On se questionne de plus en plus sur les profits des entreprises : trop, c’est combien ? Pendant la pandémie, les grandes entreprises ont fait des bénéfices record tandis que les ménages et les PME se débattaient pour joindre les deux bouts. Et comme l’inflation augmente, la quête de profit des entreprises contribue à la hausse des prix.

La Banque du Canada fait généralement abstraction du rôle des sociétés dans la fixation des prix. Elle préfère répéter qu’une hausse des salaires entraînera une hausse des prix (une spirale salaires-prix). Par exemple, lorsqu’elle a haussé les taux d’intérêt en octobre, elle a mentionné les salaires neuf fois, sans jamais parler des bénéfices des entreprises.

Cette approche est malhonnête. On voit bien que les augmentations salariales moyennes sont inférieures à l’inflation dans l’ensemble, tandis que les bénéfices des entreprises augmentent.

En fait, en proportion du produit intérieur brut (PIB) du Canada, les bénéfices nets de sociétés atteignent un sommet en 60 ans. Le PIB est la valeur de tous les produits finis et services fournis dans un pays au cours d’une période donnée. On l’utilise souvent pour estimer la taille d’une économie. Au deuxième trimestre de 2022 (mois d’avril, mai et juin), les bénéfices après impôt des sociétés représentaient 20 % du PIB du Canada. C’est deux points de pourcentage de plus que le sommet de 18 % observé en 2005, avant la crise financière, et plus du double de la moyenne observée entre 1960 et 2000.

Pourquoi la Banque du Canada ignore-t-elle ce facteur dans la hausse des prix ? L’une des raisons est que la théorie économique dominante dit qu’il est naturel pour une entreprise de fixer des prix aussi élevés que possible pour maximiser ses profits ; si ces prix sont trop élevés, les gens se tourneront vers une option plus abordable, ce qui garde les prix sous contrôle.

Le problème, c’est que ce principe fonctionne uniquement en présence d’une concurrence saine sur le marché. Les nouvelles entreprises peuvent gagner de l’argent en offrant des biens et des services à un prix inférieur. C’est difficile au Canada, parce que nos lois favorisent les fusions d’entreprises et les monopoles, ce qui complique la tâche des nouvelles entreprises.

Les comportements anticoncurrentiels n’ont rien de nouveau au Canada, tout comme nos préoccupations à ce sujet. Ces dernières années, une poignée de fusions de grandes entreprises ont provoqué un tollé. D’ailleurs, le fédéral vient de lancer, en novembre, un examen de la concurrence très attendu. Pour qu’il améliore nos lois sur la concurrence et le contrôle des prix, il faudra lui demander des comptes tout au long de ce processus.

Mais on ne réglera pas tout en modifiant la Loi sur la concurrence. On trouve des secteurs, comme les banques, où les prix sont plus élevés que ce à quoi on s’attendrait dans un marché concurrentiel regroupant plusieurs joueurs. Cela démontre que la concurrence n’est pas la solution magique que prétendent les économistes, surtout lorsqu’on parle de biens et de services qui sont des nécessités, comme le logement, la nourriture et l’électricité. Les entreprises savent que les gens paieront plus pour les choses dont ils ont besoin, même s’ils n’en ont pas les moyens. C’est pourquoi il faudrait, dans le cas de ces nécessités, avoir une option publique qui supprime le profit de l’équation, comme une société d’État de l’énergie.

Soulignons que l’un des principaux moteurs de la hausse des bénéfices après impôt des sociétés a été les réductions d’impôt spectaculaires que les gouvernements fédéral et provinciaux accordent à celles-ci depuis 2000. Ces décisions ont transféré énormément de richesse des gouvernements et des services publics vers les coffres du privé. Il faut que nos gouvernements reconnaissent que cette approche du ruissellement a échoué et qu’ils rééquilibrent la fiscalité des entreprises.