Paul Whyte | Employé du SCFP
Alia Karim | Employée du SCFP
Le 8 mars 2021, pour la Journée internationale des femmes, le premier ministre Justin Trudeau avait promis un plan de relance qui aiderait les femmes à se remettre des impacts de la COVID-19. Reconnaissant l’actuelle « récession au féminin », il avait déclaré que son gouvernement « assurerait une reprise féministe et intersectionnelle à la crise ».
À l’époque, un autre rapport mettait en lumière les pertes d’emplois considérables subies par les femmes, en particulier celles qui gagnent un faible revenu.
En fait, dès les deux premiers mois de la pandémie, le nombre total d’heures travaillées par les femmes a chuté de 30 pour cent. Les femmes dans le secteur des services ont perdu leur emploi à un taux près de deux fois supérieur à celui des hommes.
Un mois plus tard, le gouvernement fédéral déposait un budget censé mettre l’accent sur les femmes, les familles et la revitalisation de l’économie. Plus de la moitié de ce budget était consacrée à un programme national d’apprentissage et de garde des jeunes enfants qui accorde la priorité à la réduction des frais de garde et à la création d’un grand nombre de places. Mais pourquoi a-t-il fallu si longtemps au Canada pour développer des services éducatifs à l’enfance universels ?
La petite enfance à un tournant
Le statut social et l’émancipation économique pour lesquels les Canadiennes se sont battues pendant des générations avant la pandémie dépendent fortement de leur capacité d’étudier, d’acquérir de nouvelles compétences et de progresser dans leur carrière. Mais les femmes assument également plus de responsabilités dans l’éducation des enfants, une autre cause de l’exode des femmes du marché du travail pendant la pandémie.
Pendant la COVID-19, les services de garde d’urgence offerts aux travailleuses et travailleurs de première ligne ont assuré le bon fonctionnement de nos hôpitaux, nos épiceries, nos services d’aqueduc et d’électricité, et tant d’autres services indispensables.
Sans services éducatifs à l’enfance et sans les femmes qui fournissent bon nombre de nos services essentiels, les secteurs nécessaires à la survie de notre pays s’effondreraient.
Le besoin pour des services éducatifs à l’enfance n’est pas apparu soudainement à cause de la pandémie, mais la pandémie a accentué l’urgence de ce besoin.
Pendant des décennies, il n’y a tout simplement pas eu assez de places créées en petite enfance. Les frais sont beaucoup trop élevés pour les parents. Le personnel est terriblement sous-valorisé, ce qui explique les problèmes de recrutement et les centaines de départs du secteur.
De nombreux établissements ont dû fermer leurs portes définitivement. Les limites de capacité ont entraîné des licenciements massifs en 2020 où plus de 25 pour cent du personnel s’est retrouvé au chômage. Selon Statistique Canada, l’emploi dans le secteur de la petite enfance a diminué de près de 50 pour cent au cours des deux dernières années.
Il a fallu une crise sanitaire mondiale pour que les décideurs politiques fassent à nouveau des services éducatifs à l’enfance une priorité, en leur accordant enfin l’attention qu’ils méritent à une époque où il était plus que nécessaire de le faire. Or, cette reconnaissance n’a pas été accompagnée des ressources suffisantes permettant d’assurer la sécurité ou la viabilité du secteur.
Des décennies de sous-financement chronique, l’absence de politiques édictant des normes décentes de travail, le manque de protection adéquate contre la COVID-19 et une vision omniprésente et souvent sexiste du rôle des services de garde éducatifs à l’enfance : voilà les raisons pour lesquelles les provinces doivent maintenant remédier à la pénurie de personnel dans ce secteur en offrant des conditions de travail et des salaires décents.
Le plan d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pancanadien est une occasion de changement à grande échelle dans le secteur, s’il est mené correctement. Ce plan commence à redéfinir ce que doivent être les services offerts, mais il reste encore beaucoup de pain sur la planche pour en faire un système véritablement universel.
Il est essentiel d’avoir un système de garde éducatif à l’enfance universel, sans but lucratif, accessible et abordable pour espérer une relance socioéconomique féministe.
Le Canada y investira 27 milliards de dollars sur cinq ans, dont 2,5 milliards pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants autochtones. Ses principaux objectifs sont :
• des places dans des établissements réglementés à 10 dollars ou moins par jour d’ici la fin de 2026 ;
• la création de plus de 30 000 nouvelles places d’ici cinq ans ;
• la diminution des frais de garde de 50 pour cent d’ici la fin de 2022.
Le plafonnement des frais pour les parents est un pas dans la bonne direction et constitue une victoire pour le personnel et les militant(e)s du secteur qui l’exigeaient depuis des décennies.
Dans le cadre du nouveau plan en petite enfance, les familles de la Colombie-Britannique économiseront en moyenne 6 000 dollars par année, par enfant. En Alberta, les familles profitent déjà d’une économie annuelle similaire de 5 610 dollars.
Il y a aussi de grandes promesses pour le développement d’emplois et de places pour les tout-petits. La Colombie-Britannique et l’Alberta devraient créer 40 000 nouvelles places et près de 10 000 postes d’intervenant(e)s chacune, selon Emploi et Développement social Canada.
L’Ontario est la seule province à ne pas avoir conclu d’entente avec le gouvernement fédéral, au moment de la rédaction du présent article. Les défenseurs du réseau de la petite enfance soupçonnent le gouvernement progressiste-conservateur d’essayer de protéger les intérêts des entreprises privées. Mais si aucune entente n’est signée en Ontario d’ici le 31 mars, la province pourrait perdre un milliard de dollars de financement cette année.
Carrie Lynn Poole-Cotnam est présidente du secteur des services sociaux du SCFP-Ontario et trésorière du SCFP 503 qui représente 19 services de garde éducatifs municipaux. Elle siège au conseil d’administration de la Coalition ontarienne pour de meilleurs services éducatifs à l’enfance et, au cours des 14 dernières années, elle s’est fait la championne des services éducatifs à l’enfance publics et abordables.
« Alors que le reste du Canada va de l’avant avec la réduction des frais de garde, l’ajout de places et l’augmentation de financement fédéral, les familles ontariennes sont toujours affectées par le refus de Doug Ford de signer l’accord national », a-t-elle souligné. « L’Ontario doit conclure un accord incluant une stratégie de main-d’œuvre qui comprend un plancher salarial de 25 dollars, des frais abordables et un frein à l’expansion des services de garde à but lucratif. »
Vers des services éducatifs à l’enfance universels, publics et sans but lucratif dans toutes les provinces
Le Québec a ouvert la voie vers des services de garde éducatifs à l’enfance universels au pays, avec l’introduction de sa politique familiale en 1997 et un engagement à réduire les frais parentaux, aujourd’hui à 8,70 dollars par jour, bien avant que le gouvernement fédéral ne dévoile son programme à 10 dollars par jour. La participation des Québécoises sur le marché du travail a considérablement augmenté depuis ; elle est maintenant la plus élevée au Canada.
Pourtant, les Québécoises ont aussi souffert d’un réseau de la petite enfance inadéquat pendant la pandémie. Beaucoup ont perdu leur emploi ou ont dû faire d’énormes sacrifices pour concilier famille, travail et autres responsabilités. On estime qu’il manque plus de 51 000 places régies et subventionnées dans le réseau pour répondre à la demande.
La grave pénurie de main-d’œuvre au Québec, où près de 10 000 éducateurs et éducatrices manquent à l’appel, a suscité des arrêts de travail à la grandeur de la province au cours des deux dernières années et une réforme de la loi provinciale est en cours. Un manque de reconnaissance des travailleuses et travailleurs en petite enfance, des conditions de travail et des salaires inadéquats causent d’importants défis en matière d’attraction et de rétention de personnel.
Au Canada, la main-d’œuvre des services éducatifs à l’enfance est principalement composée de femmes et, à plus du tiers, de personnes immigrantes ou qui ne sont pas résidents permanents, selon le recensement de 2016. Ainsi, il est particulièrement important que les décideurs politiques priorisent l’amélioration des conditions de travail et les enjeux d’équité dans ce secteur historiquement sous-financé.
Des provinces comme la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et le Manitoba ont récemment fait des progrès en adoptant une grille salariale provinciale. Mais si ces grilles n’augmentent pas de manière significative la rémunération, surtout par rapport aux emplois de valeur égale à prédominance masculine, les travailleuses de la petite enfance continueront d’être négligées. Elles doivent également avoir accès à des congés de maladie rémunérés, à des avantages sociaux, à un régime de retraite et à du temps rémunéré pour la planification et la formation professionnelle.
« Nous avons encore un long chemin à parcourir en Colombie-Britannique. Le gouvernement a fait du bon boulot pour rendre les services éducatifs à l’enfance plus accessibles, mais ce n’est pas assez. Il reste à améliorer le salaire et les conditions de travail du personnel, particulièrement dans le secteur public. C’est pourquoi il est si important que ces services fassent partie des services publics, financés et fournis par l’État », a indiqué Valeria Mancilla, responsable du programme en petite enfance du Graham Bruce School Age Program et membre du SCFP 1936.
Pour répondre à la demande, il faut ajouter des places en services éducatifs à l’enfance.
Le gouvernement fédéral doit en faire davantage pour régler les problèmes chroniques du secteur, notamment en obligeant les provinces à adopter une grille salariale commençant à 25 dollars l’heure, en améliorant considérablement les avantages sociaux et les conditions de travail, en allouant des fonds pour de nouvelles places dans des établissements publics et en freinant l’expansion des services de garde à but lucratif. Les provinces doivent rendre des comptes. Puis, cela se traduira par une meilleure qualité d’apprentissage et de soins pour nos tout-petits.
La recette pour des services éducatifs de haute qualité pour les enfants : soutenir les services publics et leur main-d’œuvre
Les services de garde éducatifs à l’enfance publics et sans but lucratif sont toujours mieux cotés que ceux à but lucratif. Ils sont plus susceptibles d’embaucher davantage de personnel et celui-ci est mieux formé, d’avoir un ratio enfant-intervenant(e) plus bas et de meilleures conditions de travail qui gardent le moral élevé et réduisent le taux de roulement. Ces conditions sont garantes de services de meilleure qualité et d’un environnement plus propice à l’apprentissage des enfants.
Les préoccupations sont élevées concernant les listes d’attente et l’insuffisance de l’offre en services éducatifs à l’enfance réglementés dans plusieurs régions du Canada. La plupart des accords provinciaux promettent d’immenses cibles pour la croissance des services de garde éducatifs à l’enfance, mais la manière d’atteindre ces cibles reste nébuleuse.
Certaines provinces accordent à juste titre la priorité aux services publics et sans but lucratif dans leurs plans de financement à long terme en petite enfance. La Colombie-Britannique, par exemple, subventionnera la création de places dans les établissements sans but lucratif, publics ou autochtones.
Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse s’oriente également vers un modèle sans but lucratif suite au récent accord fédéral. Les parents bénéficieront d’une réduction moyenne de 25 pour cent des frais de garde. Les établissements à but lucratif peuvent adhérer à l’accord s’ils respectent les nouvelles normes provinciales, notamment en adhérant aux grilles salariales provinciales et en facturant aux parents les tarifs provinciaux.
D’autres choisissent de continuer à permettre aux entreprises à but lucratif de tirer profit des services éducatifs à l’enfance. C’est le cas en Alberta et au Manitoba, où le financement fédéral est utilisé pour accroître l’admissibilité à leurs programmes de subventions, mais l’approche axée sur le marché n’est pas remise en question.
La croissance des services éducatifs à l’enfance publics et sans but lucratif a un avenir incertain. Les entreprises à but lucratif repoussent les nouvelles ententes, et les établissements publics et à but non lucratif auront besoin d’aide pour se remettre des impacts financiers de la pandémie. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent élaborer un plan pour affecter des fonds spécifiquement au développement d’un réseau de la petite enfance public et sans but lucratif. Sinon, l’universalité des services éducatifs à l’enfance ne sera plus qu’un mirage.
L’unique stratégie qui permettrait de créer un système de services éducatifs à l’enfance universels, accessibles et abordables est celle basée sur la participation de la main-d’œuvre du secteur, aidant ainsi les familles à se remettre de la pandémie et stimulant la participation des femmes à notre économie.
Les faits sur les services éducatifs à l’enfance
- Des services éducatifs à l’enfance abordables feraient augmenter le PIB réel de 1,2 pour cent au cours des deux prochaines décennies.
- Le Centre canadien de politiques alternatives estime que plus de 776 000 enfants vivent dans un « désert de services éducatifs à l’enfance », sans aucun service réglementé de qualité.
- Partout au pays, le personnel en petite enfance exige un salaire horaire d’au moins 25 $ de l’heure pour commencer à remédier à la sous-valorisation chronique de la profession.
- Le revenu hebdomadaire dans le secteur est faible : une moyenne d’à peine 640 $ par semaine en 2019, soit près de 40 pour cent de moins que le revenu moyen canadien.
Québec : Faites ce que je dis, pas ce que je fais
Il y a un an, des milliers de mères québécoises qui ne pouvaient pas retourner au travail ou aux études se mobilisaient pour fonder Ma place au travail, un mouvement provincial créé en réponse à la pénurie de places et de personnel dans le réseau de la petite enfance.
« Le Québec peut être inspirant, mais il manque peut-être un peu d’huile dans la machine pour qu’elle roule bien. On ne peut pas dire que notre système de services éducatifs à l’enfance est accessible. On parle de listes d’attente insurmontables depuis 20 ans et là, plusieurs familles n’ont pas accès aux CPE. Il y a 17 ans, j’ai eu la chance que mon fils entre en CPE, ce qui m’a permis de retourner au travail et de ramener un peu d’argent à la maison. Aujourd’hui, c’est pire. Beaucoup de femmes n’ont pas cette chance », a raconté Isabelle Girard, présidente du SCFP 3280.
Isabelle Girard reçoit en effet des appels de mères membres de sa section locale qui doivent soit mettre fin à leur emploi, soit demander un congé sans traitement, qui est accordé ou non par l’employeur. Elle dit que parfois leur enfant a deux ans ou plus, mais qu’elles attendent toujours une place subventionnée, ne pouvant pas se permettre un service de garde privé.
Selon elle, l’augmentation des salaires fait partie de la solution à la pénurie d’éducatrices et d’éducateurs. Mais pour les attirer et les retenir dans cette profession, ceux-ci doivent s’élever au rang de travailleuses et travailleurs reconnus, professionnels, compétents, qu’on valorise car ils prennent soin de nos enfants et les éduquent durant leurs années les plus formatrices.
C.-B. : Les services éducatifs à l’enfance ne devraient pas s’arrêter à cinq ans
En Colombie-Britannique, le gouvernement provincial néo-démocrate s’est engagé à offrir des services éducatifs à la petite enfance à 10 dollars par jour, un modèle que le SCFP-Colombie- Britannique appuie fortement. Le gouvernement fédéral fournit des ressources importantes pour soutenir les services éducatifs à l’enfance de la naissance à l’âge de cinq ans. Ce qui manque, ce sont des places pour les enfants d’âge scolaire.
Le meilleur système pour les familles de la Colombie-Britannique serait un système public de services de garde éducatifs à l’enfance universels et abordables, intégré au système scolaire public. Les services de garde avant et après l’école offerts par l’école publique sont pourtant à portée de main dans la province : les places existent déjà et les aides-enseignant(e)s, dont la majorité sont à temps partiel, sont qualifiés pour faire le travail.
Le SCFP-C.-B., en partenariat avec le SCFP national, fait campagne pour réclamer des services de garde parascolaires dans les écoles publiques et gagner la population à cette cause. Et la campagne prend de l’élan. Des milliers de personnes ont déjà demandé à leur conseillère ou conseiller scolaire de travailler à la création de places dans les écoles publiques.
Passez à l’action et soutenez la campagne pour intégrer les services de garde éducatifs à l’enfance aux écoles publiques de la C.-B. : publicchildcarenow.ca