Le 1er mai 2017, Natalie Mehra s’est jointe à Bernice Hillier, à l’émission The Good Morning Corner Brook Show (Radio CBC), pour parler du projet en partenariat public-privé que le gouvernement Ball entreprendra pour construire deux nouveaux établissements de santé à Corner Brook.
Écoutez l’entrevue (disponible en anglais seulement)
Bernice Hillier : Plus tôt cette année, le gouvernement a annoncé qu’il allait construire un nouvel hôpital et un foyer de soins de longue durée à Corner Brook, en partenariat avec le secteur privé.
Les projets en PPP sont relativement nouveaux dans cette province, et les gens ne sont pas tous emballés par l’idée, y compris le syndicat qui représente de nombreux travailleuses et travailleurs de la santé dans cette province.
Ce soir, le SCFP tient une assemblée publique à Corner Brook pour parler des partenariats public-privé, et ma prochaine invitée sera présente à cette rencontre. Vous pouvez aller l’écouter ce soir.
Natalie Mehra est membre de la Coalition de la santé de l’Ontario, un groupe de défense des soins de santé. Elle est mon invitée en studio, ce matin. Bonjour, Natalie Mehra.
Natalie Mehra : Bonjour et merci de m’avoir invitée.
Bernice Hillier : Merci d’être venue. Tout d’abord, parlez-moi de vos expériences avec les PPP en Ontario.
Natalie Mehra : Ces projets ont commencé en 2001 et depuis, les nouveaux hôpitaux, il s’agit de projets de construction complets, sont construits de cette façon et ils coûtent incroyablement cher.
C’est vraiment un désastre sur le plan financier. Et ils coûtent tellement cher que, maintenant, on ferme au moins deux ou trois hôpitaux pour chacun des nouveaux hôpitaux qu’on construit.
Bernice Hillier : Il coûte cher de les construire ou de les exploiter ?
Natalie Mehra : Les deux, parce qu’il s’agit d’un type de privatisation. On les appelle partenariats public-privé, mais c’est un nom qui a été adopté par le secteur industriel afin de les vendre au public.
Il s’agit en fait d’un type de privatisation où le secteur privé forme un consortium, un groupe d’entreprises, qui conçoit, construit, finance et exploite ensuite l’hôpital.
Il revend l’hôpital au conseil d’hôpital public pendant 30 ans, en incluant toute une gamme de services. Le contrat peut comprendre les services de déplacement des patients dans l’hôpital, les services alimentaires, la tenue des dossiers des patients et les services de sécurité. Le contrat comprend habituellement tous ces types de services.
Ces contrats en PPP sont beaucoup plus chers que la construction d’un hôpital de façon traditionnelle, et personne ne dit le contraire. La gestion de l’hôpital est divisée en deux. La moitié est confiée aux entreprises à but lucratif. L’autre moitié est confiée à l’hôpital public.
L’un et l’autre ont des intérêts totalement différents. Les hôpitaux publics sont axés sur l’altruisme et la compassion. Le secteur privé vise à obtenir le plus d’argent possible, ce qui crée toutes sortes de problèmes.
Bernice Hillier : Le gouvernement de cette province a toujours déclaré que cet hôpital et ce foyer de soins de longue durée, qui font l’objet de discussions selon un modèle de PPP pour Corner Brook, seront publiquement gérés par des employés qui sont encore membres de syndicats du secteur public.
Cela vous donne-t-il une opinion différente de cette démarche, par rapport à ce que vous avez vécu en Ontario ? Parce qu’il semble qu’il s’agit d’un modèle un peu différent.
Natalie Mehra : Eh bien, en Ontario il y a eu un recul en ce qui concerne la privatisation. Donc, si je comprends bien, la province de Terre-Neuve-et-Labrador a présenté la demande de qualifications pour l’établissement de longue durée de Corner Brook.
C’est un modèle « conception, construction, financement et soutien ». Donc, une partie des opérations sont privatisées dans ce modèle. La gamme des services qui seront privatisés n’a pas encore été précisée. Elle sera négociée avec le consortium.
L’hôpital n’a pas encore écrit aux soumissionnaires. Ce n’est pas encore établi et il reste à voir l’ampleur de la privatisation, mais ça n’a pas d’importance. Le financement est tellement cher que, en fait, en Grande-Bretagne, ils ont découvert que 11 % des médecins ont été licenciés, 14 % des infirmières ont été licenciées, puis de 22 à 30 % du personnel de soutien, pour pouvoir payer le coût de financement élevé.
Même après tout cela, il y a ce qu’on appelle « l’effet PPP ». L’effet d’entraînement. L’exploitation de ces modèles coûte si cher que, lorsque l’hôpital, ou le foyer de soins de longue durée doit réduire son budget, la seule partie du budget qui n’est pas immobilisé pendant 30 ans, ce sont les médecins, les infirmières et le personnel clinique. C’est là que les compressions doivent être appliquées. Si le contrat ne précise pas les secteurs où les compressions sont autorisées, ils n’ont pas à le faire, ou alors il faut négocier à nouveau.
L’entretien du bâtiment est exploité par le secteur privé. Donc, dans les écoles en PPP, on ne peut pas accrocher quoi que ce soit au mur. On ne peut pas louer les écoles le soir à des groupes communautaires si elles ne sont pas utilisées par le consortium. Cela transforme fondamentalement le service public, parce que la moitié est géré, c’est-à-dire possédé, exploité ou dirigé) par un consortium privé à but lucratif pour toute une génération.
Bernice Hillier : Le gouvernement a dit que le secteur privé peut construire ces immeubles pour moins cher, et que ce sera plus rentable. Vous dites donc que ce n’est pas ce qui s’est passé en Ontario ?
Natalie Mehra : Ce n’est pas ce qui s’est passé dans tous les territoires où on a entrepris des projets en PPP. Ce n’est pas ce qui s’est passé en Colombie-Britannique, en Grande-Bretagne, et nulle part dans le monde. Les PPP coûtent beaucoup plus cher.
Bernice Hillier : Pourquoi ?
Natalie Mehra : Parce que le financement est plus cher. Le gouvernement a la capacité d’emprunter. C’est un peu comme pour l’achat en vrac. Il peut emprunter à un meilleur taux.
Il y a toutes sortes d’autres options. Le gouvernement pourrait émettre des obligations, des obligations d’assurance-maladie, pour construire de nouveaux hôpitaux, en offrant un taux de rendement raisonnable, qui ne correspond pas du tout aux taux de rendement usuraires qu’exigent les entreprises privées. Et nous pourrions contrôler nos hôpitaux pendant toute la durée de leur vie économique.
Mais dans ce cas-ci, on confie le contrôle au secteur privé, une grande partie du contrôle. Si vous avez des problèmes, vous devez négocier pour tenter de les régler. Il y a toutes sortes de questions juridiques à prendre en considération et, dans le cas d’un hôpital, chaque fois qu’on applique les clauses du contrat, on doit prendre une décision… Devons-nous prendre l’argent des médecins, des infirmières et des soins aux patients pour le donner aux avocats et poursuivre le consortium ? Où devons-nous tout simplement tolérer que le consortium ne respecte pas le contrat ?
Un : Les coûts de construction exorbitants dépassent de loin les coûts de tout projet public. Deux : les coûts d’exploitation permanents. En Ontario, les compressions budgétaires les plus importantes que nous constatons dans les hôpitaux sont dans les hôpitaux en PPP. Ils ont été ravagés. Certains de ces hôpitaux existent maintenant depuis la majeure grande partie de la décennie, et chaque année ils subissent d’énormes compressions. À Sault-Sainte-Marie, à North Bay… dans ces hôpitaux…
S’il y a quelque chose que je peux faire, en tant que défenseure des soins de santé de l’Ontario en visite à Terre-Neuve, ce serait de recommander : « N’allez pas dans cette voie. Tous ceux qui ont pris cette voie ont construit un système hospitalier en rétrécissement pour la prochaine génération, à un coût exorbitant. »
Bernice Hillier : Y a-t-il des côtés positifs ? Le gouvernement ne peut pas se tromper à ce point.
Natalie Mehra : Non, il n’y a vraiment aucun côté positif dans les contrats en PPP. Ils regroupent une gamme de services qui ne devraient pas être regroupés, pour les 30 prochaines années. Ils monopolisent le budget de l’hôpital et restreignent les capacités de la direction publique de l’hôpital, dont la priorité est l’intérêt public, de contrôler ce qui se passe dans l’hôpital. Ils privatisent les terres et les installations des hôpitaux, et ils coûtent plus cher.
Il n’y a tout simplement aucun côté positif. Et ces projets ne sont pas terminés à temps ni en respectant le budget. Ça n’a aucun sens. L’expérience n’a jamais été positive. Ni en Grande-Bretagne. Ni en Colombie-Britannique.
Bernice Hillier : Les gens ici veulent désespérément un nouvel établissement de santé. On nous l’a promis pour la première fois il y a dix ans. Le gouvernement dit que c’est la seule façon dont il peut se le permettre.
Natalie Mehra : C’est ce qu’ils ont dit partout.
Bernice Hillier : À votre avis, est-ce que c’est un accord équitable pour un nouvel hôpital ?
Natalie Mehra : Pas du tout. La construction par le secteur public coûte moins cher. Donc, si le problème, c’est que vous n’avez pas les moyens de construire l’hôpital et qu’il faut donc attendre, il est sûrement préférable de le construire à un faible coût, plutôt qu’à un coût élevé.
Le problème, c’est la façon dont les entreprises privées sont impliquées. Ce sont les gouvernements qui sont idéologiquement prédisposés à la privatisation, qui rencontrent des représentants du secteur financier, qui sont influencés par les consultants et les bailleurs de fonds et l’industrie de la construction qui, eux, sont les principaux bénéficiaires de ces projets. Habituellement, ce sont les consultants qui entraînent la participation du secteur privé. Les coûts de ces transactions sont énormes. Ce sont des coûts démesurés.
Lorsque nous avons réussi à obtenir la divulgation… Ce sont toujours des secrets commerciaux… Même s’il s’agit des deniers publics, il est très difficile d’obtenir l’accès à ces renseignements. Nous nous sommes battus devant les tribunaux pendant quatre ans, et nous avons gagné la divulgation de la transaction en PPP de Brampton, en Ontario, pour le projet d’un grand hôpital. La pile de documents de cette transaction est plus haute que moi. Elle doit bien faire dans les six pieds. Ces documents couvrent les activités de l’hôpital pendant 30 ans.
C’est un cadeau, un énorme cadeau, aux cabinets d’experts-conseils du monde. Ce sont eux qui font du lobbying auprès du gouvernement pour impliquer le secteur privé.
Vous n’avez pas besoin d’aller dans cette voie. Absolument pas. Vous devrez payer pour votre hôpital d’une façon ou d’une autre. Donc, vous pourriez le faire construire par le secteur public. Possédez et contrôlez l’hôpital vous-même, dans l’intérêt du public, et non pour des intérêts privés.
Natalie Mehra est la directrice générale de la Coalition de la santé de l’Ontario.