Moins de la moitié des travailleurs canadiens ont droit à des congés de maladie payés par l’employeur. Chez ceux qui gagnent moins de 25 000 dollars par année, c’est le quart des travailleurs qui en bénéficient. Pendant la pandémie, les travailleurs à bas salaire du secteur des services sont par conséquent confrontés à un choix terrible : s’isoler au premier signe de symptômes ou d’exposition et se priver de salaire, ou se croiser les doigts et continuer à travailler.
Les données le prouvent hors de tout doute : les congés de maladie et de quarantaine payés sont essentiels pour enrayer la propagation des maladies contagieuses. Une commission indépendante qui a étudié l’éclosion de SRAS de 2003 à Toronto a conclu que l’indemnisation provinciale pour les personnes devant être mises en quarantaine avait été cruciale pour stopper la propagation. Pour contenir les éclosions futures, la commission a recommandé aux gouvernements de se doter d’un plan permettant aux travailleurs malades de rester chez eux. Une étude sur la pandémie de H1N1 de 2009 a révélé que les travailleurs sans congé payé étaient plus susceptibles d’aller travailler pendant leur maladie, causant, selon les estimations, environ sept millions d’infections supplémentaires aux États-Unis.
Les lieux de travail ont été une source d’infection tout au long de la pandémie au Canada, en particulier chez les travailleurs à bas salaire de la transformation alimentaire, de la vente au détail, des soins de santé et des services de nettoyage. Dans la région ontarienne de Peel, un point chaud lors de la deuxième vague de la COVID-19, 218 éclosions en milieu de travail ont été recensées depuis le début de la pandémie. Peel compte 80 % des employés d’entrepôt de la région du Grand Toronto. Or, près de la moitié des cas de COVID-19 résultant d’éclosions en milieu de travail dans la région provenaient d’entrepôts. Une étude de la santé publique de Peel menée entre août 2020 et janvier 2021 a révélé que 25 % des travailleurs présentant des symptômes de la COVID-19 ont continué à travailler.
À cause de la discrimination au travail, les travailleurs noirs, autochtones et racisés sont plus susceptibles d’occuper des emplois à bas salaire dans le secteur des services. Bien qu’il n’y ait pas de données nationales, Santé publique Toronto a commencé à recueillir de l’information à ce sujet. L’agence a constaté que les personnes gagnant moins de 30 000 dollars par année sont deux fois plus susceptibles d’avoir contracté la COVID-19 que la moyenne et que les travailleurs racisés sont beaucoup plus susceptibles que les Blancs de la contracter.
Au Manitoba, un récent rapport gouvernemental révèle aussi que la COVID-19 a eu un impact inéquitable sur les citoyens. En effet, l’analyse des cas d’infections enregistrés entre mai et décembre 2020 démontre que les personnes noires, autochtones ou originaires de l’Asie du Sud-Est et des Philippines étaient surreprésentés. Les auteurs du rapport ont constaté que les travailleurs de l’industrie de la transformation alimentaire, des services et des transports constituaient la moitié des cas d’infection dont le type d’emploi était connu, alors que les personnes racisées sont plus susceptibles de travailler dans ces secteurs ou d’habiter avec une personne qui y travaille, d’où la surreprésentation.
À la suite du SRAS et du H1N1, plusieurs états et grandes villes des États-Unis ont exigé que les employeurs fournissent des congés de maladie payés. Des chercheurs ont constaté que les congés de maladie payés offerts dans ces villes et états réduisent les taux de grippe saisonnière jusqu’à 40 % par rapport aux territoires qui ne les imposent pas. L’Ontario avait pour sa part ajouté deux jours de congé de maladie payés en 2018, mais ceux-ci ont été rapidement supprimés par le gouvernement Ford en 2019. Aucune autre province ou territoire n’a apporté de changements positifs substantiels en matière de congés de maladie.
Les employeurs qui refusent d’offrir des congés de maladie payés ne tiennent pas compte de nombreux coûts cachés. Les travailleurs qui doivent venir travailler malades mettent plus de temps à se rétablir, en plus d’infecter leurs collègues et les clients. Les travailleurs malades sont moins productifs. Les données montrent que les personnes malades sont plus susceptibles d’avoir un accident du travail ou de commettre des erreurs coûteuses. L’absence de congés payés entraîne également une augmentation du roulement du personnel, ce qui s’accompagne de coûts de formation plus élevés et d’une productivité réduite.
Les travailleurs à bas salaire sont moins susceptibles de bénéficier de congés de maladie payés. Ils sont aussi moins en mesure de se permettre de prendre des congés de maladie sans solde. Les syndicats, les experts en soins de santé et les défenseurs des travailleurs demandent aux gouvernements de veiller à ce que tous les travailleurs aient accès à des congés de maladie payés, autant pendant la pandémie qu’après.