Dans le cadre de l’engagement du SCFP de tirer profit des expériences des personnes autochtones, noires et racisées, et de célébrer leurs réussites, nous vous présentons des membres du Comité national pour la justice raciale et du Conseil national des Autochtones. L’article de ce mois-ci présente Marcela Quinonez, membre du Comité national pour la justice raciale. 

Marcela Quinonez a grandi en Colombie. Depuis qu’elle est toute jeune, elle s’implique socialement. Elle se rappelle que, lorsqu’elle était enfant, sa famille économisait de l’argent, puis se rendait à l’épicerie pour acheter de la nourriture qu’elle allait ensuite distribuer aux familles pauvres des communautés rurales et des quartiers défavorisés de Bogotá.  

Dans les années 1990, Marcela s’est impliquée auprès de la Croix-Rouge, principalement pour les soins et l’alphabétisation des femmes victimes de guerre, ainsi que pour le contrôle de la natalité. Son engagement social lui a permis de découvrir son pays d’une autre façon.  

Mais un jour, c’est le monde qu’elle a eu envie de découvrir.  

« Le monde est beaucoup plus grand que ma Colombie natale. Je voulais voir combien grand était le monde. Je suis arrivée ici, au Québec. » 

Se réenraciner  

Marcela ne parlait pas français à cette époque, seulement espagnol et anglais. Heureusement, elle a pu compter sur l’aide de ses enfants qui apprenaient la langue à l’école. Puis, alliant son désir de maîtriser la langue à celui d’aider sa communauté, Marcela a multiplié les occasions de bénévolat, notamment auprès des personnes âgées.  

Bien qu’elle soit arrivée au Québec avec son baccalauréat en poche, elle a intégré le marché de l’emploi comme bien des immigrant(e)s : en nettoyant les toilettes, puis en travaillant dans les entrepôts.  

Quinze ans plus tard, Marcela travaille comme conseillère en gestion des contrats chez Hydro-Québec.  

Des « plafonds à percer », il y en a eu plusieurs. Son parcours professionnel illustre bien l’intersectionnalité, soit l’accumulation d’obstacles engendrés par différentes facettes de son identité : celles d’être une femme, d’être racisée, d’être immigrante et d’avoir une langue maternelle autre que le français. 

« J’ai vécu de la discrimination, de l’intimidation, du racisme, du harcèlement sexuel. Je ne trouvais personne qui me ressemblait pour développer ce lien de confiance et m’exprimer. Je me suis donné le devoir d’être une figure qui va représenter ces gens [racisés]. »  

Et Marcela a joint l’action à la parole : en plus d’être membre du Comité national pour la justice raciale du SCFP, elle soutient les membres qui rencontrent des difficultés professionnelles ou personnelles dans le cadre de son rôle de déléguée sociale, elle offre des conférences sur la démystification des biais inconscients et elle s’affaire à mettre en œuvre un comité équité, diversité et inclusion dans sa section locale, le Syndicat des spécialistes et professionnels d’Hydro-Québec (SCFP 4250).  

S’exprimer  

Pour Marcela, il était nécessaire de parler de la réalité des immigrant(e)s et des travailleuses et travailleurs migrant(e)s : précarité d’emploi, statuts d’immigration souvent mal compris, intégration linguistique et racisme, entre autres. Par l’entremise du syndicat, elle offre donc, deux fois par mois, des ateliers de mieux-être au travail aux membres des communautés ethnoculturelles qui travaillent à Hydro-Québec.  

« Ici, on peut parler ouvertement du racisme, de la discrimination, du sexisme. Reconnaître que ça existe, sans jeter la pierre à personne. Exprimer ce qui gronde à l’intérieur. Parler de ce qui nous concerne sans devoir s’exprimer avec un filtre. »  

Ces espaces donnent du courage à des personnes qui n’osent pas s’exprimer, notamment par crainte de représailles — pouvant aller jusqu’à la perte de leur emploi. Elles peuvent échanger sur leur vécu dans le respect et la bienveillance et nommer les problèmes qui persistent, ceux qu’on balaie sous le tapis en espérant que rien n’y paraitra. Ces rencontres sont aussi l’occasion de bâtir une communauté de soutien : les allié(e)s peuvent d’ailleurs y assister.  

Marcela remarque que, tranquillement, les choses changent. À « petits pas de tortue », certes, mais l’important c’est de toujours avancer. « On n’a pas appris la patience, parce qu’on veut des résultats concrets et rapides. Des fois c’est lourd, mais c’est la patience et l’espoir qui nous permettent de continuer. Parce que si tout le monde perd l’espoir, y’aura personne qui va continuer à se battre pour les droits et les libertés des gens. » 

Se donner les moyens d’agir  

Marcela souligne le travail exhaustif qui a été mené pour créer la Stratégie du SCFP de lutte contre le racisme. « Les stratégies nous donnent les grandes lignes, un levier. Mais c’est à nous maintenant cette responsabilité de prendre une des initiatives, puis de travailler fort et d’insister jusqu’à ce qu’on perce ce plafond. »  

Et les résultats de la stratégie sont perceptibles : Marcela note notamment l’accroissement de la représentativité des personnes racisées — et des femmes d’ailleurs — au sein des instances syndicales. « Ça me réjouit quand je viens dans les réunions et les congrès, je vois plus de gens qui me rassemblent, puis ça, c’est important. »  

Et surtout, Marcela remarque une plus grande sensibilité au sein du syndicat et des milieux de travail, notamment au racisme, à la discrimination et au harcèlement. Elle insiste d’ailleurs sur l’importance des formations de lutte contre le racisme — un autre objectif de la Stratégie du SCFP.  

« Quand je suis arrivée au Québec, j’ai dû apprendre à vivre avec une nouvelle réalité : celle d’être différente. Je suis née et j’ai grandi dans un pays où j’étais comme tout le monde. J’étais pas pointée du doigt parce que j’étais différente. Quand tu te le fais imposer subtilement par la population qui t’entoure, ben à l’intérieur il y a une colère qui s’installe. » 

Elle rappelle que le racisme ne date pas d’hier et que la colère qu’il a engendrée est encore vivante et si profonde qu’elle prendra des générations à s’adoucir. Les personnes racisées ont besoin d’allié(e)s qui comprennent et reconnaissent la douleur causée par le racisme. C’est la première étape pour avancer.  

Dialoguer  

Marcela admet faire encore l’objet de commentaires malvenus lorsqu’elle mentionne être originaire de la Colombie. Face aux « blagues » qui réduisent la Colombie à la cocaïne et à Pablo Escobar, elle est aujourd’hui capable de réagir : « Ta blague n’est pas drôle. Je t’invite à connaître autre chose de mon pays. »  

Devant une telle réplique, les gens se sentent souvent attaqués. Marcela ne souhaite pas qu’ils se taisent par peur de blesser, elle les invite plutôt à recevoir comment l’autre se sent et à apprendre de son vécu. Le dialogue est une partie essentielle du processus.    

Marcela aimerait qu’on se donne le privilège d’être curieux, d’aller discuter avec cette personne vers laquelle on n’irait pas naturellement. « Parce que c’est comme ça qu’on déconstruit les biais inconscients. »  

Et elle invite aussi les personnes racisées à s’impliquer au SCFP : « Arrêtez d’avoir peur. Ici, c’est un lieu sécuritaire. Soyez curieux, assistez à une rencontre. » 

Tendre la main 

En plus de son implication syndicale, Marcela fait du bénévolat comme interprète dans les maisons pour femmes victimes de violence conjugale, ainsi que… là où tout a commencé pour elle : à l’épicerie.  

Elle habite dans les Laurentides, au Québec, où l’agriculture attire bien des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires. « Pas besoin d’être engagée avec un organisme pour aider. Moi, de mon propre gré, je m’en vais à l’épicerie. [Ces travailleuses et travailleurs] sont tous en train de faire leur épicerie, il y a personne qui leur parle, qui les voit. Moi, l’avantage c’est que je parle espagnol. Je les accompagne à la caisse pour payer. C’est de donner la légitimité à un être humain qui est dans ton territoire. C’est de ne pas continuer ce fléau qu’ils sont invisibles. Ils sont visibles. » 

Pour en savoir davantage sur la Stratégie du SCFP de lutte contre le racisme, notamment sur l’objectif 4 – Apprendre de l’expérience des membres noirs, autochtones et racisés et célébrer leurs réussites –, rendez-vous au scfp.ca/stratégie_contre_le_racisme. Voyez également les conseils pour mettre en œuvre la Stratégie dans votre section locale.