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Le 10 juin 2011, le gouvernement libéral ontarien a proposé d’établir des normes de qualité et de sécurité pour les services de transfert médical non urgents entre établissements de santé. Cette annonce faisait suite aux sévères critiques qu’a formulées le protecteur provincial du citoyen, André Marin, à l’endroit de ce secteur d’activité.

Privatisation

Or, cela fait quelques années déjà qu’on signale au gouvernement divers problèmes avec le secteur du transfert médical à but lucratif. Les premières alertes ont été sonnées dès que le gouvernement progressiste-conservateur ontarien a présenté, en 2000, un projet de loi forçant les hôpitaux à ne plus faire appel aux ambulances et aux services médicaux d’urgence (SMU) pour transférer les patients stables d’un hôpital ou d’un établissement de soins de longue durée à l’autre. 

Cette mesure a fait exploser le secteur du transfert médical à but lucratif. Les SMU sont essentiellement prodigués par des organismes publics sans but lucratif fortement encadrés, mais les services de transfert de patient sont habituellement l’affaire d’entreprises à but lucratif. Ces dernières ont l’habitude de maquiller leurs camions en ambulances pour faire croire à la population qu’elles en sont. Pourtant, ce n’en sont pas, et ces entreprises privées sont peu encadrées.

Des problèmes, des problèmes, encore des problèmes

·         En 2000, le vérificateur général a recommandé au ministère de la Santé et des Soins de longue durée de travailler plus étroitement avec les municipalités et les hôpitaux à l’établissement de normes pour encadrer les transferts médicaux non ambulanciers.

·         En 2002, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée a demandé à IBI Group de se pencher sur le secteur des services de transfert médical. Le rapport de cette firme soulevait de graves inquiétudes sur le risque encouru par les patients en raison de l’absence de normes.

·         Selon le rapport de la Land Ambulance Acute Transfers Task Force déposé en mai 2004, pour assurer la sécurité des patients, il faut au minimum réglementer les services de transport médical. Ce rapport recommandait l’adoption d’une nouvelle réglementation provinciale pour encadrer ces services, afin d’assurer la sécurité des patients et la redevabilité des exploitants.

·        En 2005, le vérificateur général a recommandé au ministère de collaborer avec les municipalités et les hôpitaux afin de « développer et d’instaurer des normes pour encadrer la sécurité des passagers dans les services de transport médical non ambulancier ».

·         Au printemps 2005, le ministère a nommé quelqu’un pour piloter le dossier de la transformation du transport médical en Ontario. On a formé un groupe de travail qui formulerait des recommandations à l’intention du ministère sur la gouvernance et la prestation de services de transport médical non ambulancier, ainsi que sur l’utilisation des services de transport approprié pour les transferts inter-établissements.

·         En 2006, le Comité permanent des comptes publics de l’Assemblée législative a demandé une mise à jour sur l’élaboration des normes en question.

Et même après tous ces efforts, le gouvernement a fait marche arrière.

·        En 2007, le vérificateur général a mentionné, dans son rapport annuel, avoir reçu, concernant sa recommandation de 2005, cette réponse exaspérante : « Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée (le Ministère) a indiqué que les services de transport médical non ambulancier relevaient du ministère des Transports. Il nous a dit qu’il avait eu vent de réunions entre le ministère des Transports et la Medical Transportation Association of Ontario (qui représente le secteur des services de transport médical non ambulancier), mais que lui-même n’assistait pas à ces réunions. Au moment de notre suivi, le Ministère a indiqué qu’il avait engagé un dialogue avec le ministère des Transports au sujet du cadre de réglementation applicable à ces services de transport médical, et qu’il prévoyait poursuivre ce dialogue avec le ministère des Transports et d’autres ministères concernés afin de réévaluer le cadre de réglementation et les normes en vigueur et de déterminer s’ils sont adéquats. »

Le dossier éclate sur la place publique

En décembre 2009, le dossier s’est mis à bouger, avec la diffusion d’un documentaire de la radio de la CBC sur le secteur ontarien du transfert médical. Voici quelques-unes des découvertes de la journaliste Tina Pittaway : 

·         À la suite des modifications apportées à la Loi sur les ambulances par le gouvernement progressiste-conservateur de Mike Harris, on a assisté, depuis dix ans, à une hausse fulgurante du nombre de patients ontariens transférés par des entreprises à but lucratif.  

En 2000, on a introduit une loi forçant les hôpitaux à ne pas recourir aux ambulances pour déplacer les patients stables d’un hôpital ou d’un centre de soins de longue durée à un autre.

·         Malgré les propos rassurants de la ministre de la Santé de l’époque, Elizabeth Witmer, et de son secrétaire parlementaire Tim Hudak, aujourd’hui chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario, les ministères de la Santé et des Transports n’ont jamais formulé des normes minimales pour encadrer le personnel et les équipements, que ce soit sous Harris ou sous le gouvernement libéral de Dalton McGuinty.

·         La province assume la moitié des coûts des transferts par ambulance ou par les SMU. L’autre moitié est assumée par les patients, les hôpitaux et les municipalités. Dans le cas des transferts par le secteur privé, la province n’assume rien du tout : les coûts sont entièrement facturés aux hôpitaux, aux municipalités et aux patients. Le fait de pouvoir sortir ces dépenses des livres de la province a été un facteur clé dans la décision du gouvernement Harris.

·         Bien que certains préposés interviewés dans le reportage de la CBC soient des ambulanciers paramédicaux qualifiés, plusieurs autres n’ont aucune formation médicale, outre un certificat en RCP, et touchent entre 11 et 13 dollars l’heure. Et les employés qui expriment à leur répartiteur des doutes quant à la sécurité de leurs patients sont généralement suspendus ou congédiés. Le ministère de la Santé de l’Ontario n’oblige pas ces entreprises à respecter des normes minimales de formation et de compétence, contrairement aux ambulanciers paramédicaux accrédités et pleinement formés qu’on trouve dans les ambulances des SMU. Au Canada, c’est le seul ministère de la Santé à ne pas encadrer ces services privés.

·         Dans des entrevues accordées depuis 2009, des employés ont raconté des cas de camions prenant en feu et d’écrous de roue qui tombent. Dans ces deux cas, il y avait un patient à bord du camion. Une employée a raconté avoir reçu de son répartiteur l’ordre de déposer un patient sans-abri dans une ruelle de Toronto. D’autres, souvent sous le couvert de l’anonymat, ont parlé de cas de patients n’ayant pas reçu l’oxygène dont ils avaient besoin pendant le transfert, soit parce que le répartiteur ordonnait le transfert même si le préposé l’informait que ses bonbonnes étaient vides, soit parce que le préposé n’était pas au courant que le patient en avait besoin.

·         À savoir si un patient a le droit de refuser d’être transporté dans ces véhicules privés, la ministre de la Santé Deb Matthews affirme que si. Or, puisque le transport ambulancier n’est pas couvert par la Loi sur l’assurance-maladie de l’Ontario, le patient et sa famille devront débourser 240 dollars.

 ·       En 2002, le ministère de la Santé, alors avec Tony Clement à sa tête, ademandé à IBI Group de se pencher sur le secteur des services de transfert médical, afin de savoir comment il s’en tirait depuis les modifications à la Loi sur les ambulances. Le rapport de cette firme a soulevé de graves inquiétudes sur le risque encouru par les patients en raison de l’absence de normes. Malgré des propos rassurants, les ministères de la Santé et des Transports n’ont jamais formulé des normes minimales pour encadrer le personnel et les équipements, que ce soit sous Harris ou sous le gouvernement libéral de Dalton McGuinty.

·       Après chaque transport d’un patient contagieux, une ambulance est retirée de la route pour être nettoyée et désinfectée à fond (équipements, surfaces et civières). Cette exigence ne s’applique pas aux entreprises privées.

·       Dans ces véhicules, on transporte souvent des patients contagieux avec d’autres patients, et les préposés n’ont aucune formation en prévention de la contagion.

·        « Il pourrait y avoir des catastrophes et des maladies contagieuses pourraient être transmises, a déclaré en 2009 le DrIgnatius Fong, chef du département des maladies infectieuses à l’hôpital St. Michael’s de Toronto. On croirait que plusieurs de ces situations se produisent uniquement dans des pays du tiers-monde ou en développement, là où on n’a pas les ressources pour stériliser. Or, ça se produit ici, maintenant, en Ontario, au Canada. C’est gênant. »

·         Des patients ayant besoin d’oxygène pendant le transport n’en reçoivent pas, ce qui a parfois des conséquences catastrophiques pour leur santé. Nathan, le bébé de quatre mois de Kathleen Goldhar, a failli mourir en 2006, à cause de son transfert de l’hôpital Sick Kids à l’hôpital Toronto East General. Pendant le transfert, les deux préposés étaient assis à l’avant du camion, laissant Mme Goldhar et son fils gravement malade à l’arrière. Les infirmières de l’hôpital ont dit à la mère qu’on aurait dû donner de l’oxygène à Nathan, qui souffrait d’une grave infection respiratoire, pendant tout le voyage.

·         Chaque hôpital, qui au final est responsable de la sécurité des patients qu’il admet dans ses installations, signe un contrat avec les compagnies qui lui fournissent ces services.

·         L’entreprise privée n’arrive pas à prendre en charge tous les transferts médicaux non urgents; il y en a beaucoup trop. Ainsi, encore aujourd’hui, les ambulances réglementées transportent environ 70 pour cent des patients non urgents.


Le protecteur du citoyen

Le protecteur du citoyen a donné suite au documentaire de la CBC dans un rapport cinglant sur ce secteur d’activité. 

Les Ontariens feraient mieux de prendre un taxi pour se rendre à l’hôpital qu’un des véhicules privés utilisés pour transférer des centaines de milliers de patients non critiques chaque année, selon ce qu’a déclaré le protecteur du citoyen André Marin à la Presse canadienne.

Il s’est dit « renversé » par les témoignages entendus au fil de son enquête sur les transferts médicaux non urgents. « De tous les dossiers dont je me suis occupé depuis que je suis protecteur du citoyen, a-t-il affirmé, j’ai rarement vu preuves si convaincantes, concluantes et irréfutables. » M. Marin a reçu plus de 60 plaintes concernant des fournisseurs privés de services de transfert médical.

Selon lui, cette loi a permis à des entreprises privées de facturer des centaines de dollars par patient pour transporter ceux-ci dans de vieilles ambulances mal en point conduites par des « jeunes » sans aucune formation médicale.

« Ces entreprises mettent la vie des gens en danger, soutient-il. Ces véhicules qui, en tous points pratiques, sont des ambulances échappent à tout encadrement. C’est abasourdissant. » Il a également reçu des plaintes concernant des lacunes dans le contrôle de la contagion et des véhicules dangereux perdant des morceaux. Selon M. Marin, cela fait au moins 10 ans que des plaintes circulent, mais jusqu’à présent elles tombaient dans l’oreille d’un sourd.

M. Marin, qui a lancé son enquête en janvier 2011, affirme avoir découvert des faits si probants qu’il a cessé son investigation et demandé au premier ministre Dalton McGuinty d’agir immédiatement. « De tous les dossiers dont je me suis occupé depuis que je suis protecteur du citoyen, a-t-il affirmé, j’ai rarement vu preuves si convaincantes, concluantes et irréfutables. »

La réponse gouvernementale

Le gouvernement a réagi comme s’il n’était pas déjà au courant du problème : « On nous apprend que des gens croyaient être dans une ambulance, alors que ce n’était pas le cas, a déclaré en entrevue la ministre de la Santé Deb Matthews, qu’ils croyaient que le conducteur avait certaines compétences qu’il ne possédait pas. Nous allons donc réglementer ces entreprises pour qu’elles respectent certaines normes. Quant à la nature exacte de ces normes, nous y travaillerons. »

France Gélinas, critique du NPD en santé, a commenté la position du gouvernement en ces termes : « Tous ceux et celles qui ont eu le portefeuille de la santé entre les mains étaient au courant, et ce gouvernement n’a rien fait en huit ans au pouvoir. Aujourd’hui, ils nous disent «réélisez-nous pour que nous puissions agir», ce à quoi je réponds : mais où étiez-vous, ces huit dernières années? »

Puisque l’Assemblée législative ne siège plus et qu’elle ne siègera pas d’ici l’élection de cet automne, la mise en œuvre de cette politique dépendra du parti qui remportera l’élection provinciale du 6 octobre. Un gouvernement progressiste-conservateur ou néo-démocrate ne sera pas obligé de tenir cette promesse libérale.

De plus, ce que promet le gouvernement libéral, c’est simplement d’établir des « normes de base » pour les transferts de patients non urgents entre les établissements de soins de santé. Il semble que le gouvernement souhaite limiter les attentes quant à l’étendue de la réglementation qu’on imposera à ce sous-secteur.

À ce jour, les autorités n’ont pas mentionné publiquement la possibilité de ramener cette activité dans le giron public des SMU. On s’inquiète probablement des coûts que cela entraînerait et du risque de brimer les intérêts du privé.

Une porte ouverte sur PLUS de privatisation?

Ce dossier démontre encore une fois le genre de désastre qui attend les soins de santé lorsqu’un gouvernement téméraire se met à privatiser. Le gouvernement progressiste-conservateur de l’époque a remis le transfert de patients à des exploitants privés non encadrés qui ont tourné les coins ronds et versé des salaires non syndiqués. Les résultats pour la qualité des soins de santé sont lamentables.

Néanmoins, la loi pourrait bien accroître le rôle confié aux entreprises de transfert médical non urgent. Le gouvernement va vouloir montrer qu’il agit pour mieux encadrer ce secteur, soit, mais un cadre modeste pourrait servir de justification à un rôle accru du privé dans les services médicaux d’urgence.

Voilà qui est tout particulièrement inquiétant, dans un contexte où l’appétit du privé pour les services publics ne fait que croître, alors que les gouvernements cherchent à diminuer leur déficit et leurs coûts en transférant des emplois publics vers des fournisseurs offrant des salaires moindres et non syndiqués. De plus, même si les SMU assurent encore la majorité des transferts, le secteur fortement syndiqué des SMU pourrait perdre beaucoup de travail.

Les services de santé connaissant une régionalisation croissante, les transferts de patients entre établissements représentent un secteur appelé à croître encore. Selon le gouvernement, il y aurait annuellement entre 400 000 et 500 000 transferts de patients non urgents.

Le gouvernement libéral a promis des consultations, mais rien n’a transpiré sur la date où elles se tiendraient. La nouvelle réglementation ne pourra pas être adoptée avant l’élection du 6 octobre et, alors, elle dépendra de la volonté du nouveau gouvernement.

Pour être tenu au fait des développements dans ce dossier et les autres dossiers touchant la santé et la négociation collective, consultez le blogue Defend Public Healthcare   (http://goo.gl/KAEeR) (en anglais seulement).