Nous jouissons d’une bonne qualité de vie grâce aux services publics. Les Canadiens savent qu’ils peuvent compter sur des services publics fiables, accessibles et contrôlés localement. Bref, ce sont de bons investissements de fonds publics.
En raison de l’urgence d’entretenir et d’améliorer leur infrastructure, alors qu’elles manquent de moyens financiers, certaines municipalités ont envisagé la privatisation comme solution miracle. Mais que ce soit par l’entremise de partenariats public-privé (PPP), de la sous-traitance ou du financement privé, la privatisation finit par coûter beaucoup plus cher. En outre, les profits des entreprises privées passent avant l’intérêt public. La qualité souffre, le contrôle local diminue et, au fil du temps, les inégalités augmentent dans nos communautés.
La Banque de l’infrastructure du Canada : une erreur coûteuse
Bien que le gouvernement fédéral ait éliminé la présélection obligatoire des PPP pour les projets d’infrastructure municipale et que l’agence PPP Canada ait fermé ses portes, les libéraux fédéraux font toujours la promotion de la privatisation de l’infrastructure. À l’origine, comme l’avaient promis les libéraux, la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) devait servir de source de financement à bas taux pour les projets municipaux. Au lieu, elle favorise la privatisation en recourant au financement privé. Ce financement plus coûteux risque de faire doubler la facture des projets, comparativement aux coûts qu’aurait entraînés leur réalisation par le secteur public. Le modèle PPP fera exploser les coûts des municipalités et grimper les frais d’utilisation et les péages ou en créera de nouveaux, en plus de confier la planification, la propriété et le contrôle des installations publiques à des entreprises qui cherchent à réaliser des profits.
Dans un rapport intitulé La Banque de l’infrastructure du Canada et le droit du public à l’information, l’Institut Columbia prévient que la BIC cachera à la population le coût réel des mégaprojets privatisés. Selon ce document publié en 2017, les lois actuelles sur l’accès à l’information limitent l’accès aux renseignements concernant la privatisation. La loi qui encadre la BIC impose des restrictions encore plus sévères, notamment en matière de transparence et de reddition de comptes, deux points cruciaux pour la démocratie municipale.
La BIC a pour objectif de financer jusqu’à 80 pour cent des projets d’infrastructure par l’entremise d’investisseurs privés qui prendront en charge la conception, la propriété et l’exploitation des projets, tout en empochant les profits. Parmi ces investisseurs privés, on trouve des institutions qui gèrent les régimes de retraite publics. Au lieu d’en faire plus à l’interne avec l’argent des contribuables, les projets de la BIC vont dilapider les fonds publics en remboursements de prêts onéreux, ce qui risque de réduire le nombre de projets réalisés. Ces obligations financières de longue durée vont limiter les investissements des municipalités au détriment des générations futures.
En date d’avril 2019, la BIC n’avait financé qu’un seul projet : le Réseau express métropolitain (REM), un train léger en cours de construction à Montréal. Ce projet est réalisé en PPP par une filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui gère la deuxième caisse de retraite en importance au pays. Le REM illustre parfaitement le manque de transparence qui entoure les projets de la BIC. Des groupes de la société civile ont fortement critiqué plusieurs aspects du projet : l’impact environnemental, le prix des titres de transport, l’achalandage actuel, ainsi que les coûts futurs d’exploitation et d’entretien. Malgré ces critiques, la BIC citait récemment d’autres projets d’infrastructures de transports réalisés en PPP, dont l’autoroute à péage 407 au nord de Toronto, comme de bons modèles d’investissements futurs.
Pour de plus amples renseignements sur la Banque de l’infrastructure du Canada et ses conséquences sur le monde municipal, consultez le scfp.ca/pas-a-vendre.
Les PPP ne permettent ni d’économiser ni de réduire les risques
Même si PPP Canada n’existe plus, les agences provinciales pro-PPP continuent de promouvoir la privatisation de l’infrastructure. Presque tous les projets de PPP au Canada ont été présentés comme plus efficaces et transférant le risque au secteur privé. Or, ces affirmations ne se vérifient pas.
Une étude de l’École de politique publique de l’Université de Calgary, publiée en mars 2016, conclut, comme la grande majorité des études objectives d’ailleurs, que les PPP coûtent aussi cher, sinon plus, que les projets réalisés grâce à la méthode conventionnelle à coûts fixes. Le rapport constate également que les délais d’exécution des PPP, lorsqu’ils sont mesurés correctement, sont aussi longs que ceux des projets publics. Il souligne que les « risques censés être transférés aux partenaires privés ne le sont jamais vraiment ». Cette étude s’ajoute à une multitude de données indépendantes démontrant que les analyses « d’optimisation des ressources » utilisées pour justifier les PPP comportent de sérieuses lacunes.
Le rapport intitulé History RePPPeated : How public private partnerships are failing (Quand l’histoire se réPPPète : l’échec des partenariats public-privé) réalisé par des experts provenant de quatre continents et qui sont associés à des organismes comme Oxfam et le Centre for Financial Accountability en Inde, a été publié en octobre 2018. Il fait état des effets néfastes des PPP sur les communautés. Le rapport conclut que, partout dans le monde, les projets réalisés en PPP siphonnent les fonds publics tout en imposant des risques excessifs au secteur public. Il souligne aussi le manque de transparence et l’absence de consultation des citoyens, l’augmentation de l’écart entre les riches et les pauvres, ainsi que de graves répercussions sociales et environnementales associées aux PPP. Les signataires du rapport recommandent aux gouvernements de la planète de cesser de promouvoir les PPP pour le financement de l’infrastructure.
En 2014, la vérificatrice générale de l’Ontario a entrepris un examen exhaustif du programme de PPP de la province et a constaté que 74 projets de PPP coûtaient à la province huit milliards de dollars de plus que si leur financement et leur exploitation avaient été publics.
Au Québec, la commission Charbonneau a conclu que le manque de concurrence et le secret entourant les soumissions pour le mégaprojet en PPP du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) de Montréal avaient ouvert la porte à la corruption. De plus, le groupe de réflexion québécois IRIS a démontré que la province aurait pu économiser jusqu’à quatre milliards de dollars en rachetant les contrats du CUSM et d’un autre hôpital de Montréal réalisé en PPP.
Les vérificateurs généraux de la Nouvelle‑Écosse, du Nouveau‑Brunswick, du Québec, de la Colombie‑Britannique et du fédéral ont également conclu que les PPP sont plus coûteux que les projets publics.
Dans son rapport intitulé Bad Before, Worse Now (Mauvais avant, pire maintenant), l’économiste Hugh MacKenzie affirme : « Les PPP gaspillent l’argent du public parce qu’il est considérablement plus coûteux de trouver des capitaux pour l’infrastructure publique indirectement, dans le cadre d’un PPP, que par des emprunts publics. » Les PPP sont à éviter, car les gouvernements peuvent emprunter à de bien meilleurs taux que les investisseurs privés. En outre, les municipalités se rendent compte qu’en s’enfermant dans des contrats de 30 ou 40 ans assortis d’importants paiements et de risques croissants, elles diminuent leur marge de manœuvre budgétaire et réduisent leur capacité d’investissement dans les années à venir.
Pour aider les municipalités à mieux comprendre les mythes et les faits sur les PPP, le SCFP a publié Poser les bonnes questions : un guide à l’intention des municipalités qui envisagent les PPP. Rédigé par l’économiste John Loxley, ce guide est une ressource utile pour les décideurs municipaux. Il questionne les économies de coûts et les avantages attribués aux PPP et incite les municipalités à tenir compte de tous les facteurs avant de se tourner vers un PPP.
Les obligations à impact social
L’obligation à impact social (OIS) est une autre forme émergente de privatisation. Il s’agit d’un mécanisme de financiarisation et de privatisation de la prestation des services sociaux. Les banques et les financiers privés présentent l’OIS aux municipalités sans le sou comme une innovation qui permet de reporter ou de réduire le coût de la prestation des services. Les municipalités sont sensibles à ces arguments, parce qu’elles doivent composer avec la croissance démographique et les nombreux services que les autres niveaux de gouvernement ont pelletés dans leur cour.
Le postulat selon lequel le secteur privé peut améliorer la prestation des services est à la base des OIS. Or, de nombreuses études démontrent que les procédés de « rémunération au rendement » ou « à la réussite » du secteur privé n’améliorent pas la prestation des services sociaux.
Dans sa mise à jour économique de l’automne 2018, le gouvernement fédéral a annoncé la création d’un fonds de démarrage de 755 millions de dollars pour la « finance sociale » des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif, en plus de prévoir une enveloppe de 50 millions de dollars pour faire la promotion de la finance sociale. L’OIS, une forme de finance sociale, confie en sous-traitance le financement, la planification et l’évaluation des programmes sociaux à des tierces parties privées qui réalisent des profits. En encourageant le prêt privé aux groupes sociaux et communautaires, le gouvernement fédéral ouvre la porte à la privatisation de services vitaux.
Les OIS octroient aux financiers privés un niveau de contrôle dangereux sur les services sociaux et sur les priorités en la matière. Pourtant, il est bien plus simple et économique d’améliorer la prestation des services sociaux publics en les finançant adéquatement qu’en empruntant à des financiers privés à huit ou 12 pour cent par année.
Le rapatriement à l’interne des services municipaux
Les municipalités canadiennes réalisent qu’il existe des solutions de rechange à la privatisation. De plus en plus de municipalités dans le monde ramènent à l’interne des services confiés au privé, comme le déneigement, les services d’eau et d’eaux usées, l’entretien des rues et des trottoirs et le transport en commun. Les coûts accrus et la diminution de la qualité des services offerts en sous-traitance, ainsi que la plus grande marge de manœuvre découlant de l’utilisation des ressources municipales sont les principales raisons qui ont incité les municipalités à rapatrier leurs services à l’interne.
Certaines municipalités canadiennes ont pris conscience des risques associés à la privatisation et ont décidé de ramener leurs services à l’interne ou de construire leur infrastructure en mode conventionnel. Un rapport de l’Institut Columbia publié en 2016 et intitulé Ramener les services à l’interne : pourquoi les gouvernements municipaux mettent fin à la sous-traitance et à la privatisation présente 15 cas récents de municipalités canadiennes qui ont choisi de mettre fin à un contrat privé. Dans 80 pour cent des cas, le coût était le principal facteur invoqué. La piètre qualité du service, le manque de transparence et la mauvaise gestion de l’entreprise privée ont aussi été mentionnés.
Le modèle public est plus avantageux pour nos communautés
Le sous-financement chronique exerce une pression énorme sur les municipalités en faveur de la privatisation de l’infrastructure et des services, et ce malgré les effets négatifs sur les budgets municipaux futurs et sur la qualité de vie dans nos communautés.
À la lumière de la preuve qui s’accumule démontrant que la privatisation des services n’est pas dans l’intérêt public, un financement fédéral accru pour l’infrastructure – y compris les installations d’eau et d’eaux usées, le transport en commun et les projets d’infrastructure verte – devrait être offert aux municipalités pour les aider à conserver la propriété et le contrôle publics de leurs actifs. Malheureusement, le gouvernement fédéral va dans la mauvaise direction. Il finance maintenant seulement 40 pour cent des projets d’infrastructure municipaux, au lieu de 50 pour cent comme c’était le cas auparavant. Le fédéral a aussi créé la Banque de l’infrastructure du Canada pour faciliter et encourager l’investissement privé. La pression exercée sur les finances municipales sera encore plus grande en raison de ces décisions.
Il est essentiel de maintenir la propriété et le contrôle publics des installations, de l’infrastructure et des services municipaux pour avoir des communautés démocratiques, équitables et prospères.
Pour en savoir plus ou pour obtenir les rapports La Banque de l’infrastructure du Canada et le droit du public à l’information,Ramener les services à l’interne et Poser les bonnes questions, visitez le scfp.ca/privatisation.