Le traumatisme affecte les personnes qui le vivent de manières profondes, mais différentes. Il est essentiel de comprendre les multiples conséquences et symptômes du traumatisme pour s’assurer que, dans la lutte contre la violence et le harcèlement sexuels, on ne cause pas plus de tort, par inadvertance, aux personnes survivantes.
Il faut aussi reconnaître que l’expérience des traumatismes est généralisée, y compris les traumatismes collectifs ou persistants comme le colonialisme, le racisme, le capacitisme, la transphobie ou l’homophobie, et que la personne qui a causé un tort peut également être profondément affectée par des traumatismes antérieurs.
Pour vraiment progresser dans la guérison, en tant qu’individus et communautés, notre réponse à la violence et au harcèlement sexuels doit toujours tenir compte des traumatismes. Mais à quoi cela ressemble-t-il dans la pratique ?
Comprendre les impacts des traumatismes
Un événement traumatisant est un événement « qui se produit lorsqu’une personne est soumise à quelque chose d’effrayant et de bouleversant, qui provoque chez elle le sentiment de perdre le contrôle ».[1] Les gens peuvent vivre le même événement différemment. La personnalité, les événements antérieurs, les ressources personnelles et la situation sociale jouent tous un rôle dans notre perception des événements et de notre place dans ceux-ci, de sorte qu’une personne peut développer un traumatisme à la suite d’un événement et pas une autre qui a vécu la même chose.
Au cours de l’événement traumatisant, une personne peut éprouver un réflexe de combat, de fuite ou de gel. Ces réactions réflexives sont plus fortes que la pensée consciente; la personne survivante peut ne pas comprendre sa réaction. Le traumatisme affecte également la capacité de former des souvenirs, ce qui signifie que la personne survivante peut ne pas être en mesure de raconter l’incident de manière complète et cohérente la première fois qu’elle le révèle. Plus d’informations peuvent sortir plus tard, ou la personne pourrait être en mesure de décrire une partie de l’incident très clairement et n’avoir aucun souvenir ou seulement des souvenirs partiels de ce qui a entouré ce moment.
Un traumatisme peut avoir des répercussions physiques, mentales et sociales. Après le ou les événements déclencheurs, la personne peut être dans un état d’hypervigilance ou, à l’inverse, être léthargique et dissociative. Elle peut, comme mécanisme de défense, chercher à minimiser ou nier ce qui s’est passé, ou elle pourrait revivre l’événement en boucle. Elle pourrait sembler irritable ou extrêmement vulnérable. Elle pourrait adopter des comportements compulsifs pour essayer de retrouver un sentiment de sécurité et de contrôle.
Sur le plan cognitif, la personne survivante peut avoir des difficultés à prendre des décisions. Elle peut être constamment alarmée, ce qui l’empêche de bien évaluer les intentions des gens et les risques que représentent certaines décisions. Elle peut s’isoler ou adopter des comportements autodestructeurs. Elle peut avoir du mal à faire confiance aux autres et essayer de se distancier émotionnellement.
Une approche tenant compte des traumatismes
Une approche tenant compte des traumatismes repose sur quatre piliers :
- Prendre conscience de l’impact du traumatisme
- Reconnaître les signes et les symptômes d’un traumatisme
- Répondre en se basant sur la connaissance du traumatisme
- Chercher à éviter la retraumatisation[2]
Selon le Klinic Community Health Centre, « le modèle tenant compte des traumatismes remplace l’étiquetage de la clientèle comme étant “malade”, résistante ou peu coopérative par celui d’être “blessée”. Considérer le traumatisme comme une blessure fait passer la conversation de la question “Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ?” à la question “Qu’est-ce qui vous est arrivé ?” »
Une approche tenant compte du traumatisme cherche à procurer un sentiment de sécurité, de choix et de contrôle à la personne qui a subi un traumatisme. Elle reconnaît ce que la personne survivante a vécu, permet à celle-ci de décider à quoi ressemble la guérison, l’implique dans la prise de décision et nécessite des vérifications fréquentes pour s’assurer de la satisfaction de ses besoins.
Une réponse tenant compte des traumatismes dans la pratique
Réagir aux divulgations
Les personnes survivantes de violence et de harcèlement sexuels choisissent souvent de partager leur histoire d’abord avec quelqu’un avec qui elles se sentent à l’aise : un(e) professeur(e) ou un(e) assistant(e) d’enseignement digne de confiance, un membre du personnel de soutien qu’elles voient tous les jours, la personne avec qui elles habitent ou un(e) ami(e). Elles peuvent également s’adresser à leur personne déléguée syndicale ou à un membre de la direction de leur section locale.
Il est essentiel de réagir à la divulgation en tenant compte des traumatismes, pour s’assurer que la personne se sente à l’aise de demander de l’aide et du soutien.
Lorsqu’une personne révèle qu’elle a été victime de violence ou de harcèlement sexuel, une réponse tenant compte du traumatisme se traduit comme suit :
- Exprimer de l’empathie et de la compassion : « Je suis vraiment désolé que cela te soit arrivé. Cela a dû être très difficile ».
- Faire attention à ne pas exprimer de jugement, attribuer le blâme ou formuler un doute de quelque manière que ce soit.
- Reprendre les mots utilisés par la personne survivante pour décrire les événements.
- Poser des questions pour obtenir des éclaircissements si nécessaire, mais ne pas demander à la personne de raconter plus de son histoire qu’elle n’est prête.
- Fournir des informations pour permettre à la personne de faire un choix éclairé, tout en veillant à ne pas la pousser vers une réponse donnée. « Nous avons un bureau de prévention et de réponse à la violence sexuelle sur le campus. On pourrait t’y donner accès à des services médicaux et de consultation. Souhaites-tu les contacter ? »
- Interroger la personne survivante sur la confidentialité : Avec qui pouvez-vous partager des informations ? Quelles informations pouvez-vous partager ?
- Expliquer clairement quelles sont vos responsabilités si vous avez l’obligation de signaler des informations à l’établissement, à la police ou à un organisme professionnel.
Soutenir les membres
La section locale a la responsabilité légale de fournir un soutien et de représenter de bonne foi les membres qui sont engagés dans des griefs, des enquêtes institutionnelles ou des processus internes au syndicat qui pourraient entraîner des mesures disciplinaires.
Offrir un soutien et une représentation d’une manière tenant compte des traumatismes se traduit comme suit :
- Interpelez la personne que vous soutenez d’une manière compatissante et sans jugement.
- Communiquez ouvertement et clairement, en expliquant le processus, les résultats possibles et tout retard ou changement dans le processus.
- Prenez les décisions en collaboration avec la personne que vous soutenez lorsque cela est possible, en vous assurant qu’elle se sente soutenue et en sécurité.
- Prenez le temps de répondre à ses questions et à ses préoccupations.
Soutiens négociés
Les personnes qui ont subi de la violence et du harcèlement sexuels ne sont pas les seules à subir un traumatisme après un incident de ce genre. Les premiers intervenants et premières intervenantes, les témoins et les membres du personnel qui fournissent des services aux personnes survivantes peuvent également subir un traumatisme. Votre section locale peut s’assurer que tous les membres qui ont subi un traumatisme en raison de violence ou de harcèlement sexuel reçoivent le soutien approprié en les incluant dans vos négociations collectives.
De tels soutiens pourraient inclure :
- un congé payé pour les personnes survivantes de violence sexiste, pour leur permettre de consulter, de se faire soigner, etc.;
- des mesures d’adaptation et du soutien en santé mentale pour les personnes impliquées dans la réponse aux incidents de violence et de harcèlement sexuels. Cela pourrait inclure un congé pour incident critique, soit des congés payés automatiques pour les personnes impliquées dans la réponse à un incident violent ou traumatisant sur le campus;
- une formation pour tout le personnel sur la réponse tenant compte des traumatismes face à la violence et au harcèlement sexuels.
Prévention des traumatismes secondaires
L’accueil d’une divulgation de violence ou de harcèlement sexuel et la réponse à celle-ci sont lourds de conséquences. Vos personnes déléguées syndicales ou les membres de votre exécutif (les femmes tout particulièrement) pourraient devoir accueillir plusieurs divulgations de ce genre en raison de leur poste. Ces personnes peuvent passer des mois à soutenir une personne survivante ou une personne intimée à travers les rouages d’une enquête de l’établissement ou d’une procédure de grief.
Elles peuvent subir un traumatisme secondaire ou indirect, un épuisement professionnel ou une dépression. Cela peut se manifester de diverses manières : de l’apathie, de la fatigue, un cynisme ou un manque de compassion croissant, de l’irritabilité, de l’anxiété, de l’évitement délibéré ou de la culpabilité.
Il existe des pratiques qu’on peut mettre en œuvre pour aider à prévenir le développement d’un traumatisme secondaire, notamment :
- la conscience de soi et le maintien des limites;
- la pratique d’autosoins comme un sommeil et une alimentation adéquats;
- l’exercice physique et la méditation;
- un compte-rendu avec des pairs ou une personne conseillère dûment formée.
Mais le traumatisme secondaire n’est pas simplement un problème individuel. Les sections locales devraient adopter des pratiques qui préviennent le traumatisme secondaire chez les personnes déléguées syndicales, les membres de l’exécutif et les membres impliqués dans la réponse à la violence et au harcèlement sexuels :
- fixez-vous l’objectif de tenir compte des traumatismes dans tout ce que fait votre section locale;
- travaillez en collaboration et faites attention à la répartition de la charge de travail;
- mettez de la formation et du soutien à la disposition des membres de l’exécutif et des personnes déléguées syndicales;
- apprenez à identifier les signes de traumatisme secondaire et soyez prêt à intervenir rapidement en cas de besoin.
Où trouver plus d’informations
Trauma-Informed: The Trauma Toolkit – Klinic Community Health Centre
Trauma-Informed Practice Guide – BC Provincial Mental Health and Substance Use Planning Council
The Institute on Trauma and Trauma-Informed Care – State University of New York at Buffalo
Le présent document est fourni à titre d’information seulement et ne constitue pas un avis juridique. Pour obtenir de plus amples renseignements et de l’aide, communiquez avec votre personne conseillère nationale.
[1] Lori Haskell et Melanie Randall. L’incidence des trausmatismes sur les victimes d’agressions sexuelles d’âge adulte. Rapport présenté à Justice Canada. 2019. https://canada.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/trauma/trauma_fra.pdf
[2] Substance Abuse and Mental Health Services Administration. SAMSHA’s concept of Trauma and Guidance for a Trauma-Informed Approach. Juillet 2014. https://ncsacw.samhsa.gov/userfiles/files/SAMHSA_Trauma.pdf. Nous traduisons.