Malgré des citoyens très engagés et des campagnes efficaces pour la justice sociale et économique, les partenaires du SCFP en Colombie ont réitéré leur appel au soutien de la communauté internationale à la lumière des crises exacerbées par la pandémie de COVID-19. On parle ici du meurtre de militants syndicaux et de dirigeants autochtones et de menaces persistantes de violence contre les personnes qui résistent à l’accès sans entrave des entreprises aux riches ressources naturelles de ce pays sud-américain.
Récemment, CoDevelopment Canada (CoDev) organisait un webinaire intitulé Spotlight on Columbia. Le président national du SCFP, Mark Hancock, et des membres du comité de solidarité internationale du SCFP-C.-B. y ont participé. Ce webinaire portait sur la situation actuelle dans la ville portuaire de Buenaventura, où, il y a trois ans, une grève citoyenne de 22 jours a reçu l’appui de toute la communauté comme en témoigne les manifestations monstres organisées. La grève a obligé le gouvernement colombien à négocier un accord pour la fourniture de services publics essentiels à l’ensemble de la communauté, dont 80 pour cent des habitants sont noirs et plus de 90 pour cent vivent sous le seuil de pauvreté.
Les organisateurs ont accepté de mettre fin à la grève en échange de la mise en œuvre d’une série de revendications portant notamment sur l’eau potable et les infrastructures sanitaires de base, une assurance-maladie couvrant les procédures médicales et la médecine traditionnelle, l’accès à une éducation publique de qualité, la justice et les réparations pour les victimes du conflit, ainsi qu’un processus de consultation communautaire pour l’aménagement du territoire. Malgré quelques progrès initiaux, le président Iván Duque Márquez est revenu sur sa parole et a utilisé la pandémie afin de lancer des projets de développement qui déplacent les populations locales et nuisent à l’environnement pour ne servir que les intérêts du grand capital mondial. Entretemps, l’intimidation étatique et les assassinats de militants se poursuivent sans contrôle, tout comme l’influence insidieuse du crime organisé. Les gangs de la drogue et les forces paramilitaires de droite luttent pour contrôler la contrebande et l’exportation des drogues.
Inspirer avec courage et solidarité
Dans son allocution de bienvenue aux participants au webinaire et aux membres du panel qui se joignaient à l’événement depuis la Colombie, Mark Hancock a félicité la population de Buenaventura pour son courage et sa solidarité face aux menaces du gouvernement et des entreprises. Le président national du SCFP, qui s’est rendu en Colombie avec une délégation du SCFP l’an dernier, a rappelé l’assassinat de cinq dirigeants autochtones par des membres d’un groupe paramilitaire, la veille de sa rencontre avec des dirigeants autochtones de la province du Cauca. Le lendemain, à son arrivée dans la communauté où le massacre avait eu lieu, il a observé plus de 600 personnes indignées discuter en petits groupes de la ligne de conduite à adopter.
« Ce dont j’ai été témoin ce jour-là, c’est d’un immense courage face à la tragédie. Cela m’inspire encore aujourd’hui. Un tel courage montre que, même dans nos moments les plus sombres, nous pouvons encore compter les uns sur les autres. Nous pouvons nous organiser et continuer à nous battre. », a souligné Mark Hancock.
Berenice Celeita, présidente de l’organisation de défense des droits de la personne NOMADESC, a déclaré aux participants au webinaire que les conditions de vie stressantes associées à la pauvreté, qui existent depuis longtemps en Colombie en raison des causes structurelles du conflit, des inégalités et de l’injustice sociale, ont été amplifiées par la pandémie.
« Le modèle de développement économique extractiviste affecte la Colombie et le monde entier. La Colombie demeure l’un de ces pays où les multinationales exploitent impunément les ressources nationales : l’or, l’eau, le pétrole. Mais, depuis la COVID-19, la situation a empiré. Les personnes aux commandes profitent de la pandémie pour prendre des mesures extraordinaires », a-t-elle souligné.
À titre d’exemple, le nombre de meurtres et d’assassinats a doublé. Entre l’accord de paix de 2016 et le 21 août 2020, 1000 dirigeants sociaux et défenseurs des droits de la personne ont été tués, dont 194 depuis le début 2020, a annoncé Berenice Celeita, qui a elle-même fait l’objet de nombreuses menaces de mort au fil des ans. Au total, 282 personnes ont été tuées dans 71 massacres cette année seulement, dont cinq enfants à Cali.
Fin octobre, des menaces de mort ont été proférées contre les dirigeants de la Fédération colombienne des enseignants FECODE et le président de la principale fédération syndicale colombienne, la CUT. On a livré une couronne funéraire au domicile d’un membre du comité exécutif national de la FECODE. On a aussi publié de fausses notices nécrologiques pour les seize dirigeants. Au cours du webinaire, CoDev a partagé un lien vers le site Web Labourstart, où les Canadiens peuvent envoyer un message exhortant le gouvernement colombien à prendre des mesures de protection pour assurer la sécurité de ces dirigeants syndicaux.
COVID-19 et opportunisme
Depuis que la pandémie mondiale a été déclarée en mars, on constate des comportements similaires de la part des gouvernements et des entreprises dans toute la région. « Dans des pays comme le Mexique, le Guatemala et le Honduras, les mêmes acteurs contrôlent le territoire et imposent la loi du silence, et la pandémie y contribue », a expliqué Berenice Celeita. Elle a remarqué que les gouvernements de droite d’Amérique latine ont utilisé de manière opportuniste les protocoles de distanciation sociale et d’isolement pour écraser la dissidence et consolider leur pouvoir, au profit de leurs commanditaires privés.
Selon Berenice Celeita, pendant 200 jours de confinement en Colombie, Duque Márquez a adopté189 décrets d’urgence, principalement liés à la loi et à l’ordre public, en particulier le contrôle du territoire par la police et l’armée. Cinquante-neuf autres décrets habilitent les banques à générer de l’argent pour les grandes entreprises. Les militants des droits de la personne ont réagi par une série d’actions dénonçant ces mesures. Du 25 juin au 20 juillet, une série de marches et de rassemblements pour la dignité ont mis en lumière les crimes commis par le gouvernement dans les communautés campesino et noires. Le 12 octobre, des communautés autochtones de tout le pays ont entamé une marche (Minga) d’une semaine vers la capitale.
Les militants colombiens souhaitent obtenir le soutien de la communauté internationale pour que la paix soit reconnue comme un droit de la personne, a expliqué Berenice Celeita : « Pour nous, il est vraiment important que soient respectés les accords de paix et l’accord sur la grève de Buenaventura. »
Le porte-parole du comité de grève, Victor Hugo Vidal, a été l’un des militants les plus éminents de la grève citoyenne de Buenaventura. Aujourd’hui maire de cette ville, il s’est joint à la table ronde du webinaire. Il a décrit Buenaventura comme un baromètre pour toute la Colombie, surtout en raison de la force de caractère de ses citoyens face à l’oppression.
« Notre grève est née des efforts de nombreuses organisations ethniques et populaires pour partager nos rêves collectifs. Il y a des avantages à être le maire. En tant qu’administrateur public, j’ai travaillé comme facilitateur dans la concrétisation des accords de grève. Mais c’est aussi un défi, parce que c’est un exercice de transformation, ce qui n’est pas facile, car il existe une relation traditionnelle entre l’administration publique et de nombreuses pratiques illégales en Colombie », a-t-il expliqué.
Du « client » au citoyen
Les efforts de Victor Hugo Vidal pour aider Buenaventura à se remettre d’un demi-siècle de pauvreté et faire passer les priorités de la municipalité de celles des entreprises clientes à celles des citoyens lui ont valu des partisans, mais aussi des ennemis. Le maire et ses alliés ont reçu des menaces, des rumeurs se sont répandues visant à détruire sa réputation, et l’édifice municipal a été bombardé.
« Pour changer la tradition, pour passer du service aux clients au service aux citoyens, et transformer la logique selon laquelle ce qui est public est toujours corrompu, nous devons remettre en question le pouvoir », a-t-il déclaré.
Le panel comprenait aussi deux membres du comité de grève de Victor Hugo Vidal : Leyla Andrea Arroyo Muñoz et Maria Miyela Riascos de l’organisme communautaire Black Community Process. Cette dernière a remercié CoDev et le SCFP pour leur soutien à la lutte pour la justice sociale et économique. Elle a déclaré que la nécessité d’une solidarité internationale continue n’a jamais été aussi grande. Selon elle, le racisme structurel est un facteur majeur dans la négligence de quartiers entiers de Buenaventura. Alors que l’accès à l’eau potable a été limité à quatre ou cinq heures par jour dans les quartiers privilégiés, certaines zones plus pauvres sont restées quinze jours sans eau.
« Le gouvernement colombien ne respecte aucun accord; nous avons donc besoin de lettres de soutien l’invitant à le faire. Veuillez apporter les lettres à votre ambassade afin qu’elles soient envoyées en Colombie. Et si vous pouvez nous envoyer des contacts, cela pourrait nous aider dans nos projets de développement. Nous avons également besoin de votre aide pour organiser des actions urgentes afin de sauver des vies. », a-t-elle insisté.
Leyla Andrea Arroyo Muñoz a pour sa part souligné qu’un aspect crucial de l’accord conclu à la suite de la grève citoyenne était un processus de planification de l’aménagement du territoire, incluant le consentement préalable des communautés affectées.
« Ce sont des droits collectifs qui nous sont accordés en rapport avec le territoire noir ou autochtone. Nous avons pu stopper un grand nombre de permis d’exploration minière, entre autres. Nous avons pu stopper les mégaprojets liés au port et au tourisme », a-t-elle expliqué.
- APPEL URGENT : CoDev demande aux Canadiens d’aider son partenaire hondurien CODEMUH et les organisateurs des travailleurs des maquilas qui ont perdu leur maison à cause des deux ouragans de ce mois-ci. Vous pouvez faire un don par l’entremise de la campagne Mardi on donne de CoDev en visitant sa page de dons.
Aimeriez-vous soutenir les services publics, la solidarité et les droits du travail en Amérique latine ? CoDevelopment Canada collabore avec le SCFP pour appuyer des partenaires syndicaux et de défense des droits de la personne en Amérique latine. Le personnel de CoDev est membre de la section locale 1004 du SCFP. Devenez membre de CoDev ! Visitez le www.codev.org ou composez le 604-708-1495.