Texte de Candace Rennick, le 4 décembre 2025.
Alors que le premier ministre Carney continue d’abandonner de nombreuses politiques de l’ère Trudeau, il insiste sur l’engagement de son gouvernement à protéger le système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Toutefois, les récents accords conclus avec l’Ontario et la Saskatchewan indiquent que le gouvernement pourrait faire marche arrière sur l’un des éléments les plus importants du système : le plafond des fonds publics destinés aux fournisseurs à but lucratif. Alors que les négociations se poursuivent, la ministre de l’Emploi et des Familles Patty Hadju ne doit pas céder au lobby exercé par le secteur à but lucratif.
Le 28 novembre dernier, la Saskatchewan annonçait avoir reconduit son accord sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants avec le gouvernement fédéral pour une période de cinq ans. Cette nouvelle est un soulagement pour les parents de la province qui paient le tiers de ce qu’ils payaient en 2021 pour ces services. Mais l’accord contient une disposition permettant aux exploitants commerciaux à but lucratif de recevoir des fonds publics pour offrir des services dans la province. Cette approche n’augure rien de bon pour les familles et les travailleuses et travailleurs.
Le mois dernier, l’Ontario annonçait avoir prolongé son accord pour une période d’un an seulement. À l’instar de la Saskatchewan, l’Ontario cherche à accroître le pourcentage des fonds fédéraux destinés aux fournisseurs privés : ainsi, en concluant une entente d’un an, la province gagne du temps pour avoir gain de cause. Selon l’accord actuellement en vigueur en Ontario, les fonds fédéraux doivent être majoritairement alloués à des fournisseurs des secteurs public et à but non lucratif : au moins 70 % des places accréditées pour les enfants de moins de six ans doivent être fournies par le secteur à but non lucratif.
Attribuer la majeure partie du financement aux fournisseurs publics et à but non lucratif visait à soutenir directement la prestation des services plutôt qu’à permettre aux exploitants commerciaux de dégager des marges bénéficiaires plus importantes. C’était également une façon de protéger la qualité des services, qui tend à être moindre dans les centres exploités à des fins lucratives comme les fournisseurs cherchent à augmenter leurs profits en réduisant les dépenses relatives au matériel, à la rémunération et à la programmation.
Bien que populaire, le programme d’apprentissage et de garde des jeunes enfants est loin d’être parfait. Les longues listes d’attente, l’accès inégal aux services et la pénurie de personnel qualifié demeurent des problèmes bien réels. L’Ontario et la Saskatchewan tentent de convaincre le fédéral que le secteur privé est la solution pour renverser cette situation.
Même si l’on met de côté les risques pour la qualité des services, ce n’est pas en augmentant les subventions accordées aux exploitants à but lucratif qu’on améliorera l’accès aux services. Les fournisseurs avides de profits s’implantent là où ils seront le plus rentables et non là où les besoins sont les plus criants. En supprimant le plafond imposé au secteur privé, les « déserts de services » se multiplieront et de trop nombreuses familles se retrouveront sans places pour leurs enfants. Les listes d’attente continueront de s’allonger dans les communautés où les besoins sont les plus grands.
Il existe de meilleurs moyens d’augmenter le nombre de places. Tout d’abord, il faut attirer et retenir plus de travailleuses et travailleurs dans le secteur. Aucune province ne dispose des effectifs suffisants en éducation à la petite enfance pour augmenter considérablement l’accès aux services. En octobre, le vérificateur général de l’Ontario rapportait que la province devrait recruter 10 000 éducatrices et éducateurs de la petite enfance supplémentaires d’ici 2026. Pour résoudre la crise de la main-d’œuvre dans le secteur, les gouvernements doivent augmenter les salaires et améliorer les avantages sociaux. Les accords conclus par la Saskatchewan et l’Ontario prévoient tous deux des fonds destinés à améliorer les salaires, mais c’est loin d’être suffisant. Ces travailleuses et travailleurs accomplissent un travail essentiel en prenant soin de nos enfants et en soutenant leurs apprentissages. Peu se sentent en mesure de choisir cette profession ou de continuer à la pratiquer en raison des faibles salaires et du manque d’avantages sociaux et d’accès à un régime de retraite. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent augmenter le financement afin d’offrir de véritables augmentations salariales, de meilleurs avantages sociaux et un régime de retraite à l’ensemble des travailleuses et travailleurs de ce secteur.
Deuxièmement, les gouvernements pourraient utiliser les infrastructures publiques existantes (écoles, hôpitaux, bâtiments municipaux, logements sociaux et universités) pour créer de nouvelles places. Cette solution est plus rapide que la construction de nouveaux centres et permet d’offrir des services à proximité des lieux de résidence et de travail des parents. Elle assure également l’intégration du système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants au sein du secteur public, où la qualité des services est meilleure et le roulement du personnel moins important.
Le gouvernement fédéral avait raison de prioriser les fournisseurs publics et à but non lucratif. Alors que les négociations se poursuivent en vue de conclure un accord à plus long terme en Ontario, de reconduire l’entente en Alberta et de définir les plans d’action dans les autres provinces et territoires, le gouvernement doit rester ferme et empêcher que les profits ne s’immiscent dans ce secteur essentiel. J’exhorte le gouvernement fédéral à augmenter le financement et à exiger des provinces qu’elles mettent en œuvre des solutions qui élargissent l’accès aux services, protègent les travailleuses et travailleurs et rendent les services plus abordables pour les familles.
