Introduction
Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) est à l’avant-garde de la lutte contre la privatisation des services publics depuis sa fondation, en 1963. Le pouvoir collectif des membres du SCFP est notre meilleur moyen de défense contre la privatisation. Les conventions collectives du SCFP constituent un puissant outil pour mener cette lutte à bien. Lorsque les membres du SCFP s’organisent pour obtenir et faire appliquer à la lettre des clauses contractuelles qui empêchent nos employeurs de sous-traiter ou qui limitent leur capacité de le faire, nous sommes en mesure de protéger les emplois syndiqués et les services publics. Les conventions collectives du SCFP offrent une certaine protection contre la sous-traitance plus souvent que celles des autres syndicats. Les sections locales du SCFP utilisent donc régulièrement les dispositions de leur convention collective pour stopper la privatisation.
La sous-traitance est la forme la plus courante de privatisation à laquelle les membres du SCFP sont confrontés. Elle menace tous les secteurs. Elle implique qu’un employeur du secteur public (comme une municipalité, un conseil scolaire ou une régie de la santé) paye une société privée à but lucratif ou un organisme sans but lucratif pour fournir un service qui était auparavant fourni par du personnel du secteur public. Pour certains employeurs, la sous-traitance vise également à recourir à de la main d’œuvre non syndiquée, et à tirer les conditions de travail vers le bas. Lorsque la sous-traitance est utilisée pour tout un système ou service, on parle parfois d’« externalisation ». Il existe d’autres formes de privatisation, comme le partenariat public-privé (PPP), l’obligation à impact social (OIS) et la diversification des modes de prestation des services (DMPS).
Les sections locales du SCFP doivent absolument négocier des dispositions précises contre la sous-traitance si elles n’en ont pas déjà. Elles devraient aussi revoir et renforcer les dispositions existantes à chaque ronde de négociation collective et négocier une clause de rapatriement à l’interne pour confier à nouveau des tâches aux membres de l’unité de négociation.
Présentation
Ce guide vise à aider les personnes conseillères du SCFP et les comités de négociation des sections locales à rédiger des clauses de convention collective qui stopperont la sous-traitance.
Nous conseillons une approche multidimensionnelle qui inclut les aspects suivants :
- limiter la capacité de l’employeur de sous-traiter.
- contrer la sous-traitance en amont en exigeant la notification, la divulgation et la consultation.
- négocier des normes pour les entrepreneurs afin de décourager la privatisation et la sous-traitance.
- mettre en place un processus permettant d’inverser la privatisation en rapatriant le travail à l’interne.
Chaque rubrique de ce guide présente des exemples de clauses recommandées qui ont été négociées ou obtenues par voie d’arbitrage par des sections locales du SCFP. L’exemple donné peut ne pas représenter l’article de convention collective ou la lettre d’entente dans son intégralité. Au-delà de ces exemples, les personnes conseillères nationales et le personnel de recherche du SCFP sont bien équipés pour aider chaque section locale à négocier la meilleure clause pour sa situation particulière.
Points à considérer
Une bonne convention collective contient diverses dispositions qui interagissent pour empêcher l’employeur de prendre des décisions néfastes comme celle de confier du travail en sous-traitance. Pour en limiter les impacts, on pourrait, entre autres, négocier des mesures de licenciement. Celles-ci protégeront aussi les emplois dans de nombreuses autres circonstances, en plus de pouvoir décourager l’employeur de sous-traiter le travail en rendant le processus de mise à pied coûteux et complexe. De bonnes dispositions sur les licenciements, ça protège les membres et les unités de négociation du SCFP. Voici quelques idées :
- un préavis au syndicat.
- l’occasion d’explorer conjointement des solutions de rechange au licenciement et, pour l’employeur, d’étudier les propositions du syndicat.
- un préavis aux travailleuses et aux travailleurs concernés.
- une exigence de redéploiement ou de réaffectation.
- la supplantation en cascade, soit le droit de supplanter quelqu’un ayant moins d’ancienneté qui pourra supplanter quelqu’un ayant moins d’ancienneté et ainsi de suite.
- des prestations complémentaires de chômage pour les personnes licenciées.
Les clauses concernant les licenciements et les rappels varient beaucoup d’un secteur et d’une région à l’autre. Consultez votre conseiller ou conseillère syndicale du SCFP pour connaître la clause recommandée dans votre situation.
Les clauses concernant la sous-traitance ont plus de poids si elles sont enchâssées dans la convention collective, puisqu’elles sont reconduites dans les conventions suivantes, à moins qu’on les modifie en négociation.
La lettre d’entente est utile lorsqu’il s’agit d’un évènement particulier ou ponctuel, comme le rapatriement à l’interne d’un service, d’une classe d’emplois ou d’un quart de travail bien précis. La lettre d’entente peut aussi convenir à une nouvelle pratique ou procédure introduite à titre d’essai pour la durée de la convention collective comme la divulgation et les réunions concernant les questions de privatisation. Par contre, les lettres d’entente doivent être réexaminées lors de la ronde de négociation suivante pour en évaluer l’efficacité, y apporter des ajustements et les intégrer au corps de la convention collective.
Les conséquences de la sous-traitance
Pour la sécurité d’emploi, la sécurité syndicale et la santé des services publics, il est essentiel qu’une convention collective comporte des clauses qui limitent la sous-traitance.
Sans cela, l’employeur peut sous-traiter du travail pour miner les salaires, les avantages sociaux, les dispositions relatives à l’ancienneté et d’autres droits enchâssés dans la convention collective. Cela a des conséquences désastreuses pour les membres du SCFP.
En général, un employeur attribue le contrat à l’entreprise qui promet le prix le plus bas pour faire le travail, un prix qui, la plupart du temps, repose sur le recours à du personnel non syndiqué à bas salaire. Souvent, cela fait chuter les salaires et les conditions de travail dans tout le secteur. En outre, la sous-traitance et le recours à l’entreprise privée fragmentent la main-d’œuvre.
Des personnes qui font un travail similaire dans le même lieu de travail se retrouvent à ne pas avoir le même salaire, les mêmes avantages sociaux et la même protection syndicale.
De plus, la sous-traitance diminue le nombre d’emplois dans l’unité de négociation, ce qui affaiblit le pouvoir de négociation du syndicat. Les moyens de pression comme la grève sont moins efficaces parce que l’employeur peut se tourner vers ses sous-traitants pour remplacer les grévistes. La sous-traitance, c’est aussi moins de personnes qui cotisent au régime de retraite. Et elle réduit le bassin de cotisations syndicales disponible pour défendre nos conditions de travail.
Lorsque notre travail est sous-traité, les services publics en souffrent. La reddition de comptes diminue et les services deviennent moins réactifs, car la communauté n’a que peu ou pas d’influence sur les actions des entreprises privées. L’implication d’un exploitant privé fausse les objectifs de prestation des services publics. Le privé, dans le but de maximiser ses profits ou de réduire ses coûts, fait passer l’intérêt public au second plan.
Il existe un mouvement qui gagne de l’élan pour renverser la sous-traitance en ramenant les services à l’interne. Le rapatriement à l’interne se produit souvent parce que l’employeur du secteur public ou le gouvernement se rend compte que les services sous-traités sont de mauvaise qualité, alors que les services internes coûtent moins cher tout en étant meilleurs.
Qu’il s’agisse d’empêcher la privatisation avant qu’elle ne se produise ou de rapatrier les services à l’interne, la protection et l’amélioration des services publics profitent autant au personnel qu’à la société. Ce guide aidera les sections locales à évaluer leur convention collective et à préparer un programme de négociation qui garantira que leur contrat de travail protège les emplois et les services le mieux possible.
Une remarque concernant la traduction : Le présent document est disponible en anglais et en français. Les passages explicatifs ont été traduits. Par contre, les articles de conventions collectives présentés dans le document anglais sont tirés de conventions collectives de langue anglaise, tandis que et le document français contient des articles tirés de conventions collectives de langue française.
Empêcher la privatisation : restrictions à la sous-traitance
Les sections locales du SCFP ne devraient pas se fier exclusivement aux dispositions concernant le « travail de l’unité de négociation » pour empêcher la sous-traitance. Bien que ces dispositions puissent être utilisées pour empêcher le personnel n’appartenant pas à l’unité de négociation ou la direction d’effectuer les tâches réservées à l’unité de négociation, l’opinion dominante des arbitres est que, pour empêcher l’employeur de sous-traiter des tâches, il faut disposer de restrictions spécifiques.
Le moyen de défense le plus efficace dans la convention collective est l’interdiction totale de sous-traiter le travail de l’unité de négociation. Le SCFP a négocié ce langage dans divers secteurs et provinces à travers le pays :
25.01 Afin d’assurer la sécurité d’emploi des membres de l’unité de négociation, l’employeur accepte que tout le travail ou tous les services rendus par les employées ne soient pas donnés en sous-traitance, transférés, loués, assignés ou cédés, en tout ou en partie, à une autre garderie, personne, entreprise ou employée qui ne fait pas partie de l’unité de négociation, sauf ce qui est prévu dans la présente entente.
SCFP 1543, Garderie Les Petits Amis Day Care Inc. – MB
1 juillet 2018–30 juin 2020
S’il n’est pas possible d’obtenir une interdiction complète de la sous-traitance dans la ronde de négociation actuelle, les sections locales du SCFP peuvent restreindre la sous-traitance en limitant sa portée et les circonstances dans lesquelles elle peut se faire. Voici les meilleures options suivantes, par ordre décroissant :
1. Pas de sous-traitance si les membres de l’unité peuvent effectuer le travail
2. Pas de sous-traitance sauf en cas d’urgence
3. Pas de sous-traitance si celle-ci diminue la taille de l’unité de négociation, réduit les horaires de travail ou entraîne des mises à pied
4. Pas de sous-traitance si cela entraîne la mise à pied de certains membres du personnel
On peut préciser un groupe de membres en fonction de la durée de service ou de l’ancienneté :
On peut aussi spécifier un groupe de membres en fonction du statut d’emploi (le personnel permanent, par exemple) :
Remarque : Cette clause pourrait créer des disparités de traitement dans l’unité de négociation, où certains membres ont des droits inférieurs en matière de sécurité d’emploi. Les sections locales du SCFP ayant ce type d’article « à deux niveaux » sur la sous-traitance devraient s’efforcer de l’améliorer pour en faire une restriction qui protège l’ensemble des membres de l’unité de négociation. Pour en savoir plus, lisez la politique du SCFP intitulée « Résister aux concessions et aux disparités de traitement et défendre la libre négociation collective – Aller de l’avant ».
5. L’employeur peut sous-traiter, mais il doit prendre certaines mesures pour atténuer l’impact sur le personnel déplacé
N’oubliez pas qu’un certain niveau de protection contre la sous-traitance vaut mieux que rien du tout et qu’on pourra améliorer cet article lors des rondes de négociation suivantes.
Les conseillers et conseillères du SCFP peuvent vous indiquer les clauses négociées restreignant la sous-traitance dans votre secteur ou votre province.
Empêcher la privatisation : notification, consultation et divulgation
Négocier l’obligation pour l’employeur de partager l’information et d’informer le syndicat à l’avance au sujet de ses projets de privatisation peut aider le SCFP et ses alliés communautaires à s’organiser pour contester ces projets. Plus la période de préavis est longue, plus la section locale dispose de temps pour communiquer avec ses membres, faire des recherches, former des coalitions, exercer des pressions sur la classe politique et exposer les faussetés et les coûts cachés dans l’argumentaire de l’entrepreneur. Ces étapes, prises ensemble, s’inscrivent dans une campagne gagnante pour garder les services dans le giron public. L’article concernant l’avis de projet de privatisation peut inclure :
- tous les renseignements sur un service que les membres fournissent actuellement et qui fait l’objet d’un examen en vue d’une éventuelle privatisation.
- tous les renseignements sur un nouveau service ou une nouvelle installation qui serait normalement inclus dans la gamme de services fournis par l’organisation et par les membres du SCFP.
En plus d’une période de préavis, les sections locales du SCFP devraient négocier une exigence de consultation qui leur donne l’occasion de discuter avec l’employeur de son intention de sous-traiter le travail de l’unité de négociation.
La sous-traitance sert fréquemment à privatiser des services publics. Les clauses de notification, de divulgation et de consultation peuvent couvrir d’autres formes de privatisation, comme les partenariats public-privé (PPP), l’obligation à impact social ou la diversification des modes de prestation des services. Ces dispositions peuvent inclure les exigences suivantes :
- L’employeur doit aviser le syndicat de toute proposition de PPP dans un délai déterminé.
- L’employeur doit divulguer tous les renseignements concernant une proposition de PPP au syndicat dans un délai déterminé.
- L’employeur doit consulter le syndicat sur la proposition de PPP avant son adoption, notamment en donnant au syndicat la possibilité de répondre officiellement à la proposition par écrit.
Si l’employeur a sous-traité du travail, la section locale devrait négocier une clause exigeant un examen conjoint périodique des tâches sous-traitées qui pourraient être couvertes par la convention collective. Cela devrait inclure la divulgation d’informations sur l’entrepreneur, la durée et le coût du contrat, ainsi que le coût de la négociation, de l’administration et de la supervision du contrat. Ces informations peuvent aider le SCFP à préparer un dossier pour rapatrier les tâches sous-traitées à l’interne.
Pour monter un dossier en faveur du rapatriement à l’interne, il faut démontrer la valeur du service rendu à l’interne. Les sections locales du SCFP ne devraient pas participer à un processus d’appel d’offres concurrentiel, puisque cela entrerait en conflit avec notre rôle d’agent négociateur. Soumettre une offre pour la prestation de services sape le processus de négociation collective en faisant pression sur les syndicats pour qu’ils réduisent le coût des services et fassent des concessions.
Empêcher la privatisation : obligations du sous-traitant
Là où les sections locales n’ont pas réussi à interdire complètement la sous-traitance, on peut inclure dans la convention collective un article qui impose des obligations aux sous-traitants. Cela peut constituer un obstacle important à la privatisation et à la sous-traitance. Les sections locales peuvent négocier une disposition exigeant que l’employeur n’utilise que des entrepreneurs qui répondent à des normes d’emploi spécifiques.
On peut aussi obliger l’employeur à exiger de l’entrepreneur qu’il emploie les membres déplacés du SCFP et, ce faisant, à reconnaître la section locale du SCFP comme l’agent négociateur de ces personnes et à appliquer la convention collective qui les protégeait avant la privatisation.
On peut aussi exiger que l’employeur oblige tout entrepreneur à fournir un salaire et des avantages sociaux minimaux afin de maintenir une norme de rémunération uniforme.
Inverser la privatisation : clauses de rapatriement à l’interne
Le rapatriement de tâches à l’interne est une autre façon de lutter contre la sous-traitance et la privatisation.
Négocier un processus de rapatriement implique généralement :
- d’obtenir que l’employeur divulgue toutes les informations sur les services actuellement sous-traités.
- d’obtenir un engagement envers un examen conjoint des travaux sous-traités qui pourraient être exécutés par les membres de l’unité de négociation.
- d’obtenir un engagement à considérer les propositions du syndicat concernant le rapatriement à l’interne.
Pour rapatrier des tâches à l’interne, il est possible dans certaines juridictions de négocier la portée de la convention collective (ou la reconnaissance de l’unité de négociation). On peut par exemple inclure une installation ou un nouveau service, ou encore ajouter un nouveau quart de travail, une nouvelle classe d’emploi ou un nombre de membres supplémentaires qui effectueront les tâches rapatriées à l’interne. Ce type de mesure doit être compatible avec l’accréditation et notre marge de manœuvre à cet égard dépend de la législation applicable.
Les sections locales devraient consulter leur conseiller ou conseillère syndicale pour s’assurer que la portée de l’accréditation soit compatible avec les clauses négociées.
Conclusion
Dans nos efforts pour protéger et améliorer les services publics et pour sauvegarder les bons emplois syndiqués, il est essentiel de disposer d’une bonne convention collective. La prévention et l’inversion de la privatisation sont une partie importante du cycle de négociation de nos sections locales. Cela fait aussi partie de notre travail quotidien en tant que militantes et militants syndicaux. Chaque membre a un rôle à jouer dans la protection des bons emplois et des services publics de qualité.
Défendre nos conventions collectives, les faire respecter entre les rondes de négociation est tout aussi important que de négocier une bonne clause. Les membres doivent être à l’affût, faire respecter leur convention collective et déposer des griefs lorsqu’il y a violation. Les personnes déléguées syndicales jouent un rôle clé dans cette défense en communiquant à la section locale les menaces qui pèsent sur leur convention et les moyens de renforcer celle-ci.
L’application stricte des clauses d’interdiction de sous-traitance et des autres dispositions empêchant la privatisation envoie un message fort aux employeurs : les membres du SCFP défendront toujours les bons emplois et les services publics de qualité.
En fin de compte, ce sont les conventions collectives les plus solides qui bénéficient du soutien de la communauté. Les membres du SCFP doivent continuer à bâtir une culture d’engagement politique des membres, à renforcer les coalitions et à participer à des campagnes avec leurs alliés communautaires pour défendre et promouvoir les services publics. Cette approche crée la solidarité dont les membres du SCFP ont besoin lorsqu’ils se mobilisent pour lutter contre la privatisation et la sous-traitance à l’aide de leur convention collective.
Ressources
Pour obtenir des cours sur la négociation collective et des ressources sur la privatisation, communiquez avec le personnel de l’éducation syndicale du SCFP de votre région à scfp.ca/education-syndicale.
Vous trouverez aussi des nouvelles et des ressources au scfp.ca/privatisation, dont de l’information sur les différentes formes de privatisation, des outils pour repérer les signes avant-coureurs de privatisation et y réagir, ainsi que des exemples de services rapatriés à l’interne. Les ressources clés comprennent :