Un budget déséquilibré qui récompense les entreprises et laisse la population en plan
La vue d’ensemble : baisses d’impôt pour les riches; rien pour l’emploi ou les travailleurs
Le budget fédéral 2015 illustre à quel point les Conservateurs n’ont rien de neuf à offrir aux travailleurs et à la majorité de la population canadienne. Cette fois encore, il propose des baisses d’impôt pour les entreprises et les riches, mais rien de substantiel pour stimuler la création d’emplois décents ou aider les gens qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Pire, ce budget dérobe l’argent que ces travailleurs ont cotisé à l’assurance emploi, par l’entremise des surplus de la caisse d’AE, pour financer les réductions d’impôt accordées aux riches et à l’entreprise privée.
Les politiques économiques des Conservateurs et la réduction des dépenses que celui-ci impose à l’État détruisent des emplois, en plus d’étrangler les salaires, de ralentir la croissance économique et de compliquer la vie déjà difficile des parents qui travaillent.
Voici les grandes nouveautés de ce budget :
- L’impôt des petites entreprises sera réduit à 9 pour cent d’ici 2019, une mesure qui coûtera 2,7 milliards de dollars sur les quatre prochaines années, puis plus de 1,2 milliard de dollars par année après au-delà de 2019. Cette mesure ne profite pas qu’aux petites entreprises : les grandes sociétés de 10 millions de dollars ou moins en bénéficieront aussi.
- Une baisse d’impôt pour les manufacturiers, sous la forme d’un amortissement plus rapide de leurs immobilisations, d’une valeur de plus de 300 millions de dollars par année.
- Rehaussement du plafond annuel de cotisation à un compte d’épargne libre d’impôt (CÉLI) à 10 000 $, un congé fiscal pour les plus riches qui coûtera plusieurs millions de dollars, à ajouter au fractionnement des revenus annoncé précédemment. Ensemble, ces baisses d’impôt régressives priveront le fédéral de plus de 13,8 milliards de dollars en six ans.
- Hausse du budget consacré à la défense et à la sécurité, dont une enveloppe supplémentaire de 12 milliards de dollars au ministère de la Défense nationale (mais ce financement est concentré en fin de période).
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Financement additionnel pour le transport en commun, mais pas avant deux ans et à travers PPP Canada, ce qui obligera les municipalités à s’engager dans des partenariats public-privé (PPP) beaucoup plus dispendieux.
Il n’y a rien dans ce budget pour venir en aide aux travailleurs ou aux gens ordinaires, ni pour améliorer les services publics sur lesquels compte la population.
Il n’y a rien pour s’attaquer aux vraies priorités des travailleurs :
- rien pour la création de bons emplois, la réduction des inégalités ou la dynamisation de l’économie;
- rien pour améliorer la sécurité de la retraite ou les prestations de retraite publiques comme le RPC, ni pour améliorer l’assurance emploi;
- rien pour améliorer le système de santé public;
- rien pour accroître la disponibilité ou l’abordabilité des places en garderie;
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rien pour accroître l’équité fiscale ou réduire les inégalités fiscales.
Pour un gouvernement qui se targue de réduire les impôts, on ne trouve même pas, dans ce budget, de réductions d’impôt additionnelles pour les familles ordinaires.
Les réductions d’impôt que le gouvernement prétend offrir aux ménages proviennent en fait des budgets antérieurs, et la « famille typique » des Conservateurs en touchera une bien maigre portion. Pourtant, le gouvernement consacrera 7,5 millions de dollars, juste en mai, pour publiciser son budget et les messages conservateurs. Cette somme représente un dixième de tout le budget publicitaire du gouvernement en 2013-2014.
Les Canadiens tomberont-ils dans le panneau d’un gouvernement qui puise des millions dans les poches des contribuables pour les convaincre que son budget leur est profitable, alors qu’il se soucie uniquement des intérêts des riches et de l’entreprise privée? Tout se jouera aux prochaines élections.
La farce de l’équilibre budgétaire : prendre aux travailleurs pour offrir des baisses d’impôt aux riches
Les Conservateurs prétendent avoir équilibré le budget avec un surplus de 1,4 milliard de dollars, mais cet équilibre est factice. En fait, c’est une farce rendue possible sur papier en puisant 1,8 milliard de dollars dans la caisse d’assurance emploi, en retranchant pour 900 millions de dollars de congés de maladie dans la fonction publique fédérale, puis en vendant les parts de l’État dans GM pour 2,1 milliards de dollars.
Les surplus de la caisse d’assurance emploi devraient servir à assouplir les conditions d’admissibilité à l’assurance emploi. Ce sont les travailleurs fédéraux qui feront injustement les frais des 900 millions dérobés dans leurs congés de maladie. Quant aux parts de l’État dans GM, le fédéral aurait pu en tirer un milliard de dollars de plus s’il avait attendu encore un an, au lieu de les vendre au rabais à Goldman Sachs. Typique du ministre des Finances Joe Oliver, ex-banquier de Bay Street, nous avons ici un budget Robin des Bois inversé qui vole les travailleurs pour accorder des baisses d’impôt aux riches et à la grande entreprise.
De plus, la réserve pour éventualités diminue de beaucoup dans ce budget : au lieu des 3 milliards de dollars habituels, elle tombe à 1 milliard pour les trois prochaines années. Autrement dit, si jamais l’économie ne performe pas aussi bien que prévu (chose qui est arrivée trop souvent pendant le règne des Conservateurs), les généreuses baisses d’impôt promises aux riches et aux entreprises mettront l’équilibre budgétaire en péril.
Autre fait troublant, la loi sur l’équilibre budgétaire que compte déposer ce gouvernement obligera les prochains gouvernements fédéraux à geler les dépenses de fonctionnement à la suite d’une récession. C’est la stagnation assurée, alors que les chiffres du gouvernement démontrent que les dépenses et l’investissement publics créent beaucoup plus d’emplois et dynamisent beaucoup plus l’économie que des baisses d’impôt.
Les enjeux
Nombre des mesures incluses dans ce budget avaient fait l’objet de fuites, mais on y trouve aussi un paquet de petites mesures additionnelles qui ciblent des groupes spécifiques. Or, ces mesures sont relativement peu coûteuses et, dans certains cas, elles se limitent à renouveler le financement de programmes sur le point d’expirer. On y trouve de nombreuses petites augmentations du financement de secteurs bien précis, mais dans la plupart des cas ce financement ne commencera pas avant 2016-2017 ou 2017-2018, soit bien après les prochaines élections.
Les travailleurs, l’emploi et l’économie
Étonnamment, le budget contient bien peu de choses pour les travailleurs ou la création d’emploi. Les seules mesures à ce sujet sont les suivantes :
- le prolongement pour deux ans du projet-pilote Travail pendant une période de prestations de l’assurance-emploi;
- le congé de compassion pour prendre soin d’un proche gravement malade en vertu de l’assurance-emploi passe de six semaines à six mois;
- une très petite enveloppe consacrée à la formation et à l’harmonisation des régimes d’apprentissage;
- une enveloppe de 65 millions de dollars pour permettre aux associations d’affaires et sectorielles d’œuvrer avec les établissements postsecondaires à l’adaptation des programmes d’études aux besoins du marché de l’emploi;
- le renouvellement du financement des programmes relatifs au marché du travail autochtone;
- l’application du Code du travail du Canada aux internes de compétence fédérale;
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l’intention de réduire les cotisations d’assurance-emploi en 2017-2018, soit lorsque la caisse affichera un surplus.
Ce budget ne propose rien de substantiel pour la création d’emplois par le biais de dépenses dans les infrastructures ou d’améliorations aux services publics, comme le réclament le SCFP et le NPD, entre autres.
Les syndicats de la fonction publique fédérale ont dénoncé le fait que le gouvernement annonce par l’entremise du budget l’élimination des règles actuelles concernant les congés de maladie des fonctionnaires fédéraux, que cette mesure fasse l’objet ou non d’une entente négociée.
De plus, le gouvernement a refusé d’améliorer le système d’assurance-emploi (admissibilité, prestations, services), actuellement accessible à moins de 40 pour cent des chômeurs.
Le budget ne propose rien pour rehausser les salaires, par exemple en rétablissant le salaire minimum fédéral et en l’augmentant à 15 $ l’heure comme le propose le NPD, ni pour améliorer la sécurité sociale, et très peu pour diversifier l’économie.
Il n’y a rien de substantiel non plus pour améliorer la formation des travailleurs par le rétablissement des 500 millions de dollars retranchés aux programmes d’alphabétisation et d’acquisition de compétences de base par le truchement des Ententes sur le marché du travail (EMT). Le gouvernement a déplacé cet argent vers la Subvention canadienne pour l’emploi, un programme proentreprise controversé. Ce budget réitère aussi l’intention du gouvernement de renégocier les Ententes sur le développement du marché du travail avec les provinces (1,95 milliard de dollars) dans le but de les « réorienter vers les besoins du marché du travail », autrement dit pour rendre ce financement plus proentreprise.
La stratégie conservatrice – qui consiste à baisser les impôts et miser sur les ressources naturelles pour créer de bons emplois et stimuler la croissance tout en étranglant les salaires et en diminuant les services publics – est et demeurera un échec. Le taux de chômage s’est très peu amélioré depuis que les Conservateurs forment un gouvernement majoritaire. La qualité des emplois est à son plus bas en plus d’un quart de siècle et le salaire réel des travailleurs stagne, tandis que leur endettement ne cesse de croître. Pendant ce temps, la rémunération des PDG a augmenté de 40 pour cent depuis 2009 et les profits des sociétés ont grimpé de plus de 70 pour cent. Conséquence, les inégalités se creusent et nos perspectives économiques ne cessent de décroître : notre taux de croissance économique est maintenant considérablement inférieur à celui des États-Unis et notre taux de chômage, considérablement supérieur.
Ce budget, en poursuivant la réduction des dépenses publiques en vue d’accorder d’autres baisses d’impôt aux entreprises et aux riches, continue d’appliquer des politiques économiques vouées à l’échec et qui ne feront que creuser les inégalités, détruire des emplois et ralentir plus encore l’économie.
Sécurité de la retraite et prestations de retraite
En matière de sécurité de la retraite, les mesures de ce budget profiteront d’abord et avant tout aux riches, tandis que les autres changements envisagés, comme l’introduction de « régimes à prestations cibles », mettront à risque l’épargne-retraite des travailleurs. Les voici.
- Réduction du montant minimum que les aînés doivent retirer de leur FERR après l’âge de 71 ans.
- Augmentation du plafond annuel de cotisations à un CÉLI, qui passe à 10 000 $.
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Le gouvernement envisage de modifier la loi sur les régimes de retraite, pour permettre aux employeurs relevant de la compétence fédérale de créer des régimes de retraite à prestations cibles, et la loi de l’impôt sur le revenu, pour permettre aux gouvernements provinciaux de faire la même chose.
Si la modification aux règles du FERR vient en aide à quelques aînés (d’ailleurs, elle reçoit l’appui des associations d’aînés), la moitié des aînés n’ont pas de FERR ou de REER. Donc, cette mesure profitera seulement aux aînés mieux nantis, tout en réduisant les recettes fiscales de l’État.
La vraie crise dans les retraites, c’est que six travailleurs sur dix n’ont pas de régime de retraite au travail. Il vaudrait bien mieux bonifier le Régime de pensions du Canada (TPC) et le Supplément de revenu garanti (SRG) pour que tous les Canadiens puissent compter sur un revenu décent à la retraite. Le mouvement syndical propose, chiffres à l’appui, de doubler les prestations du RPC, une solution qui reçoit l’appui des provinces, des spécialistes, du NPD et de la population.
Le SCFP demande aussi au gouvernement d’abandonner son idée de rehausser à 67 ans l’âge de la retraite aux fins de la Sécurité de la vieillesse (SV) et du SRG. Ces coupes réduiront le revenu de retraite de la classe moyenne d’environ 13 000 $; près d’un quart de million de futurs aînés par année feront face à la pauvreté. Pendant ce temps, les Conservateurs accordent d’énormes baisses d’impôts aux riches par l’entremise des CÉLI. Le NPD s’est engagé à annuler cette mesure et à ramener l’âge de la retraite à 65 ans.
Le gouvernement conservateur a l’intention d’autoriser les employeurs de compétence fédérale à créer des régimes de retraite à prestations cibles, ce qui leur permettra d’éviter de verser les prestations qu’ils ont promises. Les travailleurs et tous ceux et celles concernés par cette mesure devraient s’y opposer vigoureusement.
Le budget annonce aussi l’intention des Conservateurs de modifier les règles des régimes de retraite pour leur permettre de détenir plus de 30 pour cent des parts d’une société. Cette mesure vise à faciliter la privatisation des investissements dans les infrastructures par le biais des PPP; elle pourrait accroître la volatilité des placements faits par les caisses de retraite.
Services de garde et éducation préscolaire
Le budget ne fait rien pour résorber la crise des services de garde. Il ne crée pas de places de qualité en garderie; il ne fait rien non plus pour rendre les services de garde abordables.
Au lieu de participer à la constitution d’un réseau public, abordable et universel de garderies, le budget continue d’appliquer une politique régressive de congés fiscaux et de bonification de la soi-disant Prestation universelle pour la garde d’enfants. Comme l’explique la spécialiste en la matière Martha Friendly, « avant l’introduction du fractionnement des revenus, je pensais que la PUGE était la pire politique sociale au pays. »
Les familles dépensent plus dans leurs services de garde que leur logement; jusqu’à 2 000 $ par mois. À ce montant, le crédit d’impôt que leur offrent les Conservateurs couvrira à peine un mois de garderie, et seulement pour une poignée de familles. Les autres ne toucheront rien.
Les revenus dont se prive l’État par ce congé fiscal accordé à quelques familles bien nanties auraient pu servir à aider tous les parents qui n’arrivent pas à trouver une place en garderie abordable.
La Baisse d’impôt pour les familles (le fractionnement des revenus) et la bonification de la Prestation universelle pour la garde d’enfants (dont les premiers chèques seront mis à la poste juste avant les élections) font l’objet d’une promotion intensive. Or, le fractionnement des revenus est une mesure terriblement régressive : 85 pour cent des ménages n’en profiteront pas et les personnes qui en tirent le maximum sont celles qui ont un revenu très élevé. Il s’agit aussi d’une politique socioéconomique épouvantable, qui, comme l’a souligné l’Institut CD Howe, pourtant très conservateur, va encourager les femmes à rester à la maison, creuser les inégalités, réduire la participation au marché du travail et ralentir l’économie.
Comme l’a également souligné le directeur parlementaire du budget, le fractionnement des revenus et la bonification de la PUGE totalisent annuellement près de 8 milliards de dollars, alors que plus de la moitié de cette somme va à des familles sans frais de garde. Et rien ne garantit qu’un seul dollar de cette somme servira à la création de places en garderie.
Cet argent serait beaucoup plus utile s’il servait à financer un vrai programme national de garderies et d’éducation préscolaire abordable et accessible, comme le propose le NPD. Un tel programme faciliterait la vie des familles, en plus de promouvoir l’égalité des femmes. Il s’autofinancerait par l’accroissement de la participation au marché du travail.
Santé
Il n’y a absolument rien dans ce budget pour s’attaquer aux difficultés des Canadiens avec les soins de santé, que ce soit pour raccourcir les listes d’attente, ouvrir des lits en soins de longue durée, améliorer le soutien à domicile et dans la communauté ou encore cheminer vers un régime national public d’assurance-médicaments.
Malgré la longueur des listes d’attente, le fait que cinq millions de Canadiens n’ont pas de médecin de famille et la hausse fulgurante du prix des médicaments, le budget fédéral 2015 confirme l’intention des Conservateurs de retrancher plus de 36 milliards de dollars dans la santé. On calcule que la part du fédéral dans la facture des soins de santé chutera de 20 pour cent à 12 pour cent. Au lieu d’investir dans la santé, le gouvernement préfère dépenser dans la guerre : le budget du ministère de la Défense gonflera de 12 milliards de dollars au cours des dix prochaines années.
Ce budget prévoit de petites enveloppes ciblées : pour les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme; pour la Commission de la santé mentale, pour l’innovation dans les soins de santé, ainsi que pour un crédit d’impôt pour l’accessibilité domiciliaire s’adressant aux aînés et aux handicapés. Or, ce sont de très petits montants, comparativement aux dizaines de milliards de dollars que les Conservateurs ont retranchés dans la santé.
Éducation postsecondaire
Les travailleurs scolaires et les étudiants demandent au fédéral d’augmenter le budget de l’éducation postsecondaire en redirigeant l’argent investi actuellement dans les REEE et les crédits d’impôt vers les prêts et bourses, dans le but de faire diminuer les frais de scolarité.
Voici les seules mesures que contient le budget pour l’éducation :
- 119 millions de dollars sur quatre ans, à compter de 2016-2017, pour réduire la contribution parentale dans le calcul des besoins des étudiants aux fins des prêts et bourses;
- 116 millions de dollars sur quatre ans, à compter de 2016-2017, pour éliminer le revenu en cours d’études du calcul des besoins des étudiants aux fins des prêts et bourses;
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184 millions de dollars sur quatre ans, à compter de 2016-2017, pour ouvrir les prêts et bourses aux étudiants inscrits à un programme de courte durée.
La Fédération canadienne des étudiantes et étudiants a critiqué ces mesures, parce que, selon elle, elles obligeront près de 200 000 étudiants à s’endetter davantage, tandis que les améliorations au programme de bourses n’aideront qu’environ 20 000 étudiants dans les collèges publics.
Le budget prévoit aussi une enveloppe annuelle additionnelle de 46 millions de dollars, à compter de 2016-2017, pour le CRSNG, le CRSH et les autres conseils subventionnaires, ainsi que 574 millions de dollars de plus sur trois ans à compter de 2017-2018 pour la Fondation canadienne pour l’innovation, somme consacrée aux immobilisations des universités et des instituts de recherche. Cela dit, une bonne partie de ces sommes additionnelles iront à la recherche axée sur les entreprises et l’industrie.
Financement des infrastructures et des municipalités
La grande annonce que réservait ce budget consiste en une enveloppe de 750 millions de dollars sur deux ans à compter de 2017-2018, suivie d’une somme de 1 milliard de dollars par année par la suite, consacrée à un nouveau Fonds pour le transport en commun. Voilà qui aurait été une bonne idée, si ce n’est, malheureusement, que ce fonds sera géré par PPP Canada Inc., l’agence fédérale de partenariats public-privé. Ainsi, les municipalités seront obligées de s’engager dans des PPP beaucoup plus dispendieux pour réaliser leurs projets de transport en commun; elles devront probablement privatiser le financement et l’exploitation de ces projets. Le coût des projets va exploser. Cette mesure est, en fait, un cadeau aux grandes sociétés privées et aux financiers, les seuls à profiter des PPP.
La seule autre mesure du budget concernant les infrastructures est un projet de fonds pour les infrastructures communautaires dans le cadre des célébrations du 150e anniversaire du Canada, mais aucune provision n’a été faite à ce jour. Les autres mesures dont fait état le budget étaient déjà connues; elles visent à accélérer le rythme du Fonds Chantiers Canada.
Comme nous l’avons déjà mentionné, le budget annonce aussi une révision des règles qui limitent à 30 pour cent la part que peut détenir une caisse de retraite dans une entreprise. Cette déréglementation vise à encourager plus avant la privatisation des investissements dans les infrastructures; elle risque d’accroître la volatilité des placements des caisses de retraite.
Les municipalités espéraient que le fédéral les aiderait à se conformer à la nouvelle réglementation fédérale sur les eaux usées; on parle ici de travaux totalisant jusqu’à 18 milliards de dollars d’ici dix ans. Or, non, ce budget ne prévoit pas d’argent pour améliorer la qualité de l’eau des Canadiens. Le fédéral a manqué une belle occasion de se faire le partenaire des municipalités dans un service de base auquel tous les Canadiens sont en droit de s’attendre.
Le budget est loin de remplir les attentes de la Fédération canadienne des municipalités. La FCM réclamait une enveloppe annuelle de 300 millions de dollars pour un fonds pour l’assainissement de l’eau qui aiderait les municipalités à se conformer à la nouvelle réglementation.
Le budget est aussi bien en deçà des mesures que réclamaient la FCM et les agences de logement social pour la création de logements à prix abordables. Le fédéral renouvelle son budget d’investissement de 1,7 milliard de dollars dans le logement social, sans l’augmenter.
Environnement
C’est sans surprise qu’on ne recense aucune mention des changements climatiques au fil des quelque 500 pages du budget, bien qu’on y lise le mot pétrole plus d’une centaine de fois.
Et au lieu de diminuer les subventions aux carburants fossiles, comme le recommandent fortement le Fonds monétaire international et le G20, ce budget les augmente en créant une nouvelle subvention fiscale pour les installations productrices de gaz naturel liquéfié (GNL). De plus, il prolonge le crédit d’impôt pour l’exploitation minière et il offre une subvention fiscale aux sociétés exploitantes de ressources qui doivent mener des évaluations environnementales pour faire approuver leurs projets (des sociétés comme les pipelines). Il accorde aussi plus d’argent aux agences responsables d’accélérer la délivrance des permis.
Le budget consacre très peu d’argent à des mesures environnementales positives. Outre le financement additionnel réservé à la décontamination des sites fédéraux, il n’y a qu’une enveloppe de 75 millions de dollars sur trois ans pour la mise en œuvre de la Loi sur les espèces en péril, 10 millions de dollars par année pour la pêche récréative et 2 millions de dollars pour la Fondation du saumon du Pacifique. Encore une fois, on est très loin de ce que réclamaient les organismes écologiques et de conservation.
Sous le règne des Conservateurs, de tous les ministères et les agences, ce sont Environnement Canada et Parcs Canada qui ont subi les compressions budgétaires les plus sauvages.
Autochtones
Ce budget laisse aussi en plan les peuples autochtones. Il renouvelle le financement des programmes déjà en place, à un niveau moindre dans la plupart des cas. Selon l’Assemblée des Premières Nations, ce budget est l’un des plus faibles qu’a présenté le gouvernement conservateur, ce qui n’est pas peu dire. Il maintient le statu quo… et encore.
Et il ne fait rien dans le dossier du millier de femmes et de filles autochtones assassinées ou portées disparues, un problème pour lequel les Conservateurs refusent de lever le petit doigt.
Défense et sécurité nationale
Le budget 2015 réserve près de 12 milliards de dollars sur dix ans, à compter de 2017-2018, pour le ministère de la Défense. Pour cette année, il consacre 360 millions de dollars à la mission des Forces armées canadiennes en Syrie et en Irak, 7 millions de dollars en assistance aux Forces de sécurité ukrainiennes et près de 500 millions de dollars de plus sur cinq ans pour diverses autres activités de sécurité et de contreterrorisme.
Ce gouvernement n’a aucun problème à trouver de l’argent pour la défense, la sécurité et la guerre, mais il ne cesse pas de couper dans le budget de la santé, de l’environnement, de la sécurité sociale et des services publics.
Entreprise privée, commerce et privatisation
Outre l’armée, l’entreprise privée est la grande gagnante de ce budget. En plus de la baisse du taux d’imposition des petites entreprises (qui profite, en fait, à toutes les entreprises dont les actifs ne dépassent pas 10 millions de dollars) et de l’accélération de l’amortissement des immobilisations, le budget contient un important financement direct additionnel pour les entreprises.
En plus du soutien spécifique aux secteurs gazier, pétrolier et minier dont nous avons déjà fait état, on remarque une enveloppe de 100 millions de dollars sur cinq ans pour le secteur automobile, 65 millions de dollars pour que les associations commerciales et sectorielles aident les établissements postsecondaires à adapter leurs programmes aux besoins des entreprises, la promesse de réduire les cotisations à l’assurance-emploi et du financement pour de vastes programmes d’appui à l’innovation proentreprise et la promotion du commerce.
Les Conservateurs ont signé un nombre record d’accords commerciaux, mais rien ne prouve que l’économie canadienne en a profité. Même l’OCDE reconnaît maintenant que les accords commerciaux ont poussé les salaires à la baisse et creuser les inégalités dans les pays industrialisés. Or, les Conservateurs ont d’autres accords dans leur manche, des accords qui risquent d’être encore plus intrusifs et antidémocratiques que l’Accord économique et commercial global (AÉCG), comme le Partenariat transpacifique (PTP). Ces accords portent bien plus sur les droits des sociétés privées que le « libre échange ». Ils menacent tout particulièrement la pérennité des services publics.
En outre, le budget met la privatisation à l’honneur, ce qui aidera les amis entrepreneurs des Conservateurs à profiter des services publics. Il confirme l’engagement du gouvernement dans le « financement social », mécanisme qui permet aux sociétés privées d’exploiter et de tirer profit des dépenses publiques dans les services sociaux. Et le financement additionnel consacré au transport en commun se fera exclusivement par le biais de PPP Canada; les projets seront donc plus coûteux et contrôlés par l’entreprise privée.
L’ironie n’était probablement pas volontaire, mais le budget affirme aussi que le gouvernement fédéral « prendra des mesures en présentant un nouveau régime d’intégrité en matière d’approvisionnement et de transactions immobilières à l’échelle du gouvernement, afin de veiller à ce qu’il fasse des affaires avec des fournisseurs éthiques au Canada et à l’étranger ». Or, le gouvernement vient d’accorder un PPP de plusieurs milliards de dollars pour la reconstruction du pont Champlain de Montréal à un consortium dont fait partie SNC-Lavalin, une société récemment accusée de fraude en lien avec un autre PPP de plusieurs milliards, celui du Centre universitaire de santé de l’Université McGill, et exclue des contrats de la Banque mondiale pour dix ans en raison de ses antécédents en matière de pots-de-vin, de corruption et de fraude. Depuis qu’il a été transformé en PPP, le projet du pont Champlain a déjà vu ses coûts doubler ou presque.
Le gouvernement conservateur fait aussi une promotion agressive de la privatisation outremer par le truchement de l’aide au développement. De plus en plus, il utilise cet argent, censé venir en aide aux pays en développement, pour subventionner l’entreprise privée, mousser la privatisation des services publics dans le tiers-monde et participer au « blanchiment » des activités des sociétés minières et autres sociétés canadiennes à l’étranger. Pour imposer ces idées, le budget 2015 consacre 300 millions de dollars de plus à l’Initiative de refonte du financement au développement.
Modifications fiscales
Pour un gouvernement qui parle constamment de baisser les impôts, ce qui surprend, dans ce budget, c’est l’absence de baisses d’impôt concrètes pour les personnes à faible revenu et la classe moyenne.
Du côté individuel, les seuls changements sont : le rehaussement du plafond annuel des cotisations à un CÉLI, qui passe à 10 000 $ et qui profitera d’abord et avant tout aux riches; la réduction du retrait minimum dans les FERR; un nouveau crédit d’impôt à l’accessibilité domiciliaire pour les aînés et les handicapés; et le rehaussement de l’exemption pour gains en capital pour les biens agricoles et de pêche, qui passe à 1 million de dollars.
Il n’y a rien du tout pour la grande majorité de la population. Non seulement le rehaussement du plafond des cotisations à un CÉLI profitera uniquement aux riches (comme plusieurs, dont le directeur parlementaire du budget, en ont fait la démonstration), mais la facture de ce congé fiscal grimpera en flèche, en plus de gruger les revenus provinciaux. Cette mesure coûtera 860 millions de dollars au fédéral en 2015; cette facture doublera d’ici quatre ans, puis, si le plafond est doublé et qu’on ne fait rien pour contrôler le programme, elle dépassera les 100 milliards de dollars en 2080.
Selon la campagne publicitaire conservatrice qui fait la promotion de ce budget et qui coûtera des millions de dollars au gouvernement, une famille typique de quatre personnes retirera 6 600 $ cette année des baisses d’impôt et des avantages qu’ont introduits les Conservateurs depuis 2006. C’est insensé. Leur famille typique comporte un homme, Henry, qui fait 84 000 $ par année, son épouse, Cathy, qui en fait 36 000 $ et deux jeunes enfants, ce qui fait qu’elle profite au maximum du fractionnement des revenus. On est loin de la famille typique, et même si elle l’était, elle économiserait deux fois plus si elle disposait d’un programme universel et public de garderies abordables comme celui que propose le NPD.
Toby Sanger, Économiste du SCFP