Depuis que les droits syndicaux ont été reconnus par la législation canadienne grâce à la mobilisation des travailleuses et travailleurs, les gouvernements cherchent des façons de limiter notre droit de grève. Pendant des décennies, les gouvernements fédéraux et provinciaux ont adopté des lois de retour au travail pour mettre un terme aux grèves. Mais depuis quelques mois, le gouvernement fédéral privilégie une approche encore moins démocratique : le recours à l’article 107 du Code canadien du travail.

Lors de la récente grève d’Air Canada, l’article 107 a fait les manchettes, car le gouvernement fédéral l’a invoqué pour demander au Conseil canadien des relations industrielles d’ordonner au SCFP de mettre fin à la grève des agent(e)s de bord à peine huit heures après son déclenchement. Toutefois, la décision du SCFP de poursuivre la grève a fait couler davantage d’encre, en plus de forcer Air Canada à reprendre les pourparlers et à négocier de bonne foi. 

Vous vous demandez peut-être en quoi consiste exactement l’article 107.

Le Code canadien du travail s’applique aux travailleuses et travailleurs dans les secteurs sous réglementation fédérale comme les services portuaires, le transport aérien, ferroviaire et maritime, les télécommunications et la plupart des sociétés d’État fédérales comme Postes Canada. 

L’article 107 stipule que :

Le ministre peut prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent; à ces fins il peut déférer au Conseil toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires.

Ce libellé est plutôt vague et prête à confusion. Vous vous demandez où il y est mentionné que le ministre du Travail peut envoyer un courriel au CCRI pour lui ordonner de mettre fin à une grève? Eh bien, nous nous le demandons aussi!

L’article 107 figure au Code canadien du travail depuis 1984, mais ce n’est qu’en juin 2024, lorsque les mécanicien(ne)s de WestJet ont voté en faveur de la grève, qu’un gouvernement a tenté pour la première fois d’y recourir pour bafouer le droit de grève. Le ministre du Travail de l’époque, Seamus O’Regan, a demandé au CCRI d’imposer un arbitrage exécutoire avant même que la grève ne commence. Le CCRI a renvoyé le conflit à l’arbitrage, mais a autorisé la poursuite de la grève jusqu’au début de l’arbitrage. Bien sûr, dès que WestJet a réalisé que le gouvernement n’empêcherait pas immédiatement la grève, la compagnie est retournée à la table de négociation et une entente a rapidement été conclue.

Il semblerait que les libéraux aient été furieux que le CCRI permette le maintien de la grève. Mais plutôt que d’accepter que la loi ne permette pas au ministre du Travail d’ordonner la fin d’une grève, ils ont continué à invoquer l’article 107 pour contrecarrer d’autres arrêts de travail.

Depuis l’été 2024, les libéraux ont utilisé l’article 107 pour intervenir, à la défaveur des travailleuses et travailleurs, dans au moins sept autres conflits de travail, dont ceux touchant les débardeuses et débardeurs représentés par le SCFP 2614 et SCFP 375. Malheureusement, le gouvernement est parvenu à ses fins, contrairement à sa première tentative avec WestJet. Cette nouvelle tendance dissuade les employeurs des secteurs sous réglementation fédérale de participer de bonne foi au processus de négociation. Ce fait a été souligné lorsque les agent(e)s de bord représenté(e)s par le SCFP ont décidé de poursuivre la grève malgré l’intervention du gouvernement. Lors d’une entrevue, lorsqu’on a demandé à Michael Rousseau, le PDG d’Air Canada, pourquoi la compagnie aérienne n’avait prévu aucun plan pour éviter que la clientèle ne se retrouve bloquée à l’étranger dans l’éventualité d’un arrêt de travail, il a ouvertement admis que la compagnie comptait sur l’intervention du gouvernement pour éviter la grève.

L’article 107 n’est qu’un exemple flagrant des nombreuses façons dont les gouvernements minent le processus de négociation collective et pipent les dés en faveur de l’employeur. Le SCFP et d’autres syndicats ont entamé un long processus pour contester cette loi devant les tribunaux. Le SCFP a également demandé au gouvernement fédéral d’abolir l’article 107, ou de consulter les syndicats canadiens sur les modifications à y apporter pour en limiter la portée.