En avril 2024, le Parlement canadien adoptait finalement une loi interdisant le recours aux briseurs de grève dans le cadre des grèves ou des lock-out dans les secteurs de compétence fédérale. Il s’agit d’une victoire historique pour les travailleuses et travailleurs syndiqués, obtenue à la suite d’une lutte de longue haleine – la preuve que le mouvement syndical peut réellement changer les règles du jeu.
Cette lutte pour interdire le recours aux briseurs de grève était essentielle alors que ces derniers continuaient de nuire aux grévistes, conflit après conflit. Le SCFP, qui est le plus grand syndicat au pays, avait fait de cette cause l’un de ses chevaux de bataille.
En effet, les employeurs sous réglementation fédérale dans les secteurs des télécommunications, des ports, du transport ferroviaire ou aérien n’hésitaient pas à recourir à du personnel de remplacement pendant une grève ou un lock-out, ce qui faisait inévitablement pencher la balance du pouvoir en leur faveur.
Les syndicats réclamaient une loi fédérale interdisant le recours aux briseurs de grève depuis 20 ans déjà. Sous la pression du patronat qui voyait une telle loi d’un mauvais œil, les gouvernements conservateurs et libéraux ont toujours refusé d’agir. En 2016, les deux partis politiques se sont même alliés pour faire échouer un projet de loi déposé par le Nouveau Parti démocratique. Pourtant, une loi anti-briseurs de grève existe depuis 1977 au Québec et depuis 1993 en Colombie-Britannique.
La situation change lors des élections de 2021 : le gouvernement libéral, minoritaire, a besoin de l’appui du NPD pour rester au pouvoir. En mars 2022, le NPD et le Parti libéral négocient une entente de soutien et de confiance qui permet au NPD de faire avancer ses enjeux prioritaires. Et cette fois, l’adoption d’une loi anti-briseurs de grève figure parmi les conditions de l’entente.
Le 15 septembre 2022, le Port de Québec place ses 81 débardeuses et débardeurs en lock-out et fait rapidement appel à des sous-traitants et à des cadres pour reprendre ses activités. Un mois plus tard, des accidents de travail surviennent parmi les briseurs de grève, démontrant les risques à recourir à une main-d’œuvre non qualifiée pour opérer de la machinerie lourde. L’effet sur la négociation est brutal pour les membres du SCFP 2614 et le conflit de travail s’étirera sur plus de deux ans et demi.
Un an plus tard, en octobre 2023, c’est Vidéotron qui met ses 214 employé(e)s de Gatineau en lock-out. Là encore, l’employeur embauche du personnel de remplacement pour continuer ses opérations. Tout comme au Port de Québec, le conflit s’enlise pour les membres du SCFP 2815 et s’étalera sur une année complète.
Ces conflits de travail mettent rapidement en lumière l’importance d’une loi anti-briseurs de grève. Ils alimentent aussi un récit politique percutant : celui d’un rapport de force déséquilibré, où les employeurs peuvent contourner le droit de grève, faisant fi de toute sa pertinence.
Le SCFP mobilise donc ses membres et ses allié(e)s pour mettre de la pression sur le gouvernement fédéral et poursuit ses efforts de lobbyisme directement auprès du ministre du Travail. Des manifestations et des conférences de presse ont lieu sur la Colline du Parlement, et le NPD, grâce au leadership de son député Alexandre Boulerice, maintient la pression politique pour que le gouvernement s’attaque enfin à ce problème.
Il faudra attendre le 9 novembre 2023 pour que le gouvernement libéral dépose finalement un projet de loi anti-briseurs de grève.
Pendant son étude en comité parlementaire, le projet de loi fait l’objet de vives attaques de la part du patronat, mais la mobilisation des membres du SCFP en lock-out ne fléchit pas. Des membres du SCFP 2815 travaillant chez Vidéotron à Gatineau assistent à toutes les audiences afin d’illustrer, jour après jour, l’impact humain d’un processus qui penche en faveur de l’employeur. De plus, les débardeuses et débardeurs du SCFP 2614 manifestent à plusieurs reprises sur la Colline parlementaire, accompagné(e)s de plusieurs leaders du SCFP et de groupes alliés.
En avril 2024, c’est officiel : la loi est adoptée. Toutefois, son entrée en vigueur n’est pas immédiate. Ce n’est qu’en juin 2025 que l’utilisation de personnel de remplacement devient illégale dans les secteurs sous compétence fédérale.
« L’adoption de cette loi marque un tournant historique. Après des décennies de lutte, nous avons enfin mis un terme à une injustice qui minait le droit de grève. C’est la preuve que quand le mouvement syndical est uni, il peut obtenir des victoires concrètes et bâtir un avenir plus équitable », souligne Mark Hancock, président national du SCFP.
Le SCFP et le NPD, appuyés aussi par le Bloc Québécois, ont joué un rôle clé dans ce dossier. Mais ce sont surtout les travailleuses et travailleurs sur le terrain qui ont démontré toute la légitimité et toute l’urgence de cette loi. Dès le début, le SCFP a misé sur une double stratégie : mobiliser ses membres – qui ont répondu à l’appel - et exercer une pression politique constante.
Cette histoire est aussi une leçon de solidarité : à travers les campagnes, les actions symboliques, les témoignages, les vidéos virales et les interventions médiatiques, les membres du SCFP ont tenu le cap et ont refusé de normaliser une pratique qui fragilise les droits fondamentaux de
l’ensemble des travailleuses et travailleurs.
Exemple révélateur des effets de la nouvelle législation : le 24 juillet 2025, une entente de principe a été conclue, sans conflit, entre les membres du SCFP 2815 et Vidéotron. Protégée par les dispositions de la loi anti-briseurs de grève, la section locale a pu négocier sur un pied d’égalité
pour sa plus grande unité de négociation, rééquilibrant ainsi le rapport de force entre les parties.
Dans un contexte politique où les gouvernements de droite se succèdent au pouvoir, cette victoire offre une réponse éloquente : l’appui indéfectible du NPD dans le processus parlementaire n’a pas de prix. Et lorsque le mouvement syndical et ses allié(e)s progressistes s’organisent et persistent, ils peuvent réellement changer la donne.
Aujourd’hui, c’est toute une génération de militant(e)s syndicaux qui peuvent regarder en arrière et affirmer, avec fierté : ce combat, c’est nous qui l’avons gagné.
Ligne du temps
- 2006 : Le député néo-démocrate Pat Martin dépose un projet de loi anti-briseurs de grève.
- 2006 : La députée néo-démocrate Catherine Bell dépose un projet de loi anti-briseurs de grève.
- 2011 : La députée néo-démocrate Chris Charlton dépose un projet de loi anti-briseurs de grève.
- 2013 : La députée néo-démocrate Chris Charlton dépose un projet de loi anti-briseurs de grève.
- 2016 : La députée néo-démocrate Karine Trudel dépose un projet de loi anti-briseurs de grève. Les libéraux et les conservateurs s’allient pour le faire échouer.
- 2019 : La députée néo-démocrate Chris Charlton dépose un projet de loi anti-briseurs de grève.
- Mars 2020 : Le député néo-démocrate Scott Duvall dépose un projet de loi anti-briseurs de grève.
- Mars 2022 : Entente de soutien et de confiance entre le gouvernement libéral et le NPD, qui inclut la promesse d’une loi anti-briseurs de grève.
- 15 septembre 2022 : Les débardeuses et débardeurs du Port de Québec (SCFP 2614) sont placé(e)s en lock-out.
- Octobre 2022 : Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice dépose un projet de loi anti-briseurs de grève. Début des consultations ministérielles, participation du SCFP.
- Octobre 2022 : Le Port de Québec continue de recourir aux briseurs de grève, des accidents soulèvent des enjeux de sécurité.
- 27 octobre 2022 : Le président national du SCFP Mark Hancock et le député du NPD Alexandre Boulerice manifestent sur la Colline du Parlement en appui à une loi anti-briseurs de grève.
- Janvier 2023 : Mark Hancock et Alexandre Boulerice tiennent une conférence de presse à Ottawa. Une manifestation réunit des membres du SCFP 2614 et des membres de Vidéotron qui avaient subi un lock-out de 13 mois dans le passé.
- Mai 2023 : Le secteur des communications du SCFP-Québec lance une campagne à Ottawa.
- 15 septembre 2023 : Un an de lock-out pour le SCFP 2614 au Port de Québec.
- 19 septembre 2023 : Le SCFP et ses allié(e)s manifestent sur la Colline parlementaire.
- Octobre 2023 : Les employé(e)s de Vidéotron à Gatineau (SCFP 2815) sont placé(e)s en lock-out.
- 9 novembre 2023 : Dépôt du projet de loi anti-briseurs de grève C-58 par le ministre du Travail, Seamus O’Regan.
- 29 janvier 2024 : 500e jour de lock-out au Port de Québec (SCFP 2614). L’employeur poursuit ses activités à l’aide des briseurs de grève.
- Février 2024 : Deuxième lecture du projet de loi C-58 à la Chambre des communes.
- Avril 2024 : Étude du projet de loi C-58 en comité parlementaire. Le SCFP y participe, Mark Hancock comparaît.
- 28 mai 2024 : Le projet de loi C-58 est adopté en troisième lecture, à l’unanimité.
- 7 octobre 2024 : Fin du lock-out des membres du SCFP 2815 de Vidéotron à Gatineau.
- 15 mai 2025 : Après 987 jours, les débardeuses et débardeurs du Port de Québec (SCFP 2614) retournent au travail.
- 20 juin 2025 : Entrée en vigueur de la loi fédérale anti-briseurs de grève, un an après son adoption. Interdiction de recourir à du personnel de remplacement dans les secteurs de compétence fédérale.
- 24 juillet 2025 : Entente de principe entre les membres du SCFP 2815 et Vidéotron, conclue sans conflit grâce à la nouvelle loi.