Greg Taylor | Service des communications

Oeuvre de Christi Belcourt, "Manitou Giigoonh #2, 2017, Acrylique sur toile"Niibi Bimaadiziwin. En français, cela signifie « l’eau, c’est la vie ». 

Bien qu’elle ne soit pas universelle, cette conception est partagée par de nombreux peuples autochtones. Nuire à l’eau ou la menacer, c’est se nuire à soi-même, nuire à sa famille, à son peuple, à la Terre et à tous ceux qui y vivent.  

« L’eau, c’est la vie » est aujourd’hui un cri de ralliement pour les peuples autochtones confrontés à la crise de l’eau. 

Les problèmes d’eau dans les communautés autochtones sont bien documentés. Depuis 2004, 400 des 614 Premières Nations du Canada ont reçu à une forme quelconque d’avis concernant l’eau potable.  

À un moment en 2012, 116 communautés ne pouvaient pas boire l’eau du robinet en toute sécurité. Un foyer sur cinq dans les réserves était touché.  

Mais même des chiffres aussi impressionnants ne dépeignent pas toute l’ampleur de la crise. En effet, de nombreuses communautés ne disposent pas d’infrastructures d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées. Ces communautés ne sont même pas comptabilisées dans les rapports gouvernementaux. 

De nombreuses communautés autochtones dépendent de sources d’eau dont la qualité a été altérée par des projets d’exploitation des ressources ou qui sont menacées par de nouveaux développements.  

Les articles et les images des reportages réalisés sur ces problématiques parlent d’eux-mêmes. 

À maintes reprises, les gouvernements canadiens se sont engagés à résoudre cette crise, mais malheureusement, elle persiste.  

Beaucoup de gens d’ici et d’ailleurs sont choqués que de telles conditions puissent exister dans un pays mondialement réputé pour ses infrastructures publiques d’eau. La même question revient constamment : comment se fait-il qu’on ne règle pas le problème? 

Les peuples autochtones, eux, connaissent la réponse, car elle fait partie de leur quotidien depuis des générations : le colonialisme. 

500 ans pour en arriver là 

Le colonialisme, c’est l’ensemble des politiques et des lois du Canada qui imposent aux peuples autochtones un contrôle sur leur territoire, dans un but de développement économique et de domination.  

Le colonialisme n’existe pas que dans les livres d’histoire. Il est bien vivant… et à l’origine de la crise de l’eau. 

Pendant une grande partie de l’histoire du Canada, les gouvernements ont voulu assimiler les peuples autochtones à la société « canadienne ». C’était le fondement même du système des pensionnats : forcer les Autochtones à apprendre l’anglais ou le français, à se convertir au christianisme et à abandonner leur mode de vie, pour les intégrer au système capitaliste et occuper un territoire non cédé afin de le développer. 

Si la société colonialiste a connu des bouleversements dans les années 1960, celle des peuples autochtones aussi. C’est à ce moment que prend racine le mouvement de résistance aux politiques d’assimilation. Les nations et les groupes autochtones s’organisent alors pour contrer le colonialisme canadien. 

Ce mouvement de résistance a mené à la fondation de la Fraternité des Indiens (qui est devenue l’Assemblée des Premières Nations), à la fermeture des pensionnats et à la reconnaissance des droits des Autochtones dans la constitution canadienne. 

Pourtant, l’outil législatif central qui est utilisé pour contrôler les peuples autochtones, en particulier les Premières Nations, demeure en vigueur : la Loi sur les Indiens. Introduite en 1876, cette loi archaïque et paternaliste confère au gouvernement fédéral un contrôle juridique presque total sur ces communautés. 

Une austérité permanente 

Certaines des parties les plus archaïques de la loi ont été modifiées ou ne sont plus appliquées. Mais le gouvernement a changé de tactique : au lieu de s’en servir pour contrôler la vie quotidienne, les langues et les religions des peuples, il l’utilise pour contrôler les finances des communautés.  

Les gouvernements ont commencé à restreindre considérablement ce qu’ils considéraient comme leurs « obligations » envers les peuples autochtones, un pouvoir que leur confère la loi. Cela limite considérablement les investissements dans les réserves en matière d’infrastructures.  

Le délestage de services, les plafonds de financement, la rigidité bureaucratique et les exigences de déclaration excessives demandées à des gouvernements pris en otage ont mené à une crise généralisée des infrastructures dans les réserves. 

Dans les années 2000, la crise de l’eau potable a choqué suffisamment de gens pour que les gouvernements canadiens ne puissent plus l’ignorer.  

Les gouvernements fédéraux conservateurs et libéraux se sont engagés à y remédier. Mais leur solution passe toujours par une menace familière : la privatisation. 

La sous-traitance du colonialisme  

Le gouvernement conservateur de Stephen Harper a mis en œuvre de nouvelles lois qui devaient régler la crise. La Loi de 2013 sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations prévoit des règles strictes pour les réseaux d’aqueduc et d’égout dans les réserves, mais sans prévoir de financement pour aider les communautés à atteindre et respecter les nouvelles normes. 

Parallèlement, le gouvernement conservateur a, à toutes fins pratiques, mis fin aux investissements en infrastructures dans les communautés autochtones qui n’acceptent pas de conclure un partenariat public-privé (PPP).  

Au cours des neuf années du gouvernement Harper, un seul projet en PPP impliquant les Premières Nations a été achevé : une prison en Colombie-Britannique.  

Incapables de respecter la nouvelle réglementation avec des infrastructures vétustes et incapables de participer à des projets en PPP (et réticents à le faire), les gouvernements des Premières Nations n’ont pas pu prendre le dessus.  

Pendant toute la période où Stephen Harper a été premier ministre, le nombre d’avis d’ébullition touchant les Premières Nations a stagné. 

Trudeau : deux pas en avant, un pas en arrière 

Lors de son premier mandat, le gouvernement libéral de Justin Trudeau avait promis de s’attaquer à la crise de l’eau et d’éliminer tous les avis d’ici 2021.  

Bien que le gouvernement essaie toujours d’attirer les Premières Nations dans des PPP, mais sans succès, le financement pour les infrastructures dans les réserves a considérablement augmenté. Cela étant dit, il n’est toujours pas revenu au niveau d’avant les compressions massives effectuées par le gouvernement Harper.  

Depuis 2015, 88 avis d’ébullition de l’eau ont été levés, mais une trentaine se sont ajoutés à la liste.  

En 2019, la situation avait à peine bougé, malgré une autre hausse du financement. En effet, les rapports du ministère fédéral des Services aux Autochtones indiquaient seulement quatre avis à long terme de moins à la fin de l’année.  

Alors qu’il reste un an pour atteindre la cible de 2021, on ne peut toujours pas se fier à l’eau du robinet dans plus de 6000 foyers et bâtiments communautaires. Ce sont donc des dizaines de milliers d’Autochtones qui sont encore privés d’eau potable.  

La problématique demeure inchangée 

Malgré les investissements pour construire de nouvelles infrastructures, puisque les politiques coloniales persistent, il n’y a pas de progrès réels. 

Oui, on construit des stations de traitement de l’eau. Mais les Premières Nations n’ont pas les ressources nécessaires pour les gérer et les entretenir. 

Seulement 56 pour cent de leurs réseaux d’aqueduc ont un opérateur principal. Dix-neuf pour cent n’ont aucun opérateur substitut. Donc, pas de vacances et pas de temps libre. Une simple journée de maladie pourrait ainsi priver une communauté entière d’eau potable.  

Pire, au moins trois pour cent des réseaux d’aqueduc n’ont pas d’opérateur du tout. Et avec des salaires horaires avoisinants souvent les 12 dollars, on a beaucoup de difficulté à recruter et garder du personnel qualifié. 

Sans financement prévisible et à long terme pour l’exploitation et l’entretien des infrastructures au même niveau que dans les communautés non autochtones, la crise pourrait persister pendant des générations. 

La sensibilisation 

De plus en plus troublé par le sur-place et le manque de compréhension des causes profondes de la crise associées au colonialisme, le Conseil national des Autochtones du SCFP a fait de l’eau une priorité en préparation pour le dernier congrès national.  

Ses membres ont priorisé une résolution demandant au SCFP de faire de la sensibilisation sur le rôle traditionnel des peuples autochtones en tant que protecteurs de l’eau et sur la conception traditionnelle autochtone voulant que « l’eau, c’est la vie ». Cette conception englobe la sûreté, la fiabilité et l’entretien des infrastructures d’eau dans les communautés autochtones ainsi que la protection et la réparation des dommages causés aux sources d’eau dans les territoires autochtones.  

La campagne qui découle de l’adoption de cette résolution vient de débuter. Ce sera une étape difficile, mais nécessaire vers la réconciliation, au sein du SCFP comme dans l’ensemble du pays.  

         Création artistique de Christi Belcourt, christibelcourt.com