Kevin Skerrett | Service de la recherche du SCFP
Le budget fédéral déposé le 22 mars dernier démontre que la volonté de favoriser la privatisation des infrastructures affichée sous l’ancien gouvernement conservateur se poursuivra, voire s’accentuera, sous les libéraux.
Malheureusement, les électeurs séduits par la promesse libérale d’investir 120 milliards de dollars sur 10 ans dans les infrastructures ne savaient pas que la privatisation ferait partie de l’équation. Ces citoyens qui réclamaient avec raison qu’on rebâtisse nos infrastructures après des décennies de négligence et de sous-financement de la part des gouvernements successifs ont donc été bernés.
Depuis plusieurs années, l’investissement dans les infrastructures est de plus en plus synonyme de privatisation. Dans un nombre croissant de secteurs, des fonds publics sont versés dans des partenariats public-privé (PPP) et d’autres projets coûteux et inutiles où le secteur privé devient gestionnaire, et même propriétaire, d’actifs vitaux qui devraient demeurer publics.
Le budget fédéral va dans ce sens. Il incite les grands régimes de retraite du secteur public à investir massivement dans le renouvellement des infrastructures. Cette tendance au Canada comme ailleurs dans le monde, où des régimes de retraite achètent de vastes parts dans les infrastructure publiques (aéroports, routes, ports, services d’eaux), est profondément troublante.
À première vue, il peut sembler intéressant que des régimes de retraite de travailleurs investissent dans des infrastructures publiques dont nous avons cruellement besoin. Or, dans l’après-guerre, les régimes de retraite ont appuyé les besoins en financement public en achetant des obligations gouvernementales, des titres sûrs, à risque faible et profitables à long terme. C’était un partenariat idéal : les régimes de retraite mettaient leurs fonds à la disposition des gouvernements pour financer les projets d’infrastructures dont les administrations et la population avaient besoin.
La nouvelle tendance est beaucoup moins avantageuse. Les régimes de retraite financent des PPP qui font passer la propriété, le contrôle et la gestion des infrastructures publiques aux mains d’entreprises qui cherchent à réaliser des profits. Selon le budget fédéral, le gouvernement prévoit investir 120 milliards de dollars dans les infrastructures au cours des 10 prochaines années.
Recyclage d’actifs = privatisation
Le plan libéral propose de « mobiliser les régimes de retraite publics » dans des initiatives d’investissement qui incluent aussi le « recyclage d’actifs », une autre forme de privatisation. Dans les faits, plusieurs gestionnaires de régimes de retraite ont déjà sollicité des rencontres avec le ministre fédéral responsable des infrastructures, Amarjeet Sohi.
Ce changement d’orientation dans les politiques canadiennes s’inscrit dans une tendance mondiale à la privatisation des infrastructures, une tendance qui s’accélère depuis une quinzaine d’années. Les régimes de retraite canadiens sont d’ailleurs dans le peloton de tête. Profitant d’une bonne image publique, ils prennent carrément le contrôle d’aéroports, de ports, de systèmes d’eaux, de chemins de fer et de réseaux énergétiques, notamment.
Contrairement à ce qui se passait auparavant, les régimes de retraite ou leurs filiales deviennent les propriétaires et les exploitants directs des infrastructures qu’ils acquièrent. Ce niveau de propriété et de contrôle fait en sorte que les régimes de retraite deviennent des compagnies du secteur des infrastructures qui entrent en concurrence avec d’autres entreprises privées et avec le secteur public.
Les régimes de retraite de travailleurs ne doivent pas servir d’outil de privatisation, ni au Canada ni à l’étranger. Lors du congrès national du SCFP de novembre 2015, les délégués ont massivement adopté une résolution qui engage notre syndicat à lutter contre toute utilisation des fonds des régimes de retraite publics qui favoriserait la privatisation. Le SCFP veillera à ce que les fonds de son propre régime de retraite soient investis dans le renouvellement et l’expansion des infrastructures publiques de façon à les renforcer, à préserver le contrôle public et à assurer l’accessibilité.