On nous a présenté le budget 2017 comme un budget sur les compétences et l’innovation, deux choses nécessaires, selon le gouvernement, pour bâtir une classe moyenne forte. Les études postsecondaires tiennent un rôle majeur dans la vision qu’entretient le gouvernement en matière de compétences et d’innovation. On peut même lire dans le budget que l’un de ses indicateurs de réussite consistera à favoriser « une culture de formation continue, et un accès accru à du soutien en matière d’éducation postsecondaire, de formation et d’emploi pour tous les Canadiens, et ce, à toutes les étapes de leur vie ; » et à « augmenter le taux de participation aux études postsecondaires, surtout chez les peuples autochtones et les groupes sous-représentés ».
Le budget contient plusieurs engagements dans les études postsecondaires en vue d’atteindre cet objectif :
- de nouvelles règles d’admissibilité aux bourses d’études canadiennes pour les rendre accessibles à 10 000 apprenants à temps partiel à compter de l’année scolaire 2018-2019 ;
- de nouvelles règles d’admissibilité aux bourses d’études canadiennes pour les rendre accessibles à 13 000 étudiants avec personne à charge à compter de l’année scolaire 2018-2019 ;
- un projet pilote de trois ans assorti d’une enveloppe de 287 millions de dollars pour simplifier le retour aux études et l’admissibilité aux prêts et bourses canadiens des apprenants adultes ;
- 221 millions de dollars sur cinq ans à Mitacs pour que cet organisme fournisse 10 000 placements d’apprentissage intégré au travail ;
- 12 millions de dollars sur six ans pour faire connaître le Bon d’études canadien ;
- 90 millions de dollars sur deux ans pour le Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire qui s’adresse aux étudiants autochtones ;
- 25 millions de dollars sur cinq ans pour l’organisme de bienfaisance Indspire qui distribue des bourses aux étudiants autochtones.
Bon nombre de ces engagements constituent un pas dans la bonne direction et ont été applaudis par les intervenants du secteur postsecondaire. Néanmoins, le budget 2017 révèle d’inquiétantes tendances dans la manière dont le fédéral participe au secteur postsecondaire.
1. Le gouvernement ne comprend pas le problème de la précarité d’emploi.
Le budget semble présenter les investissements dans les études postsecondaires et la formation comme la solution du fédéral à la précarité d’emploi. Par exemple, pour expliquer qu’il se concentre sur l’élargissement des prêts et bourses aux adultes et aux apprenants à temps partiel, le gouvernement affirme que « pour un trop grand nombre d’adultes, le coût élevé des études postsecondaires, combiné au coût élevé associé au fait d’élever des enfants, peut compliquer l’obtention de la formation dont ils ont besoin pour décrocher un emploi mieux rémunéré et plus stable. On peut en faire davantage pour aider les personnes déjà employées, y compris les travailleurs qui ont un emploi à temps partiel, contractuel ou précaire, à retourner aux études pour mettre à niveau leurs compétences en vue de trouver et de conserver un meilleur emploi. » (Nous soulignons.)
Voilà qui laisse entendre que si de plus en plus de Canadiens n’ont pas d’emploi stable et bien rémunéré, c’est principalement parce que ces personnes n’ont pas tablé sur les bonnes compétences. Pourtant, c’est faux, comme l’atteste le nombre croissant de travailleurs précaires dans les collèges et les universités. La précarité d’emploi se généralise dans l’ensemble de notre économie, y compris dans les postes professionnels et très instruits. Pourquoi ? Parce que la précarité est l’œuvre des employeurs et des conditions de travail qu’ils offrent, et non pas la conséquence des compétences de la main-d’œuvre.
Qui plus est, pour de nombreux travailleurs précaires, étudier à temps partiel est chose impossible. Ils ne contrôlent pas suffisamment leurs horaires de travail pour pouvoir étudier et travailler en même temps, soit parce qu’ils sont sur appel, qu’ils composent avec une préparation de leurs horaires « juste à temps » ou qu’ils doivent cumuler plusieurs emplois à temps partiel pour survivre.
Ainsi, bien que toute mesure rendant l’éducation plus abordable et accessible soit toujours la bienvenue, les changements apportés aux prêts et bourses d’études canadiens ne percent même pas la surface du problème de la précarité d’emploi.
2. Le gouvernement abandonne les apprenants autochtones.
Depuis deux décennies, l’État sous-finance cruellement les études postsecondaires des étudiants autochtones. En raison du plafond de 2 pour cent imposé par un ancien gouvernement libéral à la croissance des dépenses pour les Autochtones, le financement du Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire a augmenté à peine depuis 1997, alors que la population autochtone a progressé de 29 pour cent. Conséquence, le programme finance aujourd’hui 20 % d’étudiants en moins par année qu’en 1997. En raison de ce grave sous-financement, il existe une longue liste d’attente d’Autochtones qui souhaitent faire des études postsecondaires. Le taux de diplomation universitaire chez les Autochtones de 25 à 64 ans est de 9,8 pour cent, contre 26,5 pour cent dans le reste de la population.
En campagne électorale, les Libéraux ont promis d’ajouter 50 millions de dollars par année aux crédits de ce programme. L’an dernier, cet argent ne s’est pas matérialisé. Cette année, le gouvernement a manqué à son engagement en prévoyant seulement 45 millions par année sur deux ans. C’est trop peu.
Le premier ministre en personne a promis de mettre en œuvre toutes les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation. La recommandation n° 11 demande au gouvernement fédéral « de fournir un financement adéquat pour remédier à l’insuffisance des places disponibles pour les élèves des Premières Nations qui souhaitent poursuivre des études postsecondaires ». Il est temps que le premier ministre tienne parole.
3. Le gouvernement poursuit la corporatisation des études supérieures.
Par corporatisation des études supérieures, on entend l’intégration de pratiques et de valeurs d’entreprises à nos collèges et universités, comme un plus grand contrôle du privé sur les études postsecondaires par l’entremise de partenariats public-privé et de dons d’entreprises avec contrepartie. Avec la corporatisation, les décisions privilégient les intérêts privés des employeurs et des entreprises au lieu de privilégier les intérêts des étudiants et de la communauté collégiale ou universitaire.
Ce budget consacre 221 millions de dollars sur cinq ans à Mitacs, un organisme qui « établit des partenariats entre l’industrie et les établissements d’enseignement » et dont le conseil d’administration et le conseil de recherche se composent entièrement de gestionnaires d’universités et de PDG d’entreprises. Ce nouveau financement servira à des stages en milieu de travail, un élément important d’une formation collégiale ou universitaire. Cependant, on se demande pourquoi on remet ce financement à un organisme dont plus de la moitié du CA consiste en PDG d’entreprises.
En outre, comparons le financement que reçoit Mitacs, organisme à la philosophie d’entreprise, et celui que reçoit Indspire, un organisme sans but lucratif qui accorde des bourses aux étudiants autochtones. Mitacs recevra 221 millions de dollars sur cinq ans. Indspire ? Seulement 25 millions… et à condition de trouver 3 millions de dollars par année au privé. À qui ce gouvernement accorde-t-il la priorité en matière d’études postsecondaires ? Certainement pas aux apprenants vulnérables et sous-représentés.
4. Ce gouvernement ne fait pas le nécessaire pour élargir l’accès aux études postsecondaires et les rendre abordables.
Depuis 20 ans, les frais de scolarité augmentent et la dette étudiante monte en flèche. Or, le fédéral a fait très peu de choses pendant cette période pour rendre les études postsecondaires abordables et accessibles à tous. Le Régime enregistré d’épargne-études (REEE) est un programme fédéral qui permet aux familles d’économiser en vue des études postsecondaires de leurs enfants. Ce programme profite surtout aux familles bien nanties.
Dans le cadre du REEE, le gouvernement offre aux familles à faible revenu le Bon d’études canadien. Ce BEC est offert autant aux familles à faible revenu qui cotisent à un REEE qu’à celles qui ne le font pas. En ce sens, il s’agit « d’argent gratuit » pour les études des enfants à faible revenu. Or, les familles doivent présenter une demande chaque année, ce qui fait qu’elles ne sont qu’un très petit nombre à se prévaloir du BEC. Des 2,3 millions d’enfants qui ont été admissibles au programme à un moment ou à un autre depuis 2004, plus de 1,5 million n’ont reçu aucune prestation.
Il faudrait que le fédéral ait plus d’ambition et qu’il adopte des mesures concrètes afin de rendre les études postsecondaires réellement abordables et accessibles pour tous.