Des documents gouvernementaux rendus publics récemment révèlent les projets de privatisation qui animent la banque de l’infrastructure proposée par les Libéraux.
Le journal Globe and Mail parle de séances d’information qui démontrent que la Banque de l’infrastructure du Canada a été conçue à partir de conseils provenant presque exclusivement des sociétés et des investisseurs privés qui vont en tirer profit, dont les caisses de retraite.
- Voici le lien pour lire l’article en anglais : Private-sector role in Canada Infrastructure Bank raises conflict issues (abonnement requis)
En se basant sur des documents obtenus grâce à la Loi de l’accès à l’information, le Globe and Mail décrit des réunions échelonnées sur plusieurs mois. Les membres du conseil consultatif sur la croissance économique, constitué par le ministre des Finances Bill Morneau, ont pu « échanger directement avec les ministres, les hauts fonctionnaires et les attachés politiques sur les thèmes du budget 2017 et le projet de Banque de l’infrastructure du Canada. » Ce conseil consultatif se compose presque exclusivement de représentants du secteur privé.
Le premier ministre Justin Trudeau et ses ministres ont collaboré étroitement avec la firme d’investissement privé BlackRock à la préparation d’une réunion clé en novembre 2016 « pour s’assurer que le message que les ministres livreraient à huis clos correspondrait à ce que les clients de BlackRock veulent entendre ».
Ces révélations expliquent pourquoi les Libéraux ont renié leur promesse électorale de mettre sur pied une banque qui fournirait des prêts à bas taux d’intérêt aux municipalités. Dans le projet actuel, cette banque s’appuiera sur le financement privé, beaucoup plus coûteux. La législation qui crée cette banque, enterrée loin dans le projet de loi budgétaire omnibus du gouvernement, est actuellement débattue au Parlement.
Les documents internes montrent aussi que le PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Michael Sabia, participe directement à la constitution d’une banque dont la Caisse espère profiter dans le cadre d’un projet de train léger privatisé à Montréal.
Les risques des offres non sollicitées
Les conflits d’intérêts possibles pourraient se multiplier. La banque recevra et évaluera des offres non sollicitées du secteur privé en vue de privatiser l’infrastructure. Le projet de loi interdit aux représentants des gouvernements fédéral et provinciaux et des administrations municipales de siéger au conseil de direction de la banque.
Des documents obtenus par la Presse canadienne soulèvent le risque d’offres non sollicitées. Selon elle, une note d’information émanant du ministère des Finances prévient que les offres non sollicitées entraînent plusieurs problèmes, dont « un manque de transparence dans la sélection et la mise en œuvre des projets, le contournement des processus de concurrence et de diligence, ainsi que l’acceptation de soumissions de mauvaise qualité, soit dans la conception ou dans l’exécution ».
- Voici le lien pour lire l’article en anglais : Infrastructure bank raises concern over unsolicited, non-government bids: documents
Aucune raison valable
Les chercheurs du groupe de réflexion de l’ancien directeur parlementaire du budget Kevin Page ont donné leur opinion sur la banque. Un mémoire de l’Institut des finances publiques et de la démocratie (IFPD) conclut qu’aucune raison valable ne justifie de recourir au financement privé pour notre infrastructure.
Dans sa version actuelle, la Banque de l’infrastructure du Canada « n’est pas intéressante, écrivent les chercheurs Azfar Ali Khan et Randall Bartlett, puisqu’elle risque de faire augmenter les coûts totaux aux contribuables tout en privatisant les actifs d’infrastructure les moins risqués et offrant le meilleur rendement. Pourquoi a-t-on besoin de cette banque ? Nous ne le savons pas, et “parce qu’il faut bien innover” n’est pas une réponse suffisante. »
- Voici le lien pour lire le mémoire de l’IFPD (en anglais) : “Where Were They Going Without Ever Knowing the Way?” Assessing the Risks and Opportunities of the Canada Infrastructure Bank
Ce rapport souligne qu’on privatisera uniquement les projets les plus rentables et les moins risqués.
« Puisque les coûts de ces actifs seront payés par les contribuables canadiens, qu’ils appartiennent à l’État ou au privé, écrivent les chercheurs, on en arrive à se poser la question : pourquoi les contribuables vendraient-ils au privé leurs actifs les plus précieux ? »
L’économiste du SCFP, Toby Sanger, aborde ces préoccupations et propose une solution publique dans son article récent pour le Centre canadien des politiques alternatives intitulé Creating a Canadian infrastructure bank in the public interest. Le SCFP sonne l’alerte à propos de la « banque de la privatisation » des Libéraux depuis qu’on l’a évoquée pour la première fois l’an dernier.