Amanda Vyce | Service de recherche du SCFP

Qu’ils administrent la naloxone pour contrer les effets d’une surdose ou qu’ils ramassent les seringues dans les rues et les bibliothèques, les membres du SCFP constatent de façon directe les impacts de la crise des opioïdes sur la population. Mais comment la crise les affecte-t-elle ?

Une charge de travail abrutissante, une fatigue extrême, une anxiété irrépressible, des traumatismes, de multiples deuils (patients, usagers, clients, amis et proches).

Dans tous les secteurs et dans chaque province, les membres du SCFP constatent les effets de la toxicomanie aux opioïdes et de l’intoxication au fentanyl sur les individus et les communautés. Ils ressentent aussi la pression énorme qu’exerce cette crise sur nos services publics.

Au Canada, plus de 10 300 personnes sont décédées des suites d’une surdose d’opioïdes entre janvier 2016 et septembre 2018. Le fentanyl est en cause dans près des trois quarts de ces décès.

La crise des opioïdes est un problème de santé publique complexe qui découle de nombreux facteurs personnels, sociaux et économiques, notamment l’approvisionnement en drogues toxiques et la stigmatisation injuste des consommateurs de drogues. Soulignons que le nombre croissant de surdoses et de décès liés aux opioïdes affecte des personnes de tout âge, de toute race, de tout sexe et de toute classe économique. Toutes ces personnes dépendent de nos services publics pour obtenir de l’aide.

Des premières lignes qui se déplacent

Infographique:  La crise des opioides en coup d'oeilEn 2018, le SCFP a mené une enquête nationale auprès de ses membres sur la crise des opioïdes et son incidence sur leur travail. Nous savons maintenant que près de 170 000 membres travaillent en première ligne à répondre directement à la crise. Ils sont notamment répartiteurs d’urgence, ambulanciers, travailleurs en milieu hospitalier et intervenants en réduction des risques.

On s’attend à ce que ces membres soient de première ligne lors d’une crise de santé publique. Ils répondent aux personnes en surdose et connectent les toxicomanes aux services-conseils, aux soins de santé, aux centres de désintoxication, etc.

Ce qui suit pourrait cependant vous étonner : plus de 300 000 membres du SCFP travaillant dans des services publics rencontrent régulièrement des gens avec des problèmes liés aux opioïdes ou sont susceptibles d’en rencontrer. Cela les affecte sur les plans personnel et professionnel. Leur lieu de travail (bibliothèques, services sociaux, monde municipal, éducation) les place également en première ligne. 

« Nous desservons un grand nombre de personnes directement ou indirectement touchées par la crise des opioïdes », raconte Thomas Krzyzanowski, premier directeur de la succursale de la rue Parliament de la bibliothèque publique de Toronto. « Nous avons donc adapté nos services pour les clients susceptibles d’être affectés par leur consommation d’opioïdes ou par celle d’un proche. »

Alors que la crise des opioïdes s’aggrave, ses effets se font sentir sur des employés qui ne sont normalement pas considérés comme premiers intervenants. Et comme ces membres remplissent des tâches qui ne correspondent pas à leur description de fonction d’origine, les premières lignes se déplacent. 

« Cette crise et la croissance des inégalités ont augmenté le temps que nous consacrons aux usagers en situation de vulnérabilité et susceptibles de connaître une crise, explique M. Krzyzanowski. Cela a mis en lumière la nécessité de fournir au personnel de la bibliothèque davantage de formation et de ressources pour faire leur travail efficacement et préserver leur santé mentale. »

À Vancouver, Danielle LaFrance est consciente de la complexité de son travail de bibliothécaire communautaire dans le quartier Downtown Eastside. Elle garde de la naloxone avec elle pour répondre aux usagers qui semblent être en surdose.

« Quand nous travaillons à la succursale, il arrive souvent que nous réveillons des gens pour leur demander de se redresser. La crise a changé ma façon d’approcher un usager endormi. Cela augmente l’anxiété de certains employés. » Mme LaFrance est membre du SCFP 391 à la succursale Strathcona de la bibliothèque publique de Vancouver.

Les membres du SCFP qui, comme elle, travaillent en première ligne, sont fiers de pouvoir sauver des vies et d’aider à résoudre un large éventail de problèmes liés à la crise des opioïdes. Cependant, les demandes et les pressions que cela exerce sur eux peuvent avoir de lourdes conséquences.

Les impacts sur nos membres

À force de répondre aux besoins complexes de nos communautés (et de combler d’autres lacunes en services et en personnel), de nombreux membres se sentent épuisés et privés du soutien dont ils ont besoin.

« Le travail de bibliothécaire nécessite un travail incommensurable sur le plan affectif qui, combiné à nos tâches régulières, peut vous drainer émotionnellement et vous ébranler », explique Mme LaFrance.

Selon les résultats de notre enquête, les travailleurs de première ligne vivent des niveaux élevés de stress et d’accidents qui y sont associés. Ils font face à une charge de travail accrue, à l’épuisement professionnel et à une fatigue physique et psychologique. Certains vivent des traumatismes liés à de multiples deuils et à des problèmes de santé mentale comme le TSPT. D’autres ont besoin de plus de congés de maladie.

Si les impacts sur les travailleurs sont évidents, les solutions le sont également. Nos membres ont besoin de conditions de travail sûres et stables, d’effectifs suffisants et de meilleurs régimes d’avantages sociaux, avec un soutien en santé mentale.

Plus que tout, ils ont besoin qu’employeurs et gouvernements reconnaissent que leur travail est à la fois nécessaire, difficile et qu’il mérite du financement en conséquence.

Avancer, ne pas reculer

Partout au pays, au lieu d’investir dans la main d’oeuvre et dans les programmes dont nos communautés ont besoin, les gouvernements provinciaux de droite privent les citoyens du soutien sur lequel ils comptent pour être en santé, productifs et, dans certains cas, pour rester en vie.

En Ontario, le gouvernement Ford a coupé dans le financement des municipalités, des soins de santé, des services d’aide à l’enfance et des autres services sociaux. Il a décrété un plafond salarial dans le secteur public. Et, en pleine crise des opioïdes, il a retiré les subventions à six sites de consommation supervisée. Dans d’autres provinces conservatrices, les mesures d’austérité s’enchaînent. Les services publics essentiels, comme la santé et l’éducation, ont été reduits à néants et les salaires du secteur public stagnent ou sont carrément gelés.

Dans le contexte de la crise des opioïdes, ces compressions sont une arme à double tranchant. Avec une capacité réduite et une charge de travail accrue, ceux qui ont le plus besoin de ces services en sont privés, et les travailleurs sont épuisés et traumatisés.

Le SCFP a déjà revendiqué que le gouvernement fédéral augmente considérablement le financement pour faire face à la crise, afin que les travailleurs de première ligne reçoivent le soutien dont ils ont besoin. En outre, aux tables de négociation comme dans les manifestations, nous nous opposons aux coupures dans services publics provinciaux.

Dans le climat politique actuel, il ne suffit pas d’insister pour que les mesures prises contre la crise des opioïdes répondent aussi aux besoins des travailleurs de première ligne. Il faut repousser les attaques concertées de la droite contre les syndicats et organiser les nouveaux employés. Il faut prendre position contre les compressions, la restructuration, la sous-traitance et la privatisation. Aussi, il faut exiger le financement adéquat des services d’urgence, de santé, sociaux, etc.

Si les employeurs ne disposent pas des fonds nécessaires pour répondre aux besoins des travailleurs, nous ne serons pas en mesure de soutenir, et encore moins de développer, les réponses à la crise. De plus, les problèmes auxquels les travailleurs de première ligne sont confrontés continueront d’augmenter.