Les récents progrès en matière d’équité fiscale risquent d’être réduits à néant. En effet, lors de la course à la chefferie, le nouveau chef du Parti libéral, Mark Carney, a annoncé qu’il n’appliquerait pas les modifications relatives à l’imposition des gains en capital qui étaient prévues dans le budget fédéral de 2024. Cette décision diminuera les recettes de l’État en ces temps critiques et rendra le système fiscal moins équitable pour les travailleuses et travailleurs.

L’impôt sur les gains en capital est une taxe prélevée sur le profit réalisé lors de la vente de certains types d’actifs, notamment des actions, des obligations ou des biens immobiliers autres que le principal lieu de résidence. À l’heure actuelle, seulement 50 % de ce type de profit est considéré comme un revenu imposable pour les particuliers et les entreprises. C’est ce qu’on appelle le taux d’inclusion des gains en capital.

Dans le budget fédéral de 2024, le gouvernement libéral avait prévu d’augmenter le taux d’inclusion des gains en capital de 50 % à 66,7 % pour les gains en capital annuels totalisant plus de 250 000 $ dans le cas des particuliers, et pour tous les gains en capital réalisés par les sociétés et les fiducies.

L’abandon de cette augmentation aura une énorme incidence sur les recettes fiscales fédérales et provinciales, et ce, alors que les menaces tarifaires de Donald Trump laissent planer le risque d’une récession. Cette décision réduira les revenus du gouvernement fédéral de 6,7 milliards en 2024-2025, et de 19 milliards sur cinq ans.

L’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital aurait automatiquement été appliquée dans la plupart des provinces. Par conséquent, y renoncer diminuera les revenus des provinces également. Le Québec gère de façon autonome son propre régime d’impôt sur le revenu et peut choisir de refléter

ou non les changements dans les taux d’inclusion à l’échelle provinciale. De son côté, l’Alberta, qui a un système indépendant pour les impôts de sociétés, aurait appliqué seulement les changements au taux d’imposition des particuliers.

Les économistes progressistes ont souvent répété que 100 % des gains en capital devraient être imposés. L’augmentation de 50 % à 66,7 % n’était donc qu’un petit pas vers l’équité fiscale. Hausser le taux d’inclusion des gains en capital à 75 % aurait permis de générer 10 milliards en revenus additionnels pour le gouvernement fédéral, et à peu près autant pour les gouvernements provinciaux.

Pourquoi imposer les gains en capital?

Les gains en capital ont un taux d’imposition plus bas que les dividendes et beaucoup plus bas que les salaires. En comparant le taux d’imposition de ces différents types de revenus, on s’aperçoit que les gains en capital sont extrême- ment profitables aux plus riches.

Comme les gains en capital, les dividendes sont des revenus qu’une personne obtient en fonction de sa richesse et non en fonction de son travail. Les gains en capital sont générés par l’augmentation de la valeur de revente d’un actif. Les dividendes sont une portion des profits de l’entreprise qui reviennent aux actionnaires.

Les gains en capital sont imposés au même taux ou à un taux plus élevé que les dividendes dans la plupart des pays, notamment aux États-Unis. Toutefois, le Canada est une rare exception.

Rien ne justifie le traitement fiscal favorable des gains en capital. Les gains en capital sont générés uniquement par la hausse de la valeur des actifs. Lorsqu’une entreprise verse des dividendes, elle a déjà payé de l’impôt sur ces montants, contrairement aux gains en capital qui ne sont imposés qu’au moment de leur revente. Les personnes en faveur d’une diminution du taux d’inclusion des gains en capital affirment qu’on devrait récompenser les investisseuses et investisseurs qui prennent des

risques en plaçant leur argent. Les recherches montrent néanmoins qu’imposer une plus grande proportion de gains en capital ne décourage pas l’investissement.

En 1966, la Commission royale d’enquête sur la fiscalité recommandait que les revenus soient tous imposés au même taux, peu importe leur source. Son président, Kenneth Carter, affirmait d’ailleurs que « un dollar, c’est un dollar ».

Cependant, lors de la mise en œuvre de la réforme fiscale en 1972, un grand nombre des recommandations de la Commission n’ont pas été pleinement suivies,

et seulement la moitié du revenu des gains en capital est devenu imposable. La proportion imposable des gains en capital a augmenté à 75 % en 1990, mais le gouvernement libéral fédéral l’a ramenée à 50 % en 2000.

Le graphique ci-dessous montre la moyenne des gains en capital et des dividendes imposables pour les particuliers, par tranche de revenu. Seules les personnes ayant généré des revenus de ces sources sont illustrées ici. Comme on le voit, le montant du revenu imposable des gains en capital en fonction du niveau de revenu fluctue davantage que pour les dividendes, ce qui implique qu’une stratégie fiscale permet de bénéficier d’un taux d’imposition plus avantageux.

Selon une recherche universitaire, 88 % des bénéfices de cette échappatoire vont au 1 % des personnes gagnant les revenus les plus élevés.

Si Mark Carney ne tient pas la promesse libérale d’augmenter le taux d’inclusion des gains en

capital, cela privera les gouvernements fédéral et provinciaux de milliards de dollars de revenus, et ce sont principalement les plus riches qui en bénéficieront. Ces revenus sont plus que nécessaires pour investir dans les services publics sous-financés et appuyer la transition économique visant à renforcer l’autosuffisance de l’économie canadienne.