On dit souvent qu’aux Philippines, il est dangereux d’être un dirigeant syndical qui s’assume. Raymond Basilio en sait quelque chose : le gouvernement populiste de droite du président Rodrigo Duterte le considère comme un terroriste.
Le confrère Basilio est secrétaire général de l’Alliance of Concerned Teachers (ACT, « l’Alliance des enseignants préoccupés »). Cette semaine, il est à Montréal où il profite de notre congrès pour sonner l’alarme : le gouvernement philippin cible les syndicalistes et les militants de la justice sociale. Le gouvernement Duterte, dont les politiques profitent aux riches et aux entreprises, piétine régulièrement les droits humains dans le cadre de campagnes de harcèlement et d’intimidation ciblées. Pour réduire les dissidents au silence, il a fréquemment recours aux menaces de mort, aux enquêtes policières et aux passages à tabac.
C’est précisément ce qu’a vécu Raymond Basilio, qui dirige un syndicat représentant 220 000 enseignants, travailleurs de soutien scolaire, éducatrices de la petite enfance et employés des écoles postsecondaires. L’ACT fait campagne pour limiter la taille des groupes scolaires et améliorer le salaire des enseignants, ceux-ci ne gagnant que 20 754 pesos (environ 400 $) par mois. Le confrère Basilio, en tant que visage de son syndicat, s’est attiré les foudres du gouvernement. Lorsque l’ACT a organisé un « sit-in » en réponse à l’appel à une grève nationale des travailleurs du secteur public, incluant les enseignants et le personnel scolaire représentés par son syndicat, on l’a ciblé, ainsi que d’autres dirigeants syndicaux et leurs proches.
« Les enseignants qui se battent pour de meilleurs soutiens à l’éducation, des groupes moins nombreux, des salaires plus élevés et la justice sociale ne méritent pas qu’on les persécute. Le syndicalisme n’est pas un crime. On ne devrait pas violer nos droits », a déclaré le confrère Basilio, qui a passé les dernières années à se déplacer de maison en maison, changeant constamment de numéro de téléphone, parce qu’il craint pour sa vie et la sécurité de sa famille.
Aux Philippines, on trouve 27,7 millions d’élèves répartis dans 42 000 villages, mais seulement 39 000 écoles primaires et 8 000 écoles secondaires. En ce qui concerne l’enseignement postsecondaire, le Fonds monétaire international et ses accords de prêt exercent des pressions pour la privatisation des universités. La Banque mondiale insiste pour que ces universités privées hébergent aussi des centres commerciaux et des bureaux.
Aux Philippines, les travailleurs du secteur public, y compris ceux de l’éducation, ne peuvent pas négocier leurs salaires. Ceux-ci sont dictés législativement par le gouvernement national. La convention collective de l’ACT prévoit une capacité limitée de négociation des avantages sociaux. Mais le plus inquiétant, peut-être, c’est que les enseignants et les travailleurs scolaires exercent peu d’influence sur la qualité de l’enseignement dispensé aux élèves. Ils ne peuvent pas négocier la taille des groupes, le financement des besoins particuliers ou la dotation en personnel de soutien. Et il n’existe aucun mécanisme permettant de lutter contre la privatisation de l’enseignement postsecondaire.
À 30 ans, Raymond Basilio a passé la majeure partie de sa vie adulte à militer pour les droits de la personne. Il n’avait pas subi d’intimidation avant la récente campagne du gouvernement. « Devant ce genre de tactiques, on se demande si on peut protéger sa famille. » Avec beaucoup de cran, il a défié ouvertement la police à la télévision nationale, puis il a porté plainte pour harcèlement.
Il n’est pas le seul dirigeant syndical à être persécuté par l’État philippin. Mais depuis qu’il voyage à l’étranger pour parler de l’effritement des droits du travail, il est devenu l’un des militants les plus en vue de son pays.
« En ces temps difficiles, les dirigeants syndicaux ne doivent pas hésiter. Ils doivent être visibles. Ils doivent prendre des risques. Je continue à faire de l’organisation, à dire publiquement qu’on viole mes droits et ceux des autres citoyens de mon pays. Et personne ne me fera taire à propos de l’amélioration du financement de l’éducation et du salaire des enseignants et des travailleurs scolaires. »
Quand on lui demande sa perception générale du Canada et de ses syndicats, le confrère Basilio répond qu’il y voit la démocratie à l’œuvre, autant au niveau syndical qu’au niveau politique. « C’est l’idéal de la solidarité. Ce sont des droits importants à défendre. Aux Philippines, où on a assisté à la destruction des processus démocratiques, même des formes de protestation telles que dénoncer et critiquer les politiques de l’État, sont considérées comme des actes terroristes. Je suis un exemple de cette répression. »