À Campbellton, une petite ville tissée serrée du nord du Nouveau-Brunswick, où tout le monde se connaît, le changement peut être déstabilisant. À l’instar de nombreuses autres régions rurales, Campbellton a connu l’exode et le déclin de sa population. Mais à l’automne 2023, la ville a été le  théâtre d’un grand changement qui a inspiré autant de méfiance que d’espoir parmi la population. 
 
Un groupe de travailleuses et travailleurs philippins a été embauché à Campbellton pour pourvoir des postes dans un foyer de soins pour aîné(e)s de la région. Leur arrivée a suscité la curiosité et  l’appréhension du personnel de l’établissement, représenté par le SCFP 2354. « Ça a été un gros changement quand je suis arrivée à Campbellton », affirme Rhea Marie Gayares, préposée aux soins, qui a atterri dans la ville sans y connaître personne et a dû se débrouiller avec certains besoins essentiels avant de commencer son nouvel emploi. « Je devais aller à la banque. Je devais obtenir mon NAS. Alors, j’ai pris mon courage à deux mains, j’ai abordé d’autres personnes d’origine philippine que j’avais rencontrées dans le couloir de mon immeuble et je leur ai demandé où je devais aller. »
 
L’employeur a fourni un logement aux recrues et a supervisé leur déménagement au Canada. Ces démarches ont mis en évidence la grande vulnérabilité que vivent souvent les travailleuses et travailleurs étrangers temporaires au pays. Les recrues étaient à l’étroit dans leur domicile, les logements abordables se faisant rares à Campbellton. Beaucoup de personnes se trouvaient dans une situation financière précaire et certaines ont même été forcées de faire appel aux banques alimentaires.
 
Par-dessus tout, l’employeur a tenté de provoquer une division au travail. Des mois avant l’arrivée des recrues, l’employeur a suscité la peur chez les employé(e)s en poste, les avertissant que leurs emplois étaient menacés et qu’il n’hésiterait pas à les remplacer par des travailleuses et travailleurs étrangers. Nancy Adams, présidente du SCFP 2354 et infirmière auxiliaire autorisée avec plus de 21 ans d’expérience, n’allait pas faire comme si de rien n’était. Ce n’était pas tout simplement une question de gestion du changement, c’était son leadership qui était mis à l’épreuve. Elle a dû plonger dans le défi de préserver l’unité au sein de sa section locale. Elle savait que la réaction du syndicat serait déterminante pour les membres, car elle pouvait leur inspirer confiance, renforcer leur solidarité ou les diviser. 
 
Alors, elle a pris une décision d’importance cruciale : elle a demandé de l’aide à Marie-Gabrielle Gagnon, conseillère en  droits de la personne du SCFP, et à June Savoie, conseillère du SCFP 2354. Ensemble, elles ont élaboré une stratégie avec les membres de la section locale, non seulement pour préparer l’arrivée des travailleuses et travailleurs philippins et répondre à leurs besoins immédiats, mais aussi pour aborder les préoccupations. Nancy Adams a  mis l’accent sur l’expérience humaine et leurs objectifs communs, insistant sur l’importance de défendre les droits des membres dans ce contexte.
 
Nancy Adams a personnellement accueilli chaque membre avec une lettre sincère écrite à la main, et la section locale  a préparé une trousse de bienvenue pour chaque personne contenant, entre autres, de l’information importante et la convention collective. Les membres du syndicat ont aidé
en offrant de la nourriture et d’autres denrées, des couches pour les enfants, des uniformes et des vêtements. Le syndicat a également tenu des réunions privées pour offrir aux recrues un lieu sûr pour parler de leurs craintes. Les efforts de la section locale sont allés bien au-delà de l’accueil
des nouveaux membres au syndicat. Il fallait défendre leur bien-être, comme l’avaient fait d’autres sections locales du SCFP dans des situations similaires. 
 
L’exécutif de la section locale a insisté que les travailleuses  et travailleurs philippins n’étaient pas des adversaires, mais des allié(e)s en quête d’une vie meilleure au Canada. « On nous encourageait à participer aux réunions syndicales », se rappelle Mary Annabelle Elumba, une préposée aux bénéficiaires qui a déménagé à Campbellton avec trois autres collègues. « On nous a promis qu’on nous aiderait si on avait des problèmes.»
 
Par exemple, une des priorités du SCFP 2354 était de s’assurer que l’ensemble des travailleuses et travailleurs soient traité(e)s équitablement, peu importe leur statut  d’emploi ou leur parcours. Lorsque les recrues ont commencé à travailler et que plusieurs postes à temps plein devenaient
vacants à cause du taux de roulement élevé dans le secteur, l’employeur a tenté d’empêcher le personnel philippin de postuler. « Notre syndicat nous a vraiment beaucoup aidé(e)s », raconte Rhea Marie Gayares. « Quand plusieurs postes à temps plein se sont libérés, c’est la présidente
de notre syndicat qui s’est impliquée pour s’assurer qu’on puisse poser notre candidature. » En défendant le droit des travailleuses et travailleurs temporaires d’être traité(e)s comme les autres et de postuler pour les postes permanents disponibles, Nancy Adams et son équipe ont empêché
l’employeur de pourvoir les postes vacants par un flot  continu de nouvelle main-d’oeuvre temporaire et d’entretenir ainsi la précarité et les inégalités.
 
Au fil des mois, de plus en plus de travailleuses et travailleurs philippins ont participé aux assemblées syndicales. Le SCFP 2354 s’est assuré que les réunions avaient lieu dans des endroits neutres et chaleureux pour faire en sorte que tout le monde se sente inclus. En avril 2024, la participation des nouveaux membres était en hausse, et les assemblées syndicales sont devenues un cadre propice à la solidarité. Nancy Adams et son équipe se mettaient souvent en  retrait, après les séances officielles, pour aborder certaines difficultés particulières que vivaient les recrues dans le but de favoriser la confiance et le sentiment de sécurité. Au cours des mois suivants, leur stratégie a porté ses fruits : de plus en plus de travailleuses et  ravailleurs ont commencé à participer aux activités syndicales et à reconnaître la valeur de la force collective. 
 

L’approche inclusive adoptée par le syndicat a non seulement renforcé la solidarité entre les travailleuses et travailleurs étrangers et locaux, mais elle a également  insufflé une nouvelle énergie au sein de la section locale. Cette approche s’avère cruciale pour mobiliser toute section locale : elle crée un syndicat beaucoup plus puissant avec des membres qui s’impliquent et qui freinent les tentatives de l’employeur de provoquer une division dans le groupe. Aujourd’hui, avec les travailleuses et travailleurs philippins qui composent près de la moitié de la main-d’oeuvre, le SCFP 2354 est plus fort et uni que jamais.

« Nos membres ont compris que ces personnes, comme tant d’autres ailleurs au pays, étaient à la recherche de meilleures opportunités pour elles et leur famille », explique Nancy Adams. Elle voit cette expérience comme un vecteur de croissance pour le syndicat dans son ensemble, qui reconnaît de plus en plus la nécessité d’améliorer la représentation au sein du conseil exécutif de la section locale pour refléter la diversité des membres. Malgré les défis qui restent à relever, Nancy Adams et son équipe s’engagent à lutter pour les droits et le bien-être de l’ensemble des membres. Le SCFP 2354 va continuer à renforcer les relations établies et à maintenir des liens étroits avec chaque nouvelle recrue qui se joint au syndicat afin de lui offrir le même soutien et les mêmes possibilités qu’aux autres membres.

Grâce au soutien de leur syndicat, des membres comme Rhea Marie Gayares et Mary Annabelle Elumba sentent qu’elles font partie de l’équipe au travail et qu’elles sont néobrunswickoises. Rhea Marie Gayares a déjà obtenu un poste à temps plein grâce à la mobilisation du SCFP 2354.
De son côté, Mary Annabelle Elumba dit que « tout le monde est si gentil » au Nouveau-Brunswick : « Je pense rester et peut-être poursuivre ma carrière en soins infirmiers au Canada. »
 
Le document Les travailleuses et travailleurs étrangers temporaires dans notre syndicat : un guide pour agir en solidarité est une ressource essentielle pour aider les équipes de négociation et les comités exécutifs des sections locales du SCFP à soutenir les membres qui sont des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires.
 
 Le guide explore les difficultés légales et professionnelles uniques auxquelles font face ces travailleuses et travailleurs et renforce l’engagement du SCFP à créer des milieux de travail inclusifs et solidaires pour tout le monde.