Les grèves sont un outil puissant sur lequel les travailleuses et travailleurs s’appuient pour se faire entendre. C’est particulièrement vrai en période de difficultés économiques. Lorsque les pressions économiques comme l’inflation placent les travailleuses et travailleurs dans une situation précaire, des conflits de travail s’ensuivent souvent. Les années 1970 illustrent bien ce phénomène, où la montée de l’inflation a provoqué une vague de grèves et de lock-out.
Alors que l’inflation a de nouveau bondi en 2022, beaucoup se sont demandé si nous allions assister à une hausse similaire des grèves et des lock-out. Des données publiées récemment confirment cette hypothèse, particulièrement au Québec.
Le Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) recense les arrêts de travail causés par des grèves ou des lock-out qui entraînent une perte de 10 jours-personnes ou plus. Un jour-personne correspond au travail d’une personne pendant une journée. Par exemple, 10 travailleurs et travailleuses en grève pendant une journée représentent 10 jours-personnes de travail perdu.
Si l’on regarde la moyenne mobile sur cinq ans à partir du début des années 2000, le nombre d’arrêts de travail au Canada a lentement diminué au fil du temps. Cette tendance s’est toutefois inversée en 2023, avec une forte augmentation des arrêts de travail au Québec et une légère hausse dans le reste du Canada. Le Québec a enregistré 690 arrêts de travail en 2023, soit 9,5 fois plus que la moyenne quinquennale précédente. Dans le reste du Canada, le nombre d’arrêts de travail a été multiplié par 1,4, avec 88 arrêts de travail.
Plus de 600 arrêts de travail au Québec ont eu lieu dans le secteur public. La majorité de ces arrêts de travail s’inscrivaient dans le cadre du mouvement historique du Front commun. La coalition du Front commun a impliqué 420 000 travailleuses et travailleurs de multiples syndicats du secteur public qui ont participé à une série de grèves tournantes à partir de novembre 2023. Bien que le gouvernement du Québec ait initialement offert à la coalition une augmentation de salaire de 9 % sur 5 ans, les grévistes ont réussi à obtenir une augmentation de 17,4 % au terme de leur conflit de travail à la fin du mois de décembre 2023.
Malgré la forte hausse du nombre d’arrêts de travail en 2023, cette donnée ne brosse qu’un tableau partiel de la situation. Pour bien saisir l’ampleur de ces moyens de pression, il faut aussi tenir compte des jours-personnes perdus.
Les jours-personnes perdus reflètent non seulement le nombre d’arrêts de travail, mais aussi leur durée et le nombre de personnes impliquées. Cette mesure nous donne donc un meilleur aperçu de leur impact. Par exemple, une seule grève de longue durée impliquant de nombreux travailleurs et travailleuses (plus de jours-personnes perdus) peut avoir un effet beaucoup plus important sur la productivité et l’économie que plusieurs grèves de plus courtes durée mobilisant moins de personnes (moins de jours-personnes perdus).
La moyenne quinquennale des jours-personnes perdus est restée plutôt stable tout au long des années 2000 au Québec et a diminué dans le reste du Canada entre 2005 et 2019. Cependant, en 2023, le Québec a déclaré 4,6 millions de jours-personnes perdus en raison d’arrêts de travail, soit 11 fois plus que la moyenne quinquennale précédente. Dans le reste du Canada, 1,96 million de jours-personnes ont été perdus, soit le double de la moyenne quinquennale précédente.
Lorsque le nombre d’arrêts de travail augmente et que le nombre de jours-personnes perdus grimpe en flèche, comme ce fut le cas au Canada en 2023, on peut déduire que les grèves et les lock-out ont été non seulement plus nombreux que les années précédentes, mais qu’ils ont également duré plus longtemps ou qu’ils ont impliqué davantage de travailleuses et travailleurs. Les données du Québec et du reste du Canada montrent précisément que les conflits de travail de 2023 ont impliqué davantage de travailleuses et travailleurs. Nous le savons parce que la durée moyenne des arrêts de travail a diminué en 2023.
Les données ne sont disponibles que pour les cinq premiers mois de 2024, mais jusqu’à maintenant, le nombre de jours-personnes perdus est revenu aux niveaux d’avant 2023. Néanmoins, la hausse spectaculaire des arrêts de travail et des jours-personnes perdus en 2023, en particulier au Québec, met en évidence le rôle important que joue l’action collective dans la protection des droits des travailleuses et travailleurs en périodes économiques difficiles. Pour les travailleuses et travailleurs du secteur public, il s’agit d’un rappel clair du pouvoir que confère la solidarité. Face aux pressions économiques persistantes, il convient de faire preuve de vigilance et de prendre tous les moyens disponibles pour garantir des salaires justes et des conditions de travail équitables.