Marcela Quinonez est originaire de la Colombie où elle a grandi. Elle travaille aujourd’hui comme conseillère en gestion des contrats chez Hydro-Québec. En plus de sa carrière, cette militante passionnée pour la justice sociale s’implique depuis son enfance dans des actions visant à soutenir les personnes vulnérables.
Marcela incarne la résilience, la solidarité et la persévérance. Elle est la preuve qu’il est toujours possible d’avancer et de surmonter les obstacles, même si c’est à « petits pas ». Elle nous parle de son parcours, de ses convictions et de son engagement au sein du SCFP, tout en mettant en lumière les défis auxquels elle a fait face en tant qu’immigrante.
Question 1
Vous avez grandi en Colombie dans une famille très impliquée socialement. Pouvez-vous nous parler de l’influence de votre enfance sur votre parcours?
En Colombie, mes parents m’ont transmis un amour profond pour l’implication sociale. Je viens d’une famille de classe moyenne, mais j’ai grandi à la campagne au milieu des champs agricoles. Beaucoup d’injustices, d’inégalités et de pauvreté nous entouraient. Chaque année, mes parents amassaient de l’argent, puis on allait à l’épicerie pour acheter du riz, des légumes, du café et même des bonbons pour les enfants. On distribuait ensuite ces sacs de nourriture dans les quartiers les plus pauvres. Cet acte de solidarité m’a marquée et m’a donné le désir d’aider les autres, particulièrement les plus vulnérables.
En grandissant, je me suis impliquée dans diverses initiatives en Colombie, notamment pour aider les femmes en milieu rural. Cette volonté d’aider les autres m’a suivie jusqu’au Québec, où je continue de m’impliquer de différentes façons.
Question 2
Vous avez immigré au Canada il y a 15 ans. Comment s’est passée votre intégration, notamment au niveau de la langue et de l’emploi?
L’intégration n’a pas été facile. Quand je suis arrivée au Québec, je ne parlais pas français. Je ne savais même pas dire bonjour. Ma langue maternelle est l’espagnol et je parlais anglais, mais le français c’était une toute autre histoire. Ce n’est pas tout le monde qui avait accès aux programmes de francisation. Mes premiers professeurs ont été mes enfants, qui avaient alors 4 et 7 ans. Ils apprenaient le français à l’école et avaient la grosse responsabilité de franciser leur mère. On dirait qu’on les fait grandir un peu plus vite par les choix qu’on fait comme parents. J’ai aussi commencé à faire du bénévolat pour avoir plus d’occasions de pratiquer la langue – et d’aider!
Puis, comme beaucoup d’immigrants, j’ai dû commencer au bas de l’échelle. J’ai nettoyé des toilettes et travaillé dans des entrepôts, le temps de faire mes preuves même si j’avais un baccalauréat. Aujourd’hui, je travaille chez Hydro-Québec et mon rôle consiste à administrer des contrats et accompagner des firmes d’ingénierie et d’architecture pour nos différentes installations. Je suis fière de mon parcours, mais les obstacles sont réels pour les femmes issues des minorités, surtout quand on ne maîtrise pas la langue et qu’on n’a pas de réseau. C’est difficile de percer tous ces plafonds de verre. J’ai été chanceuse, mais ce n’est pas tout le monde qui a cette chance.
Question 3
Quels défis avez-vous rencontrés en milieu de travail? Croyez-vous que la plupart des personnes immigrantes vivent des défis semblables?
En tant qu’immigrante, femme et personne racisée, je me trouvais à l’intersection de nombreux défis. J’ai fait face à de la discrimination, à du racisme, à du harcèlement sexuel et à des situations d’intimidation. Ce qui est difficile, c’est qu’on se sent souvent seule. Quand j’ai vécu ces expériences, je n’avais trouvé personne à qui me confier, personne qui me ressemblait et en qui je pouvais avoir confiance. C’était lourd à porter.
C’est à ce moment que j’ai décidé de devenir cette personne de confiance pour les autres. Je voulais être celle qui représente ces femmes et ces personnes racisées, qui les encourage à s’exprimer sans peur de perdre leur emploi ou leur stabilité.
Il est nécessaire de soulever plus souvent la réalité des personnes immigrantes au sein de notre syndicat. Il faut parler de leur précarité d’emploi, des statuts d’immigration souvent mal compris, du racisme et de l’importance de pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle.
Question 4
Depuis votre arrivée, observez- vous des changements en termes d’ouverture, d’inclusion et de représentativité?
Au Canada, j’ai souvent été confrontée à un sentiment d’être différente. En Colombie, j’étais comme tout le monde. Quand on te fait subtilement sentir que tu n’es pas d’ici, ça génère de la colère. Cette colère est légitime, mais elle peut devenir destructrice si on ne sait pas la canaliser.
C’est pourquoi j’encourage les membres de mon syndicat à transformer cette colère en force positive. Je leur dis souvent : « Faisons de cette colère un outil stratégique et intelligent pour l’orienter vers les bonnes actions. » Il est important de trouver des moyens constructifs de faire avancer les choses, et c’est ce que j’essaie de faire au quotidien, au travail et dans mes engagements sociaux.
Mais oui, je crois qu’on avance. J’ai vu des améliorations dans mon syndicat et ma section locale : les minorités sont mieux représentées, il y a plus de femmes et une meilleure compréhension des problèmes liés à la discrimination. La situation a évolué tranquillement, à petits pas de tortue, mais de façon constante.
Ce que j’aimerais dire à mes collègues qui travaillent en justice sociale, c’est qu’il faut développer notre sens de la patience. C’est ce qui maintient notre espoir en vie, parce que si tout le monde perd espoir, il n’y aura plus personne pour défendre nos droits et nos libertés.
Question 5
Qu’est-ce qui vous motive à continuer à vous impliquer au sein du SCFP et quelle est l’importance de votre travail et de celui du syndicat pour les personnes racisées et immigrantes?
Le SCFP joue un rôle essentiel. Comme membre du Comité national pour la justice raciale, j’ai vu à quel point il est important d’avoir des espaces sécuritaires où on peut parler librement de racisme, de discrimination et de sexisme. Grâce à mon syndicat, j’ai pu organiser des ateliers pour les travailleuses et travailleurs des communautés ethnoculturelles chez Hydro-Québec. Ces ateliers nous permettent de discuter ouvertement des enjeux qui nous touchent sans avoir à nous censurer.
Le SCFP a mis en œuvre sa stratégie de lutte contre le racisme, ce qui est un grand pas vers l’avant. C’est un document très complet qui nous donne une direction et des recommandations. Mais la stratégie est un levier. C’est à nous de passer à l’action et de faire avancer les choses sur le terrain.
J’aimerais d’ailleurs inviter les gens à être plus curieux, à s’offrir le privilège d’aller discuter avec quelqu’un vers qui ils n’iraient pas naturellement. Ça prend de l’ouverture et de l’empathie pour déconstruire les biais inconscients.
Question 6
Vous êtes très impliquée aussi comme bénévole, notamment auprès des femmes victimes de violence conjugale et des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires. Pourquoi est-ce important pour vous de poursuivre ces actions sur le terrain?
J’ai été secouée par la violence conjugale et l’oppression. Je ne me considère pas comme une victime, mais comme une survivante. C’est un fléau qui affecte beaucoup de gens dans notre société et qui mérite notre attention. Il faut en parler, sensibiliser plus de personnes, et montrer qu’il faut cesser d’avoir peur car on peut s’en sortir.
C’est aussi crucial pour moi de ne pas invisibiliser les personnes qui vivent et travaillent ici, comme les travailleuses et travailleurs saisonniers ou migrants. Ils sont essentiels et contribuent à bâtir notre économie.
J’habite dans les Laurentides où il y a beaucoup de travailleuses et travailleurs temporaires agricoles. Ils vont faire leur épicerie et, souvent, personne ne leur parle, c’est comme s’ils n’existaient pas. Dans la plupart des cas, ils n’ont pas accès à la francisation et, sans communication, ces gens ne réussissent pas à créer des liens sociaux. Moi, j’ai la chance de parler espagnol, alors je vais vers eux, je discute avec eux, je les accompagne à la caisse, et je suis récompensée par leur regard souriant. C’est une façon simple de leur montrer qu’ils sont vus, qu’ils existent. Leur résilience est inspirante. C’est important de leur donner cette légitimité et de les reconnaître en tant qu’êtres humains qui ont leur place dans nos communautés.
Mon implication sociale a toujours été guidée par cette volonté d’écouter les autres, de faire une différence dans leur vie et de ne pas les laisser dans l’ombre. Ce n’est pas juste une question d’avoir accès à un logement, à l’éducation et à la santé, il y a plusieurs autres facteurs qui doivent être considérés. Chaque personne a le droit de trouver une place où elle se sent bien. Je crois profondément que chacun mérite d’être vu, entendu et reconnu.