Pendant qu’ils travaillaient sans protection et vivaient de la détresse psychologique en craignant de contracter la COVID-19, les infirmières, les préposés aux services de soutien à la personne (PSSP), les concierges et les autres travailleurs de première ligne de la santé de l’Ontario se sont senti « sacrifiés » par les gouvernements. C’est ce que révèle une nouvelle étude évaluée par des pairs rendue publique aujourd’hui à London.
Comme l’a souligné le récent rapport de la vérificatrice générale, le gouvernement de l’Ontario n’a pas appliqué le « principe de précaution » pour protéger les travailleurs de la santé, une erreur déjà commise lors de l’épidémie de SRAS.
Entre le début de novembre et le 4 décembre, le nombre de travailleurs de la santé de l’Ontario infectés par la COVID-19 a augmenté de 1 929, soit de près de 25 pour cent.
James Brophy et Margaret Keith, deux chercheurs universitaires affiliés à l’Université de Windsor, ont dirigé cette enquête approfondie sur l’expérience des travailleurs de la santé dans les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée de l’Ontario. Les entrevues menées pour cette étude font ressortir « la conscience qu’avaient ces travailleurs de courir un risque accru d’infection en raison d’un manque de protection, ce qui a entraîné de la colère, de la frustration et un sentiment de violation qui peut avoir des répercussions à long terme », affirment les chercheurs.
Cette étude, intitulée Sacrificed : Ontario Healthcare Workers in the Time of COVID-19 (traduction libre : « Sacrifiés : les travailleurs ontariens de la santé à l’heure de la COVID-19 »), sort alors que certaines régions de la province vivent leur deuxième confinement et que toutes les instances de la santé publique ont reconnu récemment que le coronavirus peut se propager par la transmission de gouttelettes d’aérosol, et pas seulement par de simples gouttelettes, comme ces organismes l’avaient affirmé lors de la première vague.
La recherche explique l’incidence négative qu’ont eue les faiblesses systémiques du système de santé ontarien sur les infirmières, les PSSP, les préposés au nettoyage et les autres travailleurs de première ligne pendant la première vague de COVID-19. Selon le coauteur Michael Hurley, « les résultats de l’étude conduisent à des recommandations importantes : »
- augmenter les effectifs dans les hôpitaux et les soins de longue durée;
- enchâsser dans la loi une protection pour permettre au personnel de dénoncer leurs conditions de travail sans représailles;
- rebâtir de toute urgence un système de réglementation qui a laissé tomber les travailleurs de la santé;
- accorder l’accès aux équipements de protection dont le personnel a besoin pour être en sécurité;
- accroître le soutien de la direction et l’accès à des soutiens en santé mentale.
« Les infirmières, les PSSP et les concierges que nous avons interviewés longuement estiment qu’ils ont été sacrifiés par tous les paliers de gouvernement, ceux-ci ayant choisi de niveler la protection par le bas en raison de la pénurie de masques et d’autres équipements, explique James Brophy. Cela les a exposés à un plus grand risque d’infection. »
Les auteurs pointent les résultats nettement pires des établissements de soins de longue durée à but lucratif pendant la pandémie comme un indicateur des effets de la privatisation. Ils estiment que le gouvernement doit revoir ses priorités « à l’écart du but lucratif, en réfléchissant à la santé et au bien-être des citoyens ».
L’étude a été réalisée en collaboration avec le Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario du Syndicat canadien de la fonction publique (CSHO-SCFP), à partir d’entrevues approfondies avec dix travailleurs de la santé. Ces entrevues étaient complétées par un sondage CSHO-SCFP auprès de 3 000 membres au sujet de leurs préoccupations concernant la protection personnelle. Environ 91 pour cent des personnes interrogées ont déclaré avoir le sentiment que le gouvernement les avait abandonnées.
Margaret Keith souligne que la main-d’œuvre majoritairement féminine, qui est racisée de manière disproportionnée, évolue dans un environnement toxique affichant des niveaux alarmants de violence physique, de harcèlement sexuel et de violence verbale. Le problème est aggravé par une culture hiérarchique où la direction marginalise la voix des travailleurs et menace ceux-ci de représailles s’ils se plaignent.
« Résultat : beaucoup de ces travailleuses de la santé se sentent bafouées et soumises à des risques beaucoup plus élevés que nécessaire », dit-elle.
Les chercheurs préviennent qu’étant donné les liens intrinsèques entre les conditions de travail et les soins aux patients, le stress constant et l’épuisement professionnel chez les travailleurs de la santé devraient inquiéter l’ensemble de la population ontarienne.
« Prêtons tous attention aux appels des travailleurs de la santé en cette période terrible, ajoute Mme Keith. Non seulement leur bien-être est-il important, mais nous devons également comprendre que s’ils ne sont pas bien protégés, ils ne peuvent pas soigner correctement leurs patients et leurs résidents. »
Les auteurs affirment que bien que les travailleurs de première ligne aient été applaudis et qualifiés de « héros », les failles systémiques du système de santé les laissent sans soutien, vulnérables et sacrifiés.
Seize travailleurs de la santé de l’Ontario sont décédés.