Lors des élections de 2015, tout comme dans la lettre de mandat de la ministre de la Santé, le Parti Libéral a formulé de grandes promesses :
- assurer un financement à long terme pour les provinces et les territoires dans le cadre d’un nouvel Accord sur la santé pluriannuel ;
- favoriser la prestation de meilleurs services de soins à domicile, et en plus grand nombre, incluant un soutien financier pour les aidants naturels, les soins aux familles et les soins palliatifs ;
- élargir les services en santé mentale ;
- améliorer l’accès et réduire le coût des médicaments sur ordonnance grâce à l’achat en vrac.
Le budget 2017 contient très peu de choses en matière de santé. On ne peut pas attendre indéfiniment que les Libéraux fassent de réels progrès dans ce dossier. Voici notre analyse du volet santé du budget fédéral 2017-2018.
L’Accord sur la santé et le financement à long terme
Le gouvernement fédéral n’a pas réussi à négocier un nouvel Accord sur la santé. Il a plutôt négocié des ententes bilatérales avec chacune des provinces et chacun des territoires, sauf le Manitoba. Ces ententes fixent le montant du Transfert canadien en matière de santé (le plus gros transfert d’argent du fédéral vers les provinces et territoires) à 37,1 milliards de dollars en 2017-2018. Ce montant sera majoré d’au moins 3 pour cent par année ou à la moyenne mobile de la croissance du PIB nominal sur trois ans, si celle-ci est plus élevée. Dans le budget 2017, le gouvernement libéral parle d’un « financement croissant, prévisible et à long terme ». Remettons ces chiffres en contexte. L’Accord sur la santé de 2004-2014 négocié par le gouvernement Martin prévoyait une majoration annuelle des montants de 6 pour cent pendant dix ans. En 2011, les Conservateurs de Stephen Harper ont ramené cette majoration annuelle à un minimum de 3 pour cent à compter de l’expiration de l’Accord. Bien qu’on ait finalement maintenu le taux de majoration à 6 pour cent après 2014, jusqu’à la négociation d’un nouvel Accord sur la santé, le Budget 2017 revient à la même réduction qu’avait proposée le gouvernement Harper. Cette diminution du facteur de majoration est fort inquiétante.
Le directeur parlementaire du budget et le ministère des Finances, entre autres sources, ont calculé que, uniquement pour maintenir le niveau actuel des services publics de santé, il faudrait augmenter le financement de 5,2 pour cent par année. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, le vieillissement de la population fera grimper les coûts en soins de santé de 2 milliards de dollars par année. Le Transfert canadien en matière de santé (TCS) proposé par le gouvernement libéral ne suffira pas. On s’attend à ce que les provinces et les territoires aient des choix difficiles à faire à mesure que le financement fédéral se fera distancer par les besoins en santé : diminueront-elles les services de santé prodigués par l’État ou les maintiendront-elles au détriment d’autres services publics essentiels à la population ?
L’absence d’un Accord sur la santé cohérent à l’échelle nationale crée un autre gouffre : l’État fédéral ne dispose plus d’un mécanisme pour faire appliquer la Loi canadienne sur la santé. D’ailleurs, il n’a pas prévu d’argent à cette fin. Le TCS devait s’accompagner de conditions qui auraient permis au fédéral de retirer son soutien financier aux provinces et territoires qui enfreindraient les principes de la loi.
Notre système de santé est conçu pour servir tout le monde sur un pied d’égalité. Or, par le passé, le fédéral a négligé de faire appliquer la Loi canadienne sur la santé, ouvrant ainsi la porte à des infractions, comme la surfacturation par les médecins et les cliniques privées. En outre, pour l’instant rien n’oblige les provinces et territoires à consacrer le TCS à leurs soins de santé, puisque cet argent est versé directement dans le Trésor public de chaque province. Avec un nouvel Accord sur la santé, le fédéral aurait eu l’occasion de faire appliquer la Loi canadienne sur la santé et d’exiger des comptes pour tous les dollars-santé transférés. Ainsi, il aurait assuré l’équité, l’universalité et l’accessibilité du système à l’échelle du pays.
Soins à domicile et santé mentale
Tel que prévu par les ententes bilatérales, le budget inclut de l’argent neuf pour les soins à domicile et la santé mentale : 11 milliards de dollars en tout. Les 6 milliards de dollars sur dix ans consacrés aux soins de santé couvrent les soins à domicile et communautaires, les soins palliatifs et les aidants naturels comme le stipulait le mandat libéral. Contrairement au TCS, l’argent pour les soins à domicile et la santé mentale s’accompagnera d’un cadre de responsabilité qui comporte un plan détaillé sur l’utilisation des fonds, des indicateurs de rendement et la publication de rapports publics annuels.
L’engagement de 5 milliards de dollars sur dix ans dans les soins de santé et la santé mentale est le bienvenu, mais le fédéral n’exige pas que cet argent soit dépensé dans le système de santé public. L’argent devant servir à des programmes externes aux services publics actuels, on ne peut pas y voir un « complément » du TCS. Le SCFP craint que ces deniers publics soient dépensés dans les services à but lucratif.
Médicaments d’ordonnance
Le gouvernement, reconnaissant que le Canada est deuxième au monde au niveau du coût des médicaments par habitant, consacre 140 millions de dollars sur 5 ans à l’amélioration de l’accessibilité des médicaments d’ordonnance, à la réduction de leur prix et au soutien aux pratiques de prescription appropriées. Le budget donne peu de détails sur ce que tout cela signifie, mais en entrevue à la CBC, la ministre de la Santé Jane Philpott a expliqué qu’elle envisage quelques changements à la réglementation et qu’elle va collaborer avec des organismes sur des mécanismes d’évaluation des prix qui permettraient de réduire le coût des médicaments. Quand on lui a demandé pourquoi elle n’envisageait pas une assurance-médicaments universelle, elle a répondu qu’il serait « irresponsable » de demander aux Canadiens de financer les médicaments à leur coût élevé actuel et qu’il fallait d’abord modifier la réglementation. Ces changements, qui prennent du temps, vont repousser la création d’un éventuel régime public national d’assurance-médicaments bien au-delà des prochaines élections fédérales.
Le SCFP et les autres défenseurs des soins de santé soutiennent que les expériences comme celle de la Nouvelle-Zélande démontrent qu’un régime universel d’assurance-médicaments est essentiel pour faire baisser le coût des médicaments d’ordonnance. En fait, le Canada est le seul pays développé au monde dont le système de santé universel ne couvre pas les médicaments d’ordonnance. Le budget semble mettre la charrue devant les bœufs en proposant de s’attaquer lentement à un problème qui s’aggrave rapidement.
Le budget prévoit aussi 18,2 millions de dollars par année pour Santé Canada, le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés et l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé. Ces investissements sont conformes à certains petits changements attendus dans la tarification des médicaments et les pratiques de prescription appropriées.
Autres investissements
Territoires
Le budget accorde 108 millions de dollars sur quatre ans au Fonds d’investissement-santé pour les territoires. Créé en 2014, ce fonds s’ajoute au TCS pour aider les territoires à relever les défis qui leur sont propres, comme le coût du transport médical, la santé mentale, la toxicomanie et la gestion des maladies chroniques.
Premières Nations
Les Libéraux proposent une enveloppe de 270 millions de dollars sur 5 ans pour améliorer et réparer les installations de soins de santé dans les réserves, ainsi que de l’argent pour s’attaquer à des problèmes comme la santé mentale, la santé de la mère et de l’enfant, les maladies chroniques et la dépendance aux drogues. Étant donné que les communautés des Premières Nations sont desservies par 271 postes de soins infirmiers et centres de santé, cette somme représente à peine 200 000 $ par année par établissement.
Données et innovation
Le gouvernement alloue 15 millions de dollars par année à l’Institut canadien d’information sur la santé qui réunit des données sur la santé et fait rapport sur le rendement du système. Il accorde 51 millions de dollars sur trois ans, à compter de 2019, à la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé. On n’en sait pas plus à ce sujet, mais cette promesse commençant en 2019 laisse entendre que les Libéraux assument qu’ils seront réélus (ou veulent nous en convaincre) pour tenir leur engagement.
Aidants naturels
Devant la dépendance croissante aux aidants naturels dans notre société, le budget fédéral 2017-2018 propose quelques améliorations aux crédits d’impôt pour ces personnes. Ces mesures permettront à quelques aidants naturels de plus d’avoir droit à des crédits d’impôt, dont ceux qui ne vivent pas sous le même toit que le proche dont ils s’occupent. Le budget crée aussi une nouvelle prestation d’assurance-emploi qui accorde un maximum de 15 semaines de prestations aux aidants naturels admissibles qui doivent s’absenter du travail pour s’occuper d’un proche très gravement malade ou blessé.
Qu’est-ce que tout cela signifie ?
Le budget de santé contient beaucoup plus de mesures en santé que celui de l’an dernier, mais le gouvernement n’a pas encore livré l’Investissement solide, audacieux et cohérent à l’échelle nationale dont notre pays a besoin. Cette absence de vision nationale est de plus en plus inquiétante. Le Transfert canadien en matière de santé est trop petit pour maintenir le système de santé public dans son état actuel ; on peut s’attendre à une diminution des services et de la qualité des soins, à de la privatisation (qui fait augmenter le coût des soins) et à une incapacité à répondre aux pressions croissantes sur le système. Quelles sont ces pressions ? Le vieillissement de la population, l’écart croissant entre les riches et les pauvres et la hausse du prix des médicaments d’ordonnance que les gens (et même, bientôt, les régimes d’assurance collective au travail) ne pourront plus se payer. Ce budget fédéral manque de vision, mais il fait tout un tas de promesses. Pour presque toutes les promesses en santé que contient ce budget, on ne verra la couleur de l’argent que dans quelques années, après les prochaines élections fédérales, date à laquelle rien ne garantit que ces fonds seront versés.