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Le contexte

Le Dr Jacques Chaoulli et son patient, M. George Zeliotis, ont intenté une poursuite contre la province de Québec parce que le gouvernement du Québec a soutenu que la loi sur le régime d’assurance-maladie du Québec ne permettait pas à M. Zeliotis de payer pour des soins de santé privés et hors du régime d’assurance-maladie pour éviter une longue liste d’attente en chirurgie. La cause a été rejetée tant par la Cour supérieure du Québec que par la Cour d’appel du Québec.

Le Dr Chaoulli et M. Zeliotis ont ensuite soumis leur cause à la Cour suprême du Canada. Ils alléguaient que l’interdiction incluse dans la loi du Québec de se procurer des assurances santé privées violait leurs droits en vertu de l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qui stipule que « Tout être humain a droit à la vie ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne », et de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui énonce que « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Messieurs Chaoulli et Zeliotis soutiennent que s’ils ont les moyens d’acheter des soins de santé au lieu d’attendre, ils ne devraient pas être empêchés de le faire.

La Cour suprême a commencé à entendre la cause le 8 juin 2004 et a rendu sa décision le 9 juin 2005. Une longue liste de cliniques privées et dix sénateurs ayant à leur tête le sénateur Michael Kirby ont appuyé la cause du Dr Chaoulli. M. Kirby soutenait que « l’interdiction imposée par le Québec en matière d’assurance privée et d’achat de soins de santé assurés est inconstitutionnelle ». Le Congrès du travail du Canada et le Comité de la Charte et des questions de pauvreté étaient les principaux intervenants cherchant à faire rejeter l’appel.

La décision

Quatre juges de la Cour suprême sur sept ont donné raison au Dr Chaoulli et à M. Zeliotis et ont jugé que la Charte québécoise avait été violée. Cette majorité a jugé que l’interdiction d’acheter une assurance privée pour obtenir des soins de santé couverts par le régime d’assurance-maladie du Québec violait la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Trois juges n’étaient pas du tout d’accord.

La décision majoritaire est basée en grande partie sur la question des listes d’attente et des délais d’attente. La Cour suprême a jugé que bien que l’interdiction des assurances santé privées au Québec soit destinée à protéger l’intégrité du système public de santé, les patients ne doivent pas pour autant subir de délais inutiles qui donnent lieu à un accroissement de la mortalité ou entraînent des douleurs qui diminuent considérablement leur qualité de vie. Dans les faits, la Cour a décidé que des individus pouvaient, au Québec, acheter une assurance santé privée pour couvrir les services fournis par le régime d’assurance-maladie provincial parce que le système de santé ne répond pas aux besoins des patients. En outre, les quatre juges ont rejeté les faits tendant à démontrer que l’assurance santé privée mènerait au déclin éventuel du système public de santé.

La Cour était divisée à trois contre trois sur la question du non-respect de la Charte canadienne, et l’un des sept juges n’a émis aucune opinion sur ce point. En l’état actuel, la décision est applicable uniquement à la province de Québec et la province demande un sursis dans l’application du jugement afin d’avoir le temps de mettre en œuvre les mesures voulues pour régler des problèmes d’ordre législatif et de santé.

Les implications

Par sa décision, la Cour suprême a clairement fait savoir aux gouvernements provinciaux qu’ils devront agir rapidement pour renforcer leurs systèmes de santé s’ils veulent éviter des contestations semblables. La gestion des listes d’attente et des délais d’attente doit être une priorité dans ce processus. Le jugement ne signifie pas que la privatisation à grande échelle des soins de santé soit maintenant acceptable partout au pays. La décision ne s’applique qu’à la province de Québec. Toutefois, nous pourrions très bientôt assister à des contestations du même ordre contre d’autres régimes provinciaux d’assurance-maladie qui interdisent les assurances santé privées couvrant des services assurés par les provinces.

Ceux qui cherchent à mousser la privatisation en ouvrant des cliniques à but lucratif, des installations de chirurgie et des hôpitaux privés seront encouragés par la décision et intensifieront leurs efforts pour faire avancer l’idée de la privatisation des soins de santé, peu importe la province ou le territoire. Les gouvernements provinciaux doivent résister à cette pression.

Le gouvernement fédéral doit renforcer sa détermination à faire respecter la Loi canadienne sur la santé et ses principes d’universalité, d’accessibilité, de transférabilité, d’administration publique et d’intégrité. L’inaction fédérale en matière d’application de la loi a contribué en partie au laisser-aller provincial dans le dossier de la privatisation des soins de santé.

Les compressions imposées aux transferts en matière de santé aux provinces et aux territoires depuis le milieu des années 90 ont pavé la voie à la décision de la Cour suprême. Ces compressions ont mené à une immense restructuration et à la réduction des systèmes de santé provinciaux, ce qui a donné lieu à l’allongement des délais d’attente et à la diminution de la qualité des soins. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont conclu une entente sur le financement de la santé en septembre 2004, mais cette entente n’impose aucune condition pour l’obtention des transferts. Si les provinces n’utilisent pas l’argent pour renforcer leurs systèmes publics de soins de santé, la décision Chaoulli prendra une importance encore plus grande.

Depuis des années, le mouvement syndical et nos alliés de coalition suggèrent des stratégies pour consolider des soins de santé dont le financement et la prestation soient publics. En voici quelques exemples :

  • La mise en œuvre de stratégies liées à l’assurance-médicaments, comme l’achat en vrac de médicaments d’ordonnance et la fin de l’ajout de brevets à la liste lorsque des médicaments semblables aux anciens reçoivent de nouveaux brevets, ce qui en maintient le prix élevé.
  • L’élargissement des soins à domicile et des soins de longue durée pour diminuer la pression évitable imposée aux salles d’urgence et aux lits de soins aigus.
  • L’élaboration de stratégies de gestion des listes d’attente.
  • L’augmentation du nombre de travailleuses et de travailleurs de la santé.
  • L’utilisation à leur pleine capacité des salles d’opération, plutôt que la sous-traitance de chirurgies à des cliniques privées.
  • La création de cliniques de chirurgie de jour au sein du système public.

La décision Chaoulli signifie qu’il est maintenant plus que jamais impératif que ces stratégies soient mises en œuvre et que les soins de santé publics soient renforcés.

rks/sepb 491