 30 ans, plutôt que de simplement réduire la dette publique, les gouvernements transfèrent de plus en plus de dépenses aux contribuables. C’est parce que les gouvernements fédéraux et provinciaux cherchent à réduire la dette publique principalement en sabrant les services, tout en réduisant parallèlement les impôts pour les entreprises et en éliminant d’autres mesures fiscales obligeant les entreprises et les riches à payer leur juste part.
Ce n’est pas parce qu’un gouvernement coupe des services que les gens n’en ont soudainement plus besoin. Les coûts de ces programmes sont refilés à la population, souvent aux personnes aux revenus les plus faibles et qui ont le plus besoin des programmes sociaux. Ce n’est pas une coïncidence si les inégalités de revenus atteignent des niveaux records, et si l’endettement des ménages à faibles revenus augmente de plus en plus. C’est ce qui se passe lorsque les gouvernements cherchent à tout prix à réduire leur dette. Il devient de plus en plus évident que cette stratégie doit changer. Le gouvernement doit investir les fonds publics pour créer une société plus égalitaire où les gens peuvent vivre dignement et confortablement.