La croissance de l’économie est forte, mais pas celle des salaires. La faible augmentation des salaires cause d’ailleurs des maux de tête aux économistes et encore plus aux travailleurs. Heureusement, certains signes laissent croire que la hausse des salaires s’accentuera. Comme les travailleurs méritent mieux, c’est donc le temps d’exiger des augmentations plus importantes.
Normalement, la valeur réelle des salaires – elle tient compte de l’inflation – a tendance à diminuer en période de ralentissement économique, pour ensuite augmenter lorsqu’il y a reprise et que le taux de chômage baisse.
Pourtant, on attend toujours l’augmentation des salaires qui aurait dû accompagner la croissance qu’on observe présentement. Lors de la première moitié de 2017, l’économie canadienne a connu sa plus forte croissance en 15 ans. Au cours des 12 derniers mois, plus de 300 000 emplois ont été créés et le taux de chômage a chuté à 6,2 %, son plus bas niveau depuis octobre 2008.
Malgré ce contexte favorable, la moyenne des règlements salariaux conclus depuis le début de l’année est de seulement 1,7 %, soit la moitié de la hausse de 3,3 % mesurée la dernière fois que le taux de chômage était aussi bas.
La faible croissance des salaires n’affecte pas que le Canada. Aux États-Unis, où le taux de chômage est à son plus bas niveau en 17 ans (4,1 % en octobre), les augmentations salariales ont dépassé l’inflation d’à peine 0,1 %. En Angleterre, où le chômage est à son plus bas en 42 ans, l’augmentation moyenne demeure inférieure à l’inflation.
Voici quelques-uns des facteurs qui ont freiné l’augmentation des salaires et le pouvoir de négociation des travailleurs au cours dernières années :
- La polarisation du marché du travail et la contraction de la classe moyenne. La diminution des emplois à revenu moyen et la hausse des emplois à faible revenu et à revenu élevé expliquent en partie la faible croissance des salaires. Pour certaines professions, la croissance des salaires est même faible.
- La mondialisation et la sous-traitance. Les accords de libre-échange, la mondialisation et les menaces d’impartition et de sous-traitance ont limité les demandes salariales des travailleurs dans le secteur des biens et de certains services, comme l’OCDE et le gouverneur de la Banque du Canada l’ont reconnu.
- L’augmentation de la précarité. La croissance de l’emploi au cours de la dernière année a été vigoureuse, mais plus de 50 % de la hausse est imputable à la hausse du travail autonome, à durée fixe ou à contrat. Or, ces travailleurs viennent grossir les rangs des employés à statut précaire, comme ceux d’Uber par exemple.
- L’austérité et le gel des salaires. Gels, réductions et austérité ont ralenti la croissance globale des salaires dans le secteur public. Pour sept des huit dernières années, les salaires dans le secteur public ont progressé plus lentement que ceux dans le secteur privé. La croissance a même été inférieure à l’inflation pour cinq des huit dernières années.
- Les faibles attentes des travailleurs. Après des années de vaches maigres, il semble que les travailleurs ont réduit leurs attentes. Inverser cette tendance va prendre du temps. Les petites augmentations de salaire suffisaient peut-être quand l’inflation était faible, mais la hausse des taux d’intérêt et de l’inflation va réduire inévitablement le niveau de vie des travailleurs.
- L’automatisation. Les révolutions industrielles précédentes étaient accompagnées, à terme, d’une croissance de l’emploi dans d’autres secteurs. Or, on craint que l’arrivée massive des robots entraîne l’élimination pure et simple des emplois dans l’avenir. La faiblesse du taux de chômage démontre que ce n’est pas encore le cas, mais la simple menace de l’automatisation freine bel et bien la croissance des salaires dans certains secteurs et professions.
- La baisse du taux de syndicalisation. Depuis dix ans, ce taux diminue dans le secteur privé, en raison du déclin des secteurs manufacturier et primaire. Plus récemment, il s’est mis à baisser dans le secteur public, en raison notamment du recours accru aux travailleurs occasionnels dans des secteurs comme la santé et l’éducation.
- L’affaiblissement de la réglementation du travail et des protections des travailleurs. Les normes du travail s’érodent, ce qui contribue à la baisse du taux de syndicalisation. Le pouvoir de négociation des travailleurs est aussi affecté. La reconnaissance du statut d’emploi, la rémunération des heures supplémentaires et l’admissibilité à l’assurance-emploi sont notamment remises en cause.
- Le pouvoir des grandes entreprises et du 1 % des plus riches. Cette concentration du pouvoir dans moins en moins de mains limite la croissance des salaires, les revenus allant directement dans les poches des propriétaires et des cadres supérieurs.
Heureusement, certains facteurs expliquant la faiblesse des augmentations de salaire changent, ce qui devrait encourager une hausse plus importante des salaires. Par exemple, l’adoption d’un salaire minimum à 15 dollars l’heure devrait avoir un effet à la hausse sur le reste des salaires. Certaines provinces resserrent les lois du travail, ce qui devrait renforcer le pouvoir de négociation des travailleurs et favoriser la hausse du taux de syndicalisation. Bien que certaines provinces poursuivent leurs attaques contre les salariés de la fonction publique, la résistance gagne en force. Enfin, d’autres provinces abandonnent l’austérité et augmentent leurs dépenses. Bref, il est temps pour les travailleurs d’exiger plus de leurs gouvernements et de leurs employeurs.