Selon de nouveaux rapports universitaires, les hôpitaux publics en Écosse ont réduit les délais d’attente pour les interventions chirurgicales plus équitablement et efficacement que les cliniques privées et les hôpitaux sous-traitants du système de santé britannique.
Allyson Pollock, coauteure de ces rapports et professeure émérite à l’Université de Newcastle, a précisé que la politique de privatisation de l’Angleterre avait fini par créer un système à deux vitesses avec des délais d’attente plus longs pour la plupart des patient(e)s. Ses recherches ont notamment pris compte de plusieurs études sur la prise en charge des chirurgies de la cataracte, du genou et de la hanche en Angleterre et en Écosse sur une période de vingt ans.
Elle a expliqué que le système actuel en Angleterre favorise les personnes les plus aisées, qui peuvent éviter les files d’attente en se faisant soigner dans des établissements privés à but lucratif, tandis que celles plus pauvres et en moins bonne santé doivent attendre plus longtemps pour subir une chirurgie de la hanche ou du genou, vu la capacité réduite des hôpitaux publics.
À l’inverse, l’Écosse a augmenté sa capacité interne sans faire appel au secteur privé ni accroître les inégalités dans la même mesure. En effet, en Angleterre, les inégalités ont augmenté deux fois et demie plus vite qu’en Écosse pour les chirurgies de la hanche et du genou, a souligné la chercheuse.
La Coalition ontarienne de la santé et le Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario (CSHO-SCFP) soutiennent que cette étude est riche d’enseignements pour le gouvernement actuel de l’Ontario, qui a élargi la privatisation des chirurgies de la cataracte, de la hanche et du genou en faisant appel à des cliniques privées à but lucratif.
Le dossier des cataractes : une affaire en or pour les entreprises privées
En 2024, 59 % des chirurgies de la cataracte étaient réalisées dans le secteur privé en Angleterre, contre 15 % en 2019. Le rapport indique que ce changement a coûté très cher aux finances publiques, vu la hausse spectaculaire des dépenses.
Entre 2018-2019 et 2022-2023, le nombre de chirurgies de la cataracte en Angleterre a augmenté de 25 %, tandis que les dépenses annuelles ont bondi de 95 %, atteignant 522 millions de livres sterling.
On estime que cinq entreprises ont généré à elles seules 90 millions de livres sterling en un an grâce aux dividendes et aux intérêts versés pour les chirurgies de la cataracte financées par des fonds publics, des fonds qui auraient pu être investis plutôt dans les hôpitaux publics.
Allyson Pollock souligne que le détournement des ressources vers le privé affaiblit le système public de plus d’une manière : la formation des jeunes médecins s’en trouve aussi déstablisée et la prestation de services et la recherche, perturbées. Pendant que le secteur privé s’occupe des chirurgies de la cataracte, plutôt simples, les hôpitaux publics doivent fournir des soins plus complexes, avec moins de ressources.
« Le privé enlève au système public de ressources précieuses, explique la co-auteure des rapports. Au-delà des sommes importantes redirigées vers les établissements privés, les hôpitaux publics perdent des médecins et d’autres membres du personnel nécessaires à la gestion et au suivi des soins ophtalmologiques plus complexes. »
Contrairement à l’Angleterre, l’Écosse a continué d’investir dans la formation de ses professionnel(le)s de la santé, conservant ainsi son expertise dans le système public. L’Écosse a également protégé d’autres services ophtalmologiques en veillant à offrir une gamme complète de soins oculaires. Dans ce pays, seulement 2 % des chirurgies de la cataracte effectuées au privé ont été financées par des fonds publics.
Hausse des inégalités en Angleterre
En Angleterre, la proportion des interventions chirurgicales pour le remplacement de la hanche et du genou effectuées par des établissements à but lucratif est passée de 20 % en 2016 à 60 % en 2024. Les personnes vivant dans les milieux aisés, où se sont installés la plupart des établissements privés, bénéficient ainsi d’un meilleur accès aux soins.
Allyson Pollock indique toutefois que les réadmissions et les complications dans les 30 jours suivant l’opération sont fréquentes. Or, 99,5 % des personnes réadmises pour des complications le sont dans des hôpitaux publics, car ceux-ci ont également l’équipement requis pour offrir des soins plus complexes.
On estime que 60 000 personnes se trouvant sur les listes d’attente chirurgicales ont été décalées pour faire place à ces patient(e)s ayant reçu leur traitement initial dans des établissements privés. Autrement dit, les personnes plus aisées peuvent passer devant les autres en se rendant dans des cliniques privées pour la chirurgie initiale, puis bénéficier d’une priorité dans le système public pour les soins postopératoires en cas de réadmission.
« Le secteur privé choisit les patients en meilleure santé, les renvoie rapidement chez eux, puis les laisse pour compte, de sorte que la gestion des réadmissions, y compris les complications postopératoires, revient au système public, poursuit la chercheuse. Pendant ce temps, les personnes les plus défavorisées et malades vivant en Angleterre doivent attendre plus longtemps. En Écosse, où la privatisation est minime, l’accès aux soins repose sur les besoins plutôt que sur la richesse. »
Les délais d’attente sont certes plus courts pour les personnes allant au privé, mais chaque hausse de 1 % du nombre de patient(e)s recevant un traitement financé par les deniers publics dans un établissement privé entraîne une hausse de 2 % des délais d’attente pour l’ensemble des patient(e)s en Angleterre.
L’Ontario doit éviter les périls de la privatisation, préviennent des groupes de défense
L’Ontario doit tirer des leçons du périlleux chemin emprunté par l’Angleterre et abandonner son élan de privatisation des soins chirurgicaux, affirment la Coalition ontarienne de la santé et le Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario (SCHO-SCFP).
Entre 2017 et 2022, environ 19 % des opérations de la cataracte en Ontario ont été réalisées en cliniques privées. Le gouvernement conservateur de la province verse également 125 millions de dollars sur deux ans aux cliniques privées pour 20 000 opérations de la hanche et du genou, et 155 millions de dollars supplémentaires sont redirigés vers le secteur privé pour des examens diagnostiques.
« L’Angleterre est allée plus loin dans la privatisation, et son expérience devrait servir d’avertissement au gouvernement Ford, qui redirige actuellement plus d’une centaine de millions de dollars par an vers des cliniques privées plutôt que de financer nos hôpitaux publics », déclare Natalie Mehra, directrice générale de la Coalition ontarienne de la santé. « Comme en Angleterre, l’Ontario paie un prix plus élevé pour les opérations de la cataracte faites dans les cliniques privées. Et comme en Angleterre, on constate une augmentation des iniquités dans l’accès aux soins. »
« Cette stratégie soulève la question suivante : puisque la privatisation est moins efficace et plus coûteuse que les soins publics, et qu’elle viole nos valeurs fondamentales d’accès aux soins en fonction des besoins et non de la richesse, pourquoi le gouvernement Ford étend-il la privatisation au lieu de l’arrêter, comme l’a fait l’Écosse, et n’augmente pas plutôt la capacité de nos hôpitaux publics? » se demande-t-elle.
Pratiquement tous les hôpitaux publics de l’Ontario ont des salles d’opération inutilisées la plupart du temps parce qu’ils ne disposent pas de l’argent nécessaire pour les faire fonctionner à pleine capacité, souligne-t-elle. L’Ontario finance ses hôpitaux publics au taux le plus bas de toutes les provinces.
Michael Hurley, président du CSHO-SCFP, rapporte les conclusions d’une étude publiée l’an dernier dans le Journal de l’Association médicale canadienne qui a révélé que le nombre de cliniques de chirurgie privées à but lucratif en Ontario était corrélé à une inégalité croissante dans l’accès aux soins. Les personnes les plus aisées ont vu leur accès aux soins augmenter de 22 %, tandis que les taux d’accès à la chirurgie ont diminué de 9 % chez les plus marginalisées.
Il soutient qu’il est important pour l’Ontario de corriger le tir le plus rapidement possible avant que le système ne soit profondément fracturé comme en Angleterre, où le rétablissement de la capacité et la réduction des inégalités seraient coûteux en raison de l’ampleur de la privatisation.