Myriam Leduc | Employée du SCFP

Au début de la pandémie de COVID-19 en 2020, on assistait à des mises à pied massives dans diverses industries au Canada, résultant en pertes d’emploi pour des milliers de travailleuses et travailleurs, syndiqués ou non, à travers le pays. Et ce, malgré les différentes aides gouvernementales qui visaient à encourager les entreprises à garder leurs employé(e)s au travail. 

Deux ans plus tard, la pénurie de main-d’œuvre est sur presque toutes les lèvres. Pourtant, les emplois perdus ont été récupérés et le taux de chômage a baissé. 

En regardant les données, il est clair que nous avons un problème. Au cours des deux années précédant la pandémie, il y avait entre 500 000 et 600 000 postes à pourvoir au pays. Ce nombre a grimpé en flèche pour atteindre 900 000 au dernier semestre de 2021.

Ainsi, les économistes et le SCFP ont constaté que dans le cas d’une augmentation du nombre de postes vacants dans un secteur où la rémunération reste stable, comme la santé, ceci est probablement lié à un manque de personnes prêtes à travailler pour le salaire offert.

D’autre part, dans les secteurs où les salaires ont quelque peu augmenté, tels que l’hôtellerie, les employeurs n’offrent toujours pas suffisamment d’heures de travail par semaine pour permettre aux gens de joindre les deux bouts.

Au Québec, la crise est encore plus tangible dans certains secteurs, comme la restauration ou le commerce au détail, où les emplois offerts sont généralement précaires et les conditions de travail, peu avantageuses. Des industries entières se sont construites sur le « cheap labour » et le taux de roulement incessant de jeunes travailleurs et travailleuses, sans vraiment qu’on se soucie de leur offrir de meilleures conditions de travail. 

Depuis un certain temps, la pénurie de main-d’œuvre frappe aussi de plein fouet le secteur public québécois, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation, créant une crise sans précédent. Les jeunes quittent massivement ces secteurs en quête d’emplois avec des conditions de travail plus attrayantes, qui permettent une réelle conciliation travail-vie personnelle, qui reconnaissent leur expertise et leur autonomie, et qui sont moins exigeants sur le plan de la santé mentale. 

La pandémie a non seulement modifié le rapport des gens à leur emploi, elle a aussi accentué cette pénurie de main-d’œuvre déjà inévitable à cause du vieillissement de la population, et donc des travailleuses et travailleurs.  

Afin d’assurer la pérennité et la qualité des services offerts à la population à long terme, les employeurs doivent miser sur l’embauche d’employé(e)s plus jeunes et être à l’écoute de leurs besoins, notamment via une rémunération et des avantages sociaux équitables, des modalités de travail flexibles et des programmes de mentorat pour les personnes moins expérimentées. 

Pourtant, et ce même si les organisations syndicales ont fait des gains importants lors de la dernière négociation du secteur public, le gouvernement du Québec tarde à donner le grand coup de barre plus que nécessaire dans les conditions de travail intangibles des salarié(e)s de l’État, qui permettrait de conserver les jeunes (et les moins jeunes) dans ces emplois essentiels.

Dans le récent article de la revue Gestion de HEC Montréal intitulé « Pénurie de main-d’œuvre : la catastrophe annoncée », on peut lire que « cette rareté de la main-d’œuvre a des impacts majeurs sur les entreprises. Une étude de la BDC montre que la moitié d’entre elles peine à trouver des travailleurs et travailleuses et qu’un quart d’entre elles éprouve de la difficulté à retenir ses employé(e)s », empêchant ainsi ces entreprises à atteindre leur potentiel de croissance.

Mais la pénurie de main-d’œuvre, c’est une catastrophe pour qui ? Pour les jeunes travailleurs et travailleuses, cette pénurie de main-d’œuvre n’est-elle pas plutôt synonyme de choix dans un monde du travail qui en offre souvent peu pour les derniers arrivés ? C’est à se demander si un certain retour du balancier constitue vraiment une catastrophe. 

Pour les jeunes qui sont sur le marché du travail, cette pénurie de main-d’œuvre est une opportunité de faire réaliser aux employeurs la valeur de leur travail et de demander mieux. 

La pandémie a également obligé les employeurs à revoir l’organisation du travail afin de permettre le travail à distance. Cette démocratisation du télétravail a fait ses preuves durant les deux dernières années, en plus de permettre une meilleure conciliation travail-vie personnelle aux travailleuses et travailleurs, un enjeu primordial pour les jeunes. En effet, une récente étude du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ) a conclu que 66 % des jeunes professionnels de 16 à 35 ans souhaitent travailler en tout temps de la maison, tandis que 33 % désirent un modèle hybride et seulement 1 % veulent retourner au bureau à temps complet.

Alors que c’était commun pour les générations précédentes de travailler toute leur vie au sein de la même entreprise, notamment à cause des avantages sociaux, dont les fonds de pension à prestation déterminée, qui rendaient très avantageux de faire carrière à un seul endroit, les jeunes générations sont plus enclines à changer d’emploi au gré des opportunités et des avantages offerts. 

Ces travailleuses et travailleurs sont à la recherche d’environnements de travail plus valorisants, où ils sont reconnus, consultés et peuvent avoir une réelle contribution, dans un monde où les horaires de travail sont souvent éclatés et les limites entre la vie au travail et à la maison sont de plus en plus floues. 

Pour les employeurs, les défis sont réels, mais les solutions existent. Comment créer, en 2022, un milieu de travail durable qui donne envie aux jeunes travailleuses et travailleurs de rester ? 

Peut-être que d’imposer de longues périodes de probation aux derniers rentrés et d’offrir moins d’avantages sociaux aux employé(e)s temporaires, souvent plus jeunes, n’est plus la solution. 

La flexibilité, la reconnaissance, les conditions avantageuses, la conciliation travail-vie personnelle et l’engagement social sont toutes des conditions gagnantes pour l’attraction et la rétention des jeunes travailleuses et travailleurs et ce, surtout, dans nos services publics victimes de l’austérité et de l’exode de personnel. 

La majorité de ces enjeux sont souvent amenés et défendus par les syndicats aux tables de négociation, notamment dans les milieux cols blancs et professionnels. Or, même dans ces milieux, faire des percées constitue encore un défi. 

Le moment est venu de voir la pénurie de main-d’œuvre autrement : moins comme une catastrophe annoncée et plutôt comme une opportunité à saisir pour transformer le monde du travail et renverser le rapport de force.