Le budget 2017 marque un progrès en appliquant une analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) aux besoins en matière d’égalité. Il reconnaît aussi, à juste titre, la nécessité de se pencher sur les formes combinées de discrimination et leur impact possible sur l’expérience globale d’une personne au Canada. Ces premiers pas sont importants et méritent des félicitations, mais le gouvernement aurait encore mieux fait d’arrimer des actions à ses belles paroles et à son analyse.
Élimination des écarts salariaux et création de bons emplois
Le budget souligne que les Canadiennes continuent de souffrir d’un important écart salarial sur la base du genre, l’un des plus élevés parmi les pays de l’OCDE, mais il ne propose aucune mesure pour l’éliminer. L’an dernier, le SCFP réclamait une loi proactive du fédéral sur l’équité salariale inspirée des recommandations du Groupe de travail sur l’équité salariale de 2004. La réponse du gouvernement : encore des recherches et des consultations, repoussant le dépôt d’un projet de loi vers la fin de 2018 même si on dispose déjà de nombreuses années de travaux de recherche et des exemples de régimes d’équité salariale au Québec et en Ontario.
Le budget identifie comme facteur de succès la « réduction des écarts salariaux et une participation accrue au marché du travail pour divers groupes d’hommes et de femmes ». Pourtant, il n’analyse pas la discrimination des personnes racialisées sur le marché du travail ; il ne la mentionne même pas. Le gouvernement admet que, par manque de données, il n’a pas pu appliquer son analyse ACS+ à l’ensemble du budget, mais il n’a pas prévu d’enveloppe budgétaire pour combler cette lacune. Le secrétariat LGBTQ2 dont la création est annoncée dans le budget 2017 devrait pouvoir fournir une analyse de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre dans le marché du travail.
Le gouvernement Trudeau a fait bien peu pour l’équité en matière d’emploi, c’est-à-dire pour lever les barrières à l’emploi que rencontrent les groupes en quête d’égalité. Dans le mémoire qu’il a remis au gouvernement fédéral dans le cadre des consultations sur l’accessibilité, le SCFP recommandait de rétablir les règles fédérales d’équité en matière d’emploi à ce qu’elles étaient avant l’ère Harper et de combler les lacunes du système d’équité en matière d’emploi.
Le budget 2017 promet des investissements dans la formation et le développement des compétences des groupes sous-représentés, dont les Autochtones et les personnes handicapées. Or, sans un bon système d’équité en matière d’emploi, on compromet l’embauche et la rétention de femmes, d’Autochtones, de personnes racialisées, de personnes handicapées et de membres de la communauté LGBTQ dûment formés. Un leadership du fédéral est pourtant essentiel à tout progrès.
Des prestations parentales pour qui ?
Un des grands axes du budget 2017 est l’accent sur les soins non rémunérés et l’équilibre entre travail et responsabilités familiales, deux facteurs qui pèsent lourd dans l’écart salarial des femmes. En plus d’investissements désespérément nécessaires dans l’éducation préscolaire et les services de garde, ainsi qu’une nouvelle prestation d’assurance-emploi pour les aidants naturels, le budget 2017 prolonge la durée des prestations parentales de l’assurance-emploi ; celles-ci passent de 12 mois à 18 mois. Malheureusement, les prestations n’augmentent pas, ce qui signifie que les parents qui choisissent de prolonger leur congé parental recevront 33 pour cent de leur salaire au lieu de 55 pour cent.
Ainsi, il est fort probable que seules les couples où un des parents gagne un salaire élevé se prévaudront de cette mesure, et non les personnes monoparentales, les parents à faible revenu ou les familles de la classe moyenne. Ce nouveau congé parental ne fera qu’enraciner l’écart salarial entre les sexes et le rôle d’aidante naturelle non rémunérée des femmes.
Le gouvernement Trudeau aurait pu, à la place, proposer un plan réellement féministe pour rendre la société plus équitable. Il a choisi d’ignorer les recommandations formulées par le SCFP l’an dernier pour l’aider en ce sens, dont notre recommandation de hausser le taux de remplacement du salaire de l’assurance-emploi à 70 pour cent.
Sécurité de la retraite
Dans le cadre de son analyse ACS+, le budget 2017 souligne que les femmes sont plus susceptibles d’être parmi les personnes âgées les plus vulnérables. Les femmes ont beaucoup de difficulté à économiser pour la retraite, en raison de la faiblesse disproportionnée de leur salaire et du temps qu’elles consacrent à des soins non rémunérés. L’automne dernier, le SCFP a exprimé sa déception devant l’annulation des clauses d’exception pour les femmes et les personnes handicapées dans le projet de bonification du Régime de pensions du Canada (RPC). Ces dispositions existaient depuis plusieurs décennies ; elles aidaient les personnes handicapées et celles qui élèvent des enfants à toucher des prestations de retraite équitables. Le budget est muet sur la nécessité de corriger cette grave lacune du projet de bonification.
Protection des droits fondamentaux de la personne
S’il prend d’importants engagements financiers pour les droits des Autochtones, le budget 2017 ignore honteusement le sous-financement discriminatoire des services d’aide à l’enfance dans les réserves. Jusqu’à présent, le gouvernement Trudeau refuse de se plier à la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) d’appliquer le « principe de Jordan » et d’assurer à tous les enfants autochtones l’accès aux mêmes services que les autres enfants canadiens. Ce budget promet en termes vagues de régler cette crise, mais il ne consacre pas de nouveaux crédits aux enfants autochtones qui vivent dans les réserves. La Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations entend poursuivre le gouvernement pour outrage au tribunal si celui-ci persiste à faire fi de la décision du TCDP.
Le budget consacre 100,9 millions de dollars sur cinq ans au développement d’une stratégie nationale pour combattre la violence fondée sur le sexe. Il s’agit d’une mesure positive pour réduire le degré inacceptable de violence contre les femmes qui sévit au pays, particulièrement contre les femmes autochtones, racialisées, handicapées et LGBTQ. Le SCFP s’attend à ce que le gouvernement demande conseil aux organismes communautaires sur le terrain et qu’il les subventionne.
Le gouvernement aurait pu adopter d’autres mesures positives pour s’attaquer à la violence fondée sur le sexe, dont la violence dans le monde du travail. Récemment, le gouvernement manitobain est passé à l’histoire en adoptant une loi qui accorde cinq jours de congé aux survivants de violence familiale. Le fédéral devrait lui emboîter le pas et ajouter le congé payé pour violence familiale au Code canadien du travail.
Le budget 2017 investit dans le Programme de travailleurs étrangers temporaires et dans le Programme de mobilité internationale, sans préciser en quoi cet argent frais améliorera le sort des travailleurs étrangers temporaires et des travailleurs migrants. Malgré ses promesses antérieures, le gouvernement n’a pas encore facilité la voie vers la citoyenneté pour ces personnes et il ne s’est pas attaqué aux problèmes bien réels de la permanence, de la mobilité et de la sécurité d’emploi mis de l’avant par les organismes de défense de ces travailleurs.