À la fin de janvier, le Conference Board du Canada publiait un rapport intitulé Détruire les mythes. Le document prétend montrer que les partenariats public-privé (PPP) canadiens ont permis au secteur public de réaliser d’importants gains en matière d’efficience, un niveau élevé de respect des coûts et une plus grande transparence que n’aurait permis l’approvisionnement conventionnel.

 

Toutefois, le rapport est incroyablement tendancieux et superficiel dans son analyse et ne mérite pas qu’on lui accorde la moindre crédibilité.

Le document a recours aux analyses de la « valeur ajoutée » produites par les agences provinciales de promotion des PPP sans les remettre en question, ne tient aucun compte des derniers rapports critiques des vérificateurs généraux, établit des comparaisons tendancieuses dans ses études de cas, interprète erronément les faits et n’offre aucune analyse de fond pour étayer ses affirmations.

Voici quelques-uns des principaux défauts de ce rapport :

1. Il se fie à des analyses de la « valeur ajoutée » superficielles pour confirmer ses prétentions d’efficience et d’économie

Le Conference Board se fie entièrement aux analyses de la valeur ajoutée produites par les agences provinciales de PPP pour soutenir ses prétentions d’efficience et d’économie. Ces analyses sont hautement superficielles et ne présentent qu’une information sommaire qui a été manipulée par les agences.

Les hypothèses utilisées dans ces analyses, en particulier en ce qui a trait aux taux d’escompte et au transfert de risques, sont extrêmement suspectes. Elles mènent à de grandes exagérations du coût de l’approvisionnement en mode conventionnel et minimisent le coût à long terme des PPP. La validité de ces analyses de la valeur ajoutée a fait l’objet de vives critiques de la part des vérificateurs généraux, mais le rapport du Conference Board n’en tient aucun compte.

En se fondant sur un simple résumé de ces analyses superficielles et tendancieuses de la valeur ajoutée – et sans autres faits réels – le rapport du Conference Board conclut que les PPP ont permis d’importants gains d’efficience pour le secteur public.

Pourtant, un sondage mené en 2008 par KPMG auprès de cadres du secteur public canadien souligne ce qui suit :

[Traduction]« Bien que 53 pour cent des cadres canadiens aient déjà mis en oeuvre une forme ou une autre de partenariat avec le secteur privé, et que 18 pour cent aient l’intention d’en faire autant au cours des deux prochaines années, seuls deux pour cent croient qu’une plus grande participation du secteur privé contribuera véritablement à améliorer l’efficience des services publics. »i

2. Il ne tient aucun compte de rapports extrêmement pertinents de vérificateurs généraux qui critiquent les PPP

L’une des omissions les plus flagrantes du rapport Détruire les mythes, c’est qu’il ignore ou rejette les importantes critiques formulées récemment par les vérificateurs généraux de plusieurs provinces. Cette attitude est inexcusable, puisque le rôle premier des vérificateurs généraux – un rôle d’ailleurs très respecté – est d’examiner les finances publiques de manière indépendante et objective.

Le rapport choisit de montrer quelques PPP qui n’avaient pas fait l’objet d’une vérification et il ne tient aucun compte des critiques très pertinentes formulées par les vérificateurs généraux à l’endroit des PPP et des processus de PPP.

À titre d’exemple, le rapport laisse entendre que les vérificateurs provinciaux ont examiné les méthodologies d’analyses de la valeur ajoutée et les ont « jugées appropriées ». Mais c’est l’inverse qui est vrai. Par exemple :

  • En novembre 2009, le vérificateur général du Québec affirmait ce qui suit : «À notre avis, les analyses de la valeur ajoutée produites par PPP Québec ne permettent pas de soutenir la conclusion que leur réalisation en mode PPP est préférable à une réalisation en mode traditionnel par le secteur public pour les raisons qui suivent. » Le rapport énumère ensuite six raisons pour lesquelles la méthodologie d’analyse de la valeur ajoutée de l’agence des PPP est en grande partie inutileii. Cette critique et les autres scandales impliquant les PPP dans la province ont bouleversé l’approche du gouvernement québécois et l’agence des PPP, et bien des manchettes ont même annoncé la mort des PPP au Québec. Il est impossible que les auteurs n’aient pas eu connaissance de ces développements; pourtant, le rapport est muet sur la question.
  • Le document du Conference Board mentionne le rapport du vérificateur général de l’Ontario sur l’hôpital en PPP William Osler de Brampton, dont une fois pour affirmer que la méthodologie d’analyse de la valeur ajoutée d’Infrastructure Ontario était appropriée. Mais Détruire les mythes oublie les principales conclusions de la vérification : « …que les coûts d’exécution du projet par le gouvernement avaient été surestimés d’un montant net de 634 millions de dollars » et « Si la province avait financé les travaux de conception et de construction à ce taux plus faible, elle aurait économisé environ 200 millions de dollars. » iii
  • Plus récemment, le vérificateur général de la Nouvelle-Écosse publiait un rapport sur les contrats d’écoles en PPP de la province iv. Sa vérification montrait que le projet de PPP a coûté aux conseils scolaires de la province au moins 52 millions de dollars de plus dans seulement deux des domaines examinés et que les contrats présentaient d’importantes échappatoires et de graves infractions à la sécurité. Ces conclusions et d’autres vérifications accablantes sur les écoles en PPP de la province sont omises dans le rapport du Conference Board.
  • Le document du Conference Board laisse entendre que la méthodologie des PPP de la Colombie-Britannique est sans faille et ne mentionne même pas les critiques formulées par les réputés juricomptables Ron Parks et Rosanne Terhart au sujet de leur processus. Détruire les mythes ignore aussi les rapports de l’économiste britanno-colombien Marvin Shaffer qui met en lumière d’importantes lacunes dans la méthodologie de l’agence des PPP. Un rapport publié en 2006 par M. Shaffer concluait que le PPP de l’autoroute Sea to Sky a coûté aux contribuables de la C.-B. 220 millions de dollars de plus que s’il avait été financé et construit selon le mode conventionnel. v

Fait révélateur, sur les plus de 30 personnes interviewées pour ce rapport, aucune ne provenait du bureau d’un vérificateur général provincial. À l’exception d’un universitaire et d’un dirigeant syndical (dont tout le monde sait qu’il est favorable aux PPP), toutes les personnes interviewées étaient au service de sociétés de PPP, d’agences de promotion des PPP (ou étaient des cadres gouvernementaux agissant à ce titre) ou d’agences livrant directement des PPP.

Avec un tel niveau de partialité dans le choix des faits, il est évident que les conclusions manquent aussi d’impartialité.

3. Des études de cas aux comparaisons extrêmement tendancieuses

Bien que l’étude du Conference Board ne tienne pas compte des rapports de vérification qui critiquent les PPP, elle met en lumière de manière sélective les projets conventionnels qui se sont attirés les blâmes des vérificateursvi. Ces projets représentent une très petite fraction de tous ceux qui ont été financés selon le mode conventionnel.

Le rapport établit une comparaison artificielle entre des projets plus anciens du secteur public qui avaient été critiqués par les vérificateurs et des PPP qui ne sont pas encore achevés, ce qui est aussi absurde que de comparer des jeunes garçons et des femmes adultes qui ont un dossier criminel et de conclure que les femmes sont plus violentes.

Avec un minimum d’efforts, l’étude du Conference Board aurait pu obtenir des données financières sur des projets conventionnels plus comparables, mais ce type d’information n’aurait pas confirmé ses conclusions prédéterminées voulant que l’approvisionnement conventionnel soit moins efficient et moins transparent.

4. Interprétation fautive des faits

Dans beaucoup d’autres cas, le rapport du Conference Board propose une interprétation fautive et manipule les données pour étayer ses propres conclusions partiales. Par exemple :

  • Le rapport affirme que les PPP sont livrés plus rapidement que les projets conventionnels. Mais il ne tient pas compte, dans cette affirmation, du délai d’exécution beaucoup plus long – habituellement plusieurs années – nécessaire pour en arriver à l’étape du contrat pour les PPPvii. Il est révélateur de constater que lorsque les gouvernements fédéral et provinciaux ont voulu amorcer des projets rapidement dans le cadre de leurs récents programmes de relance économique, les exigences en matière de PPP ont été reléguées aux oubliettes. Les données internationales montrent aussi que les projets de PPP prennent beaucoup plus de temps à se mettre en place parce que les négociations sont beaucoup plus complexes.
  • Détruire les mythes laisse aussi entendre que les PPP sont plus transparents que les modes conventionnels parce que les agences de PPP publient des analyses de la valeur ajoutée et d’autres documents relatifs aux projets sur leurs sites Web. Les documents publiés sur les projets de PPP par ces agences sont en grande partie superficiels, tendancieux ou remplis de détails inutiles. En fait, on peut obtenir une information beaucoup plus détaillée sur les projets publics par la divulgation publique ou l’accès à l’information, tandis qu’une bonne partie des données sur les PPP est gardée secrète. Par exemple, en Colombie-Britannique, les données financières et les analyses de cas des PPP ont été déclarées secrets ministériels. La Coalition ontarienne de la santé a dû se battre pendant des années devant les tribunaux pour obtenir des détails sur l’hôpital en PPP William Osler de Brampton et même lorsqu’elle y a eu accès, ces renseignements étaient restreints.
  • Quant à la qualité et aux normes de services, le rapport reconnaît que plus de 40 pour cent (cinq sur 12) des PPP entrés dans la phase de service avaient déjà subi des pénalités parce que leur rendement était inférieur aux normes. Mais les auteurs considèrent que cela montre l’efficacité du système. Sans aucune preuve, le rapport du Conference Board suggère qu’il y a plus de lacunes dans les normes de service avec la prestation publique parce que le gouvernement n’a pas la distance voulue pour s’autocontrôler. Voilà bien une logique tordue! Dans les faits, le secteur public est toujours peu enclin à prendre des risques et est mieux en mesure de maintenir des normes plus élevées grâce au contrôle direct, sans la surveillance et la supervision coûteuses qu’exigent les contrats de PPP.

Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux exemples de partialité, de superficialité et d’interprétation fautive des faits dans le rapport Détruire les mythes du Conference Board. Le document affirme fournir « une analyse objective des avantages et des inconvénients des PPP », ce qu’il ne fait en aucun cas. Il n’est rien de plus qu’un recueil de textes promotionnels produits dans l’intérêt de ses bailleurs de fonds – les agences fédérales et provinciales de promotion des PPP.

Il serait facile pour le SCFP de profiter de l’assiette au beurre des PPP : en faisant en sorte que nos membres soient embauchés par les PPP grâce aux ententes sur les droits en vertu des obligations des successeurs accordés aux employés, en acceptant les sièges aux conseils d’administration des PPP que nous ont offerts les agences de PPP si nous nous joignons à eux et en incitant nos caisses de retraite à investir dans les PPP pour obtenir des taux de rendement élevés.

Mais ces taux de rendement élevés ont un prix pour le public et pour les futurs contribuables. Les PPP offrent d’excellents dividendes aux investisseurs d’aujourd’hui tout simplement parce que ces dividendes viennent au prix d’une dette immense et croissante imposées aux générations futures. Quelqu’un devra payer – et quelqu’un doit dire honnêtement au public l’ampleur de ces coûts et de ce passif croissants. Malheureusement, le dernier rapport du Conference Board ne jette aucune lumière sur ce sujet crucial.


i KPMG, Performance Agenda: An International Government Survey, Canadian Edition, 2008. p. 15. http://www.kpmg.ca/en/industries/ps/documents/3623_PerformanceAgenda_v8b_WEB.pdf (anglais seulement)

ii SCFP, Des analyses biaisées ont favorisé les PPP, 2009. http://scfp.ca/privatisation-sous-surveillance/des-analyses-biaises-ont-favoris-les ; Vérificateur général du Québec, Communiqué, 18 novembre 2009. http://www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_salle-de-presse/fr_Communiques/fr_Fichiers/fr_Communique20091118-5.pdf

iii SCFP, L’hôpital de Brampton critiqué, 2008. http://scfp.ca/soussurveillancedec08/Le-vrificateur-gnral ; Coalition ontarienne de la santé, When Public Relations Trump Public Accountability, 2008. http://www.web.net/ohc/jan08report%20final.pdf; Vérificateur général de l’Ontario, Rapport annuel de 2008 du vérificateur général de l’Ontario : Projet des partenariats entre les secteurs public et privé de l’Hôpital de Brampton, 2008.

iv SCFP, Volée de bois vert pour les écoles en PPP, 2010. http://scfp.ca/partenariats-public-prive/les-coles-en-ppp-se-mritent-une-vole-de . Vérificateur générale de la Nouvelle-Écosse, Rapport du vérificateur général, février 2010, Chapitre 3. http://www.oag-ns.ca/feb2010/full0210.pdf (anglais seulement).

v Marvin Shaffer, « Flawed analysis props up B.C. public-private partnerships » (Une mauvaise analyse pour vanter les mérites des PPP en Colombie-Britannique), Vancouver Sun, 19 novembre 2009. http://www.vancouversun.com/Flawed+analysis+props+public+private+partnerships/2240146/story.html (anglais seulement); Marvin Shaffer, The Real Cost of the Sea-to-Sky P3 (Le coût véritable de l’autoroute Sea-to-Sky), Centre canadien pour les politiques alternatives, bureau de la C.-B., 2006. http://www.policyalternatives.ca/publications/reports/real-cost-sea-sky-p3 (anglais seulement)

vi De manière quelque peu hypocrite, le rapport soutient qu’il inclut ces exemples de projets conventionnels parce qu’ils sont bien documentés (p. 56); dans le même souffle, il dit ne pas tenir compte de projets de PPP plus anciens parce qu’ils ont été bien documentés et étudiés (y compris par les vérificateurs) (p. ii, 6)!

vii Par exemple, le projet conventionnel de l’autoroute Anthony Henday Drive sud-ouest à Edmonton a été achevé en octobre 2006 (à un coût de 17,2 millions de dollars du kilomètre), tandis que le PPP de l’autoroute Anthony Henday Drive sud-est a été terminé un an plus tard, en octobre 2007 (à un coût de 44,8 millions de dollars du kilomètre); pourtant, le rapport continue à soutenir que le projet de PPP a été réalisé plus rapidement parce qu’il ne tient pas compte du temps qu’il a fallu au PPP pour en arriver à l’étape du contrat.