Devant les menaces tarifaires du président américain Donald Trump, les premiers ministres du Canada et les député(e)s fédéraux réclament la levée de certains obstacles au commerce intérieur. Beaucoup affirment que le produit intérieur brut (PIB) du Canada pourrait progresser de centaines de milliards de dollars grâce au simple retrait de barrières réglementaires.
Beaucoup d’échanges commerciaux sont réalisés entre les entreprises de l’ensemble des provinces et territoires, et ces échanges sont à la hausse. Selon Statistique Canada, le commerce interprovincial de produits manufacturés s’élevait à 170,5 milliards en 2022, soit une augmentation de 16,5 % par rapport à 2021. Les échanges de services sont encore plus importants, représentant environ 58 % du total des échanges interprovinciaux.
D’ailleurs, un sondage de Statistique Canada a révélé que davantage d’entreprises privilégient le marché national au marché international.
Ces données suggèrent que les bénéfices économiques associés à la levée des prétendus obstacles au commerce intérieur sont surestimés.
Devant les menaces tarifaires de Trump, il est vrai que les gouvernements fédéral et provinciaux devraient miser sur les échanges au sein du pays, mais les obstacles mentionnés concernent souvent des règlements et des mesures de protection qui servent d’autres fins que les tarifs. Ces règlements visent la protection des consommateurs et le maintien de normes importantes, notamment en matière d’environnement et de santé et sécurité. Il faut à tout prix éviter de négliger la valeur de ces règlements dans l’urgence de développer le commerce interprovincial.
Un document publié en 2022 par l’Institut Macdonald-Laurier — un groupe de réflexion sur les politiques publiques établi à Ottawa — soutient que la reconnaissance mutuelle des réglementations entre les provinces augmenterait le PIB du Canada de 100 à 200 milliards de dollars par an, soit une hausse de 4 à 7 % du PIB. Cette affirmation repose toutefois sur des suppositions erronées.
Premièrement, que deux facteurs seulement freineraient présentement le commerce interprovincial : les frais de transport et les barrières internes. Et deuxièmement, que la levée des barrières commerciales ferait en sorte que les échanges intérieurs seraient proportionnels à la production.
L’équipe de recherche a calculé l’écart entre les habitudes d’achat actuelles et celles d’un scénario sans barrières commerciales, en tenant compte des frais de transport. Elle estime que l’accroissement du commerce interprovincial équivaudrait à la croissance du PIB dans ce même scénario.
Cette optique n’évalue pas les avantages économiques ou sociaux du maintien des réglementations ou des barrières commerciales en vigueur. Pas plus qu’elle ne tient compte d’autres différences, telles que la spécialisation régionale de la production ou les préférences locales, qui pourraient contribuer à différentes tendances d’une province à l’autre pour ce qui est des achats interprovinciaux. Le document de l’Institut Macdonald-Laurier n’ex- plique pas pourquoi la levée des mesures de protection des services publics ou l’assouplissement de la réglementation en matière de santé et de sécurité entraîneraient une modification des pratiques commerciales ou la croissance économique estimée dans l’étude.
Qu’est-ce que ça signifie pour les membres du SCFP?
Les accords commerciaux compor- tent généralement une section qui permet aux parties d’exempter des pans spécifiques de leur économie de certaines règles de l’accord. Par exemple, certains services sociaux, comme les services éducatifs à l’enfance, sont soustraits des règles de l’accord commercial inter- provincial en vigueur, l’Accord de libre-échange canadien (ALEC).
En effet, une grande partie de la population canadienne est d’accord sur le fait que les décisions relatives aux services sociaux doivent être prises dans l’intérêt public, et non en fonction de considérations financières ou commerciales.
C’est à ces exceptions dans les accords commerciaux que les responsables politiques font allusion en évoquant la levée des barrières commerciales. Il y a de nombreuses exceptions dans l’ALEC qui sont directement liées au travail des membres du SCFP, comme les mesures de protection pour l’eau, l’énergie, les services sociaux et les normes de santé et de sécurité. Si on lève ces mesures de protection, il pourrait être très difficile de les réintégrer; il faut donc évaluer avec attention les modifications ou les éliminations proposées.
Le 21 février dernier, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il éliminait 20 exceptions à l’ALEC. Cette mesure est contre-productive.
En sabrant dans ces mesures, le fédéral a affaibli sa capacité à :
- adapter les investissements dans les infrastructures en fonction des besoins nationaux et régionaux;
- approuver le transport d’énergie par pipelines et par lignes électriques;
- faire avancer un cadre général sur le développe- ment économique régional.
Et ce, au moment même où, devant la menace tarifaire, il faudrait faire exactement le contraire.
Il faut maintenir nos politiques publiques afin de mettre en œuvre des solutions publiques dans des secteurs clés comme l’agriculture, le transport, les télécommunications et les ressources naturelles, et diversifier les marchés des produits canadiens hors États-Unis. Par exemple, les frais et la disponibilité du transport étant les plus grands obstacles au commerce interprovincial, les gouvernements devraient privilégier la construction d’infra- structures de transport public d’est en ouest afin de stimuler le commerce interprovincial.
Défendre les droits des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à offrir des services et construire des infrastructures dans l’intérêt public sont des éléments cruciaux dans la protection du modèle socioéconomique canadien contre les tarifs de Donald Trump.