Au début de la pandémie, le Canada a été frappé par une vague de pertes d’emplois. Le marché du travail a récupéré ces emplois avant la fin de 2021. Par contre, très rapidement, les économistes qui s’étaient inquiétés du chômage lié à la pandémie ont commencé à s’inquiéter du problème inverse : la pénurie de main-d’œuvre.
En regardant les données, il est clair que nous avons un problème. Au cours des deux années précédant la pandémie, il y avait entre 500 000 et 600 000 postes à pourvoir au pays. Ce nombre a grimpé en flèche pour atteindre 900 000 au dernier semestre de 2021.
En tant que défenseurs des travailleurs et travailleuses, nous devons comprendre ce qui se cache derrière cette énorme augmentation. Les employeurs et les gouvernements prétendent souvent que le nombre de postes à pourvoir reflète un manque de personnes qualifiées, mais ce n’est pas toujours le cas.
Par exemple, dans le cas d’une augmentation du nombre de postes à pourvoir dans un secteur où la rémunération reste stable, il se peut que ce nombre soit lié à un manque de personnes prêtes à travailler pour le salaire offert. Or, plutôt que d’augmenter les salaires à un niveau suffisant, plusieurs employeurs se tournent vers les travailleurs migrants pour combler le manque.
Ce scénario s’observe en ce moment dans le secteur de la santé.
Le secteur de la santé enregistrait déjà, avant la pandémie, un nombre de postes vacants supérieur à la moyenne. Entre le début de la pandémie et la fin 2021, celui-ci a presque doublé, passant de 64 000 à 126 000.
Et cela s’explique par la faiblesse des salaires. En effet, malgré le grand nombre de postes affichés et le besoin désespéré de main-d’œuvre, les salaires dans le secteur de la santé n’ont même pas suivi l’inflation. Cette lente croissance des salaires est directement liée à l’ingérence politique dans les négociations collectives, car les gouvernements provinciaux ont plafonné les augmentations salariales dans le secteur public. Dans certains cas, ce plafond est aussi bas qu’un pour cent.
Dans d’autres cas, les postes à pourvoir découlent d’un manque d’heures disponibles. Prenons, par exemple, le secteur de l’hôtellerie et des services de restauration.
Ce secteur compte le plus grand nombre de postes à pourvoir au pays. C’est aussi le seul secteur dans lequel, au cours de la dernière année, le salaire horaire a augmenté plus rapidement que le taux d’inflation.
Compte tenu du nombre inhabituellement élevé de postes à pourvoir dans ce secteur, les économistes s’attendraient à ce que le personnel actuel travaille plus d’heures pour couvrir la pénurie de personnel. Pourtant, le nombre moyen d’heures travaillées y était inférieur en 2021 (26,4 heures par semaine) à ce qu’il était en 2019 (28,3 heures par semaine). Les données suggèrent donc que même si les salaires dans le secteur ont augmenté, les employeurs n’offrent toujours pas suffisamment d’heures par semaine pour permettre aux gens de joindre les deux bouts.
Dans ces deux scénarios, ce qui semble être une pénurie de main-d’œuvre est en fait une pénurie de salaires et d’heures. Une véritable pénurie de main-d’œuvre, en revanche, se manifeste lorsqu’on constate une augmentation des postes à pourvoir malgré une augmentation simultanée des salaires et des heures. C’est probablement le cas du secteur canadien de l’information, de la culture et des loisirs, qui affiche un nombre élevé de postes à pourvoir malgré une augmentation des salaires de près de sept pour cent et une augmentation des heures hebdomadaires (de 31,6 par semaine en 2019 à 34 heures par semaine en 2021).
Les données suggèrent donc que de nombreux postes vacants sont liés à l’insuffisance des salaires et des heures plutôt qu’à un manque de travailleuses et de travailleurs. Pourtant, les employeurs, eux, prétendent qu’ils ont besoin de plus de « flexibilité » pour pourvoir ces postes. Au lieu d’offrir des conditions de travail équitables, ils réclament un relâchement des lois du travail et des protections contre le chômage. Les employeurs plaident aussi pour une augmentation du nombre de travailleuses et de travailleurs temporaires et précaires, y compris celles et ceux liés à un seul employeur dans le cadre du Programme de travailleurs étrangers temporaires.
Une telle approche perpétue un système d’exploitation qui a un impact disproportionné sur les personnes migrantes et immigrées, en plus de d’avoir un impact négatif sur les conditions de travail de tout le monde. La croissance du travail précaire et mal rémunéré est le résultat de décennies de gouvernements libéraux et conservateurs qui ont érodé les droits des travailleurs et des travailleuses. Le nombre actuel de postes à pourvoir est causé par ces attaques de longue date. Nous ne pouvons pas résoudre notre problème de postes vacants en laissant les travailleuses et travailleurs immigrés et migrants au bas du marché du travail. Nous devons poursuivre notre combat pour un travail décent pour tout le monde.