Tammy Kelly | Employée du SCFP
Aubrey Gonsalves est président du SCFP 2316 depuis 2008, représentant le personnel de la Société d’aide à l’enfance de Toronto. Aubrey est aussi président du Comité de coordination des travailleuses et travailleurs des services sociaux du SCFP-Ontario, qui défend le travail crucial des membres et des sections locales de tout l’Ontario et préconise des services sociaux publics de haute qualité accessibles à tous et toutes.
Il a été élu vice-président du SCFP à la diversité représentant les membres noir(e)s et racisé(e)s au Congrès national de 2021. Il participe à de nombreuses initiatives de lutte contre le racisme. C’est un défenseur acharné et passionné du « travailler ensemble », peu importe les différences, pour en accomplir davantage en tant que société. Il partage ici ses expériences qui aideront chaque membre du SCFP à voir le rôle qu’il ou elle peut jouer dans la construction d’un mouvement syndical équitable, inclusif et antiraciste.
Question 1
À l’été 2022, vous avez participé à la Délégation syndicale de première ligne Canada-Colombie qui est allée à la rencontre de militant(e)s pour les droits de la personne et du travail en Colombie. Quels ont été les effets de cette expérience sur vous et comment peut-on continuer à soutenir nos camarades colombiens ?
Je n’oublierai jamais ce voyage de la délégation en Colombie. Il m’a beaucoup appris et m’a fait grandir en tant que personne. Nous sommes arrivés à un moment charnière où les mouvements sociaux progressistes et les communautés les plus opprimées avaient uni leurs forces. Les populations autochtones, afro-colombiennes et marginalisées se sont coordonnées avec les groupes étudiants, les organismes de défense des droits de la personne et le mouvement syndical. Ensemble, ils ont bâti une coalition solide qui a réussi à faire élire un gouvernement pour le peuple, quelques semaines avant notre arrivée. Ce moment historique s’est avéré l’un des points les plus inspirants du voyage.
Au cours de notre visite, nous avons rencontré plusieurs syndicats et organisations, qui défendent notamment les droits de la personne et du travail, ainsi que des familles qui ont perdu des êtres chers pendant la résistance menée par les jeunes en 2021. Je me souviens avoir demandé ce que le SCFP pouvait faire pour continuer à les soutenir à la suite de ce voyage. Pour être honnête, je pensais à des choses typiques, comme de l’argent ou des campagnes, mais leur réponse m’a détrompé. Chaque groupe a répondu que nous pouvions les soutenir en continuant à défendre nos services publics, les droits de la personne et les populations marginalisées, car le peuple colombien utilise ces exemples pour renforcer ses services publics et ses droits humains. C’est pourquoi nous, les membres du SCFP, devons continuer à lutter pour nos droits et pour les services publics au Canada.Chaque victoire, aussi minime soit-elle, fait une différence tant au Canada que dans d’autres pays.
Question 2
Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être le vice-président national du SCFP à la diversité représentant les membres noir(e)s et racisé(e)s ?
Ce rôle est un honneur et un privilège pour moi, et je tiens à rendre hommage à mes prédécesseurs. Ce titre s’accompagne du devoir de faire progresser le travail et les priorités par et pour les membres noir(e)s et racisé(e)s, et leurs identités croisées. Je ne parle pas uniquement au nom des membres actuels du SCFP. J’essaie aussi de porter l’héritage des leaders et des membres du passé. J’y réfléchis constamment pour me guider, m’inspirer et m’encourager à continuer.
Au fur et à mesure que j’avance, reconnaissant de faire ce travail, je ressens un certain malaise. Pendant que je suis ici, à représenter les membres noir(e)s et racisé(e)s, à soulever leurs problèmes, d’autres groupes en quête d’équité n’ont pas une voix aussi forte. Même si je les représente dans ces enjeux, c’est différent, parce que j’en parle en tant qu’allié, acolyte et complice, sans expérience vécue. C’est pourquoi je soutiens et je milite en faveur d’augmenter la représentativité des vice-présidences à la diversité au Conseil exécutif national du SCFP.
Question 3
On voit un engagement croissant de la part des gouvernements et des organisations en faveur de l’équité raciale. Pourtant, on constate une absence alarmante de progrès dans le quotidien des personnes noires et racisées. Selon vous, quelle est la voie à suivre ?
Je ne suis pas sûr que je définirais cela comme un engagement croissant. Je dirais plutôt que les milieux de travail commencent à se concentrer sur la diversité, l’équité et l’inclusion. La réalité, c’est que cet effort prendra beaucoup de temps, et qu’il faudra le pousser et le soutenir constamment.
Un premier pas dans la bonne direction consiste à donner à nos membres noir(e)s et racisé(e)s la possibilité de tisser des liens, de partager leur vécu et d’apprendre les uns des autres. Un autre consiste à intégrer des stratégies et des politiques d’équité en matière d’emploi dans nos milieux de travail et notre syndicat. Nous devons continuer à faire respecter la lutte contre la discrimination, y compris les articles de lutte contre le racisme et le harcèlement au sein de nos sections locales et de nos conventions collectives. Cela est en phase avec l’objectif de la Stratégie du SCFP de lutte contre le racisme qui vise à « administrer et faire respecter la convention collective dans une perspective antiraciste ». Et nos leaders et nos allié(e)s peuvent offrir différents types de soutien, comme s’assurer que tout le monde fait des reconnaissances territoriales et lit la déclaration du SCFP à l’occasion de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies.
Tant que ces choses ne se produiront pas, nous ne verrons pas de changement significatif dans le quotidien des travailleuses et travailleurs noirs et racisés.
Question 4
Comment le SCFP peut-il contribuer à mettre fin au racisme, aux préjugés multiples et aux formes multiples de discrimination et de violence ?
Le SCFP a une longue histoire de lutte contre le racisme, mais il faut admettre qu’il y a du racisme au sein du SCFP, tout comme dans plusieurs autres organisations. La différence est que le SCFP l’admet et reconnaît son rôle dans les questions de racisme, de discrimination et de violence. L’admettre est la première étape vers l’élimination du racisme et de la discrimination. L’étape suivante consiste à passer à l’action.
Je travaille avec Debra Merrier, la vice-présidente du SCFP à la diversité représentant les membres autochtones, à la mise en œuvre de la Stratégie du SCFP de lutte contre le racisme avec la participation de membres noir(e)s, autochtones, racisé(e)s ou allié(e)s. Nous organisons des réunions au niveau régional et national pour atteindre le deuxième objectif clé de la stratégie : « Accroître la représentation des membres noir(e)s, autochtones et racisé(e)s au sein du syndicat ».
C’est ainsi que nous arriverons à mettre fin à ce problème systémique au sein du SCFP, puis du mouvement syndical, de nos milieux de travail et de l’ensemble de la société.
Question 5
Comment peut-on stimuler la participation et la représentation des membres noir(e)s, autochtones et racisé(e)s au sein du leadership syndical, et mieux aborder leurs besoins et leurs points de vue essentiels ?
En Colombie, j’ai été inspiré tout particulièrement par la lutte et les réalisations des personnes afro-colombiennes et des femmes. Permettez-moi de vous raconter une histoire qui m’a fait monter les larmes aux yeux. Pendant notre voyage, nous avons rencontré Dora Lilia Gomez, la première femme présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes de Colombie (STPC). En 2004, alors que le SCFP et d’autres syndicats commençaient à s’impliquer auprès des syndicalistes colombiens, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) du Canada a donné l’occasion à une délégation syndicale colombienne de visiter notre pays. La seule condition était que l’une des deux personnes soit une femme. C’est ainsi que Dora Lilia Gomez a pu visiter le Canada.
C’était la première fois qu’elle quittait son pays, la première fois qu’elle voyait des femmes être traitées sur un pied d’égalité avec les hommes et la première fois qu’elle rencontrait des femmes à des postes de direction. Elle nous a dit que « son féminisme a commencé au Canada ». De retour en Colombie, elle a été inspirée de se présenter à la présidence de son syndicat, contre le président sortant, un homme, et elle a gagné ; c’était du jamais vu. Aujourd’hui, elle encourage d’autres femmes à aller de l’avant, pour maintenir le mouvement.
Voilà pourquoi le deuxième objectif de notre stratégie contre le racisme me tient le plus à cœur : il met en valeur l’expérience vécue et la représentation. L’effet sur les membres est à son maximum lorsqu’ils ou elles peuvent se voir sur scène. C’est le plus habilitant des sentiments.
Permettez-moi de défier respectueusement les dirigeant(e)s des sections locales avec cette question : Que faisons-nous pour tendre la main aux groupes marginalisés afin qu’ils s’impliquent, qu’ils fassent partie de nos exécutifs ? En cas de doute, je vous encourage fortement à lire les points d’action sous les 10 grands objectifs de la Stratégie du SCFP de lutte contre le racisme.
Question 6
Notre syndicat se porte à la défense des services publics et des droits des travailleuses et travailleurs, il lutte contre la privatisation et l’oppression. Que pouvons-nous faire de plus ? Pourquoi devrions-nous passer du stade non raciste à l’étape suivante : être antiraciste ?
Je vois beaucoup de similitudes entre l’antiracisme et l’antiprivatisation. Premièrement, quelqu’un qui n’est pas raciste ressemble à quelqu’un qui soutient les services publics ; c’est un bon début. Mais nous devons aller plus loin, et c’est ce que signifient l’antiracisme et l’antiprivatisation. L’antiracisme et l’antiprivatisation, c’est être proactif.
Il y a une différence entre dire « je ne suis pas raciste » et dire « je vois le racisme et je vais faire quelque chose pour y remédier ».
En d’autres termes, nous devons être proactifs et passer à l’action quand c’est nécessaire, et constamment, contre le racisme et contre la privatisation des services publics. C’est important de lier la privatisation au racisme, parce que cela aide les gens à comprendre que dire « je soutiens les services publics » ou « je ne suis pas raciste » ne suffit pas pour éliminer la privatisation et le racisme. La question est : que faisons-nous et qu’allons-nous faire de plus pour démanteler le racisme ?
Nous participons à des manifestations de sensibilisation sur les impacts de la privatisation. Nous luttons contre la privatisation à coups de campagnes et d’appels à l’action. La solidarité antiprivatisation est claire et, même s’il y a des milieux de travail et des sections locales qui ne sont pas victimes de la privatisation, nous sommes tous et toutes solidaires face à cet enjeu.
Cette solidarité est si importante à plusieurs niveaux. Elle permet aux gens victimes de la privatisation de savoir qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ont le soutien des autres. Cela envoie aussi un message aux gouvernements et aux entreprises que le SCFP, les syndicats, les travailleurs, les travailleuses et les communautés ne toléreront pas la privatisation. Or, bien que de nombreuses provinces aient un comité antiprivatisation qui organise des actions antiprivatisation, toutes les provinces ne luttent pas contre le racisme au même niveau.
Ce même type de solidarité, d’alliance et de militantisme est nécessaire lorsque nous parlons de gestes racistes et d’expériences de racisme. Nous devons avoir la même passion, la même vigueur, dans la lutte contre le racisme. Nous devons mettre en œuvre ce même genre d’initiatives face au racisme.
Les membres noir(e)s, autochtones et racisé(e)s ont besoin que nous priorisions leurs enjeux. Ils ne devraient jamais être laissés pour compte ou seuls. Il est important de bâtir une solidarité autour de ces enjeux, mais la question est de savoir ce que nous faisons. Nous devons passer à l’action.
Écoutez Aubrey Gonsalves s’adresser aux délégué(e)s du 58e congrès du SCFP-Nouvelle-Écosse.
Au congrès national du SCFP en 2021, les congressistes ont adopté la Stratégie du SCFP de lutte contre le racisme. Lisez cette stratégie et aidez-nous à réaliser ses dix objectifs et actions clés.