La décision à courte vue de fermer le centre linguistique de l’Université Saint Mary’s aura des effets négatifs à long terme sur les membres du SCFP 3912 et la population étudiante internationale desservie. La direction de cette université de Halifax, qui avait multiplié les coupes et faisait preuve de laisser-aller, a brusquement fermé le centre en 2024.

Le centre linguistique offrait un programme d’apprentissage de l’anglais à la population étudiante internationale pour faciliter son intégration dans les programmes d’études de l’université. Des professeur(e)s y proposaient des classes d’anglais de même que des cours sur la communication académique, l’esprit critique et les méthodes et normes de recherche.

Les professeur(e)s de langues hautement qualifié(e)s, cumulant des dizaines d’années d’expérience, aidaient les étudiant(e)s internationaux à s’adapter à une nouvelle culture et à la vie universitaire.

Une application destinée à les remplacer

La direction a mis à pied les 22 professeur(e)s du centre linguistique en plein milieu d’une journée de travail, alors même que la section locale était à la table de négociation. Lauren McKenzie, présidente du SCFP 3912 et elle-même professeure, a plus tard appris que l’Université Saint Mary’s utiliserait dorénavant Duolingo, une application d’apprentissage des langues fondée sur l’intelligence artificielle (IA), comme outil central d’apprentissage linguistique et d’examen.

Elle concède que Duolingo peut avoir une place en éducation, mais insiste sur le fait qu’en aucun cas l’application ne peut remplacer un(e) enseignant(e) hautement qualifié(e) qui comprend les relations entre langue et culture et peut répondre aux besoins des apprenant(e)s.

« L’IA est certes épatante, mais elle ne peut remplacer les échanges qui alimentent les liens humains », dit Lauren McKenzie.

Une fermeture qui crée une onde de choc

La fermeture du centre linguistique a de fortes conséquences sur la population étudiante internationale et les membres du SCFP. « On nous a toutes et tous mis à l’écart. On n’a plus l’emploi qui nous liait au SCFP et la fermeture du centre a amené notre dissolution », se désole Lauren McKenzie.

Elle explique que les personnes mises à pied sont désormais sans emploi ou ont dû aller enseigner dans des écoles de langues privées, pour un salaire coupé de moitié, sans avantages sociaux. Le SCFP 3912 a déposé un grief qui a permis d’obtenir une indemnité de départ pour les membres touché(e)s par la situation.

La section locale représente d’ailleurs plus de 5 000 membres répartis parmi cinq unités de négociation dans quatre universités de Halifax. L’enseignement des langues a également fait l’objet de coupes, ou est disparu, à l’Université Dalhousie et à l’Université Mount Saint Vincent. « La précarité nous guette tous et toutes », constate Lauren McKenzie.

Une population étudiante internationale exploitée

Au fil des ans, Lauren McKenzie a vu l’Université Saint Mary’s couper d’autres services destinés à la population étudiante internationale, notamment le soutien aux demandes de visa, tout en imposant des droits de scolarité de plus en plus élevés.

Selon Sarom Rho, qui coordonne la section de la population étudiante internationale au sein de la Migrant Workers Alliance for Change : « Les établissements d’enseignement utilisent ces programmes linguistiques pour recruter des étudiant(e)s internationaux, puis les facturent indûment, subventionnant somme toute l’enseignement public sur leur dos. »

« Quand les établissements ont pour objectif de réellement soutenir l’apprentissage linguistique des étudiant(e)s internationaux, un aspect essentiel pour faire naître le sentiment d’appartenance, tisser des liens et s’intégrer, ces programmes sont une très bonne chose, à mon avis », poursuit Sarom Rho.

Malheureusement, les universités affichent une attitude de plus en plus paradoxale depuis quelques années : elles cherchent à soutirer un maximum de profits des étudiant(e)s internationaux tout en sabrant dans les programmes qui les visent.

La population étudiante internationale a toujours été marginalisée sur les campus, selon Lauren McKenzie. Elle a déjà vu des étudiant(e)s se faire refuser des services universitaires, comme un abonnement à la salle d’entraînement ou une carte d’autobus, et ce, malgré leur fréquentation à temps plein du centre linguistique.

« L’université est en passe de se transformer en véritable entreprise : on traite les travailleuses et travailleurs comme des ressources jetables et les étudiant(e)s, comme la source de revenus », déplore-t-elle.

Elle se demande comment la population étudiante internationale pourra étudier à l’Université Saint Mary’s après ce dernier coup de ciseau : « On les admet pour ne pas leur donner les moyens de rester? On les prend au piège, somme toute. »

Sarom Rho souligne par ailleurs que la langue est un aspect clé du système d’immigration actuel, basé sur des points. Les étudiant(e)s internationaux doivent obtenir un pointage très élevé pour être admissibles au programme d’immigration canadien. Les programmes linguistiques comme celui de l’Université Saint Mary’s aidaient les étudiant(e)s à répondre aux critères.

Des coupes déferlent sur les campus universitaires

L’Université Saint Mary’s n’est pas le seul établissement d’enseignement postsecondaire à perdre ses programmes linguistiques destinés à la population étudiante internationale. L’Université de la Saskatchewan, l’Université Simon-Fraser et l’Université de Winnipeg ont elles aussi fermé leurs programmes d’enseignement de l’anglais. Le Collège George Brown a également annoncé qu’il mettrait fin en 2026 au cours English for Academic Purposes, offert depuis 1969.

Ces fermetures découlent partiellement de la décision du gouvernement fédéral de réduire drastiquement le nombre de permis d’études accordés aux étudiant(e)s internationaux en réponse aux allégations injustes d’élu(e)s et de lobbyistes de la droite. Plus intéressés à trouver un bouc émissaire qu’à assumer leur entière responsabilité, ces derniers mettent le blâme sur l’immigration et sur les étudiant(e)s internationaux pour la crise du logement.

Les centres linguistiques sont loin d’être la seule victime des coupes qui ont déferlé dans les programmes et services d’éducation postsecondaire : des programmes d’études, des services d’orientation et des programmes combattant la violence fondée sur le genre ont aussi été interrompus. Rien de bien surprenant, avec le sous-financement gouvernemental de l’enseignement postsecondaire au Canada qui dure depuis des décennies. Dans les années 1980, la contribution des gouvernements fédéral et provinciaux représentait 80 % du budget des collèges et universités. Aujourd’hui, leur contribution atteint à peine 50 %.

Un syndicat prêt à se battre

Les coupes dans les programmes coïncident avec le plus important recul des droits des personnes migrantes de l’histoire du Canada. Plus de 200 000 permis de travail postdiplôme accordés à des étudiant(e)s internationaux expireront d’ici la fin de l’année 2025. D’innombrables diplômé(e)s, qui pour plusieurs sont en attente de leur résidence permanente, se retrouveront alors abandonné(e)s à leur sort. Ces mesures s’ajoutent à des changements plus vastes qui touchent les travailleuses et travailleurs migrants, les étudiant(e)s internationaux et les réfugié(e)s.

Les travailleuses et travailleurs en subissent aussi les conséquences : tout comme les employeurs d’autres secteurs, les employeurs du secteur de l’enseignement postsecondaire profitent des changements en matière d’immigration pour congédier des membres du SCFP qui sont des personnes migrantes. Le SCFP collabore avec plusieurs allié(e)s pour protéger et défendre ses membres. Notre syndicat a publié l’an dernier un guide pour soutenir ses membres qui sont des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, et il collabore avec la Migrant Workers Alliance for Change pour convaincre le gouvernement fédéral de renouveler les permis de travail postdiplôme.  

Sarom Rho fait ressortir les liens qui existent entre ces luttes : « On exploite les personnes migrantes, qui ripostent contre le système tout comme le font les syndicats. »

Le SCFP 3912 a quant à lui remporté récemment une victoire qui permettra aux travailleuses et travailleurs de prendre part aux décisions futures qui touchent les membres et les étudiant(e)s. Les enseignant(e)s à temps partiel demandent depuis des années à siéger au sénat de l’Université Saint Mary’s. En mai 2025, le sénat a finalement modifié ses statuts pour permettre à ces employé(e)s de se porter candidat(e)s à un siège et de tenir un vote pour choisir leur représentant(e). Le SCFP 3912 travaille maintenant à provoquer le même changement dans la gouvernance des autres universités où travaillent ses membres. Le syndicat pourra ainsi mieux défendre les travailleuses et travailleurs et les étudiant(e)s dans leurs luttes.