Emily Turk | Service des communications du SCFP
On se sent ridicule de demander à Jennifer Kirby si la crise des opioïdes a des répercussions sur son travail. Elle travaille dans les services à l’enfance et à la famille chez Brant FACS à Brantford, en Ontario, une communauté qui affiche le deuxième taux le plus élevé d’hospitalisations pour empoisonnement aux opioïdes au Canada.
Brantford, une ville d’environ 100 000 habitants, est aux prises avec une autre réalité terrible : les coupures imposées par Doug Ford dans les services sociaux. Dans l’année qui a suivi son élection, le gouvernement Ford a procédé à des compressions draconiennes dans tout, allant des programmes de soutien du revenu aux services aux autistes. « Tous nos fournisseurs de services sont aux prises avec cette crise », explique Mme Kirby, aussi présidente du SCFP 182. « Et si on ajoute la complexité des dossiers de la protection de l’enfance, ça devient presque impossible. »
Comme la plupart des sociétés d’aide à l’enfance de l’Ontario, Brant FACS souffre d’un sous-financement chronique, mais les compressions budgétaires de Ford ont fait particulièrement mal en cette période de vulnérabilité.
« Près de 30 pour cent des enfants qui nous sont confiés le sont à cause du problème d’opioïdes d’un parent, précise Mme Kirby. Et la complexité de ces dossiers draine nos ressources. Un jeune enfant est décédé, parce qu’il a touché à du fentanyl. On a retrouvé un garçon dans sa maison, à côté de son père qui avait fait une surdose par terre. Protéger les enfants est devenu beaucoup plus difficile qu’avant. »
Pour Mme Kirby, agente en développement communautaire et intervenante en soutien familial depuis plus de 20 ans, les temps n’ont jamais été aussi désespérés : « On ne prend plus de pauses. On roule à fond de train tout le temps. Les gens sont stressés à force de chercher à respecter les normes, de sorte que leur santé mentale en souffre. »
En mars, Brant FACS a été contraint de licencier 26 personnes en raison des coupures de M. Ford. Et l’organisme prévoit d’autres compressions. « Ici, on parle de “nouvelle normalité”. Et savoir que le financement diminuera encore ne fait qu’ajouter au stress. »
Mme Kirby et ses collègues sont au bout du rouleau physique et psychologique. C’est ce qui arrive quand on prive des ressources d’un service public déjà pauvre, en pleine crise du fentanyl. Elle dit que beaucoup de ses collègues ont du mal à dormir, parce qu’ils s’inquiètent pour les enfants placés sous leur responsabilité.
« Nous voulons garder les familles ensemble. Hélas, à cause du risque élevé entourant cette crise des opioïdes, on doit retirer immédiatement les enfants de leur foyer. Nous sommes donc aux prises avec un dilemme interne : ce n’est pas pour ça que nous avons choisi ce métier. Je veux aider les enfants, les protéger et venir en aide aux familles, alors que dans ces cas-là on les déchire. »
Mme Kirby et ses collègues ont demandé à leur député provincial les ressources nécessaires pour aider les plus vulnérables de leur communauté. On leur a refusé une rencontre avec le ministre.
« Nous n’avons pas les ressources pour servir ces familles, souligne-t-elle. Si nous prenons des enfants en charge, c’est parce que nous n’avons pas les services pour les aider à rester chez eux. Le système est surchargé. Le nombre de dossiers par personne augmente. Nous passons plus de temps à répondre à la crise qu’à aider ces familles, particulièrement celles qui souffrent de cette crise. »
Même si le moral est bas et la route ardue, Mme Kirby se montre encouragée par les protestations. Elle puise sa force de ses collègues membres du SCFP. « Les gens pensent qu’ils luttent seuls. Mais en sachant que mes consœurs et confrères du secteur de la santé, du secteur municipal et des soins de longue durée vivent la même chose, je vais pouvoir tenir le coup. Et je pense que le SCFP va dans la bonne direction. »
Photo: SCFP Ontario