Les libéraux fédéraux continuent de soutenir une forme de privatisation qu’il présente sous l’appellation faussement progressiste d’« obligation à impact social ». Quelques jours seulement avant le déclenchement des élections fédérales, le gouvernement libéral a dévoilé un stratagème permettant aux investisseurs de profiter d’un programme communautaire bien établi.
L’obligation à impact social (OIS) est un mécanisme de privatisation dans lequel des investisseurs privés avancent l’argent initial pour fournir des services sociaux, et ce, dans le but de réaliser un profit. Les gouvernements paient des cabinets-conseils pour concevoir des arrangements complexes qui ciblent des problèmes sociaux importants comme l’itinérance, la crise des opioïdes et le placement des enfants autochtones en famille d’accueil.
Les programmes sont ensuite regroupés en tant qu’opportunités d’investissement pour attirer les investisseurs privés. Si un programme atteint certaines cibles, les investisseurs sont remboursés et reçoivent un bénéfice. Ce remboursement, plus les bénéfices et les honoraires de consultance, sont payés à même les fonds publics, de l’argent qui devrait plutôt aller directement à la prestation du service.
L’obligation à impact social n’a rien d’« innovant ». C’est un moyen de privatiser les services publics en faisant une place au privé.
Si le gouvernement libéral est si attaché au concept d’OIS, c’est qu’il est à l’aise de transformer des injustices sociales profondément enracinées en sources de profit pour d’énormes investisseurs. Personne ne devrait gagner de l’argent grâce à d’importants programmes sociaux s’adressant à des personnes rendues vulnérables par la pauvreté, le racisme ou d’autres injustices, que l’investisseur soit un individu riche, une entreprise, une fondation ou un organisme de bienfaisance. Le gouvernement fédéral devrait subventionner directement les prestataires de services sociaux pour soutenir la santé et le bien-être dans nos communautés.
Le programme Alternative Suspension : la plus récente OIS canadienne
Le programme Alternative Suspension du YMCA est la plus récente OIS du fédéral. Cinq jours avant que les libéraux ne déclenchent des élections, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair, a annoncé que le gouvernement, en collaboration avec des consultant(e)s du MaRS Centre for Impact Investing, avait réuni cinq investisseurs importants pour cette OIS. Le gouvernement fédéral dépensera jusqu’à 4,5 millions de dollars en consultant(e)s, avocat(e)s et autres intermédiaires, ainsi que pour rembourser les investisseurs en ajoutant un profit considérable.
Le programme du YMCA est une initiative de longue date s’adressant aux élèves suspendus par leur école. Ces élèves ont accès à de l’aide aux devoirs et à des services de consultation. Ce programme les aide à réussir leur retour à l’école, en plus de contribuer à lutter contre le décrochage scolaire et à réduire les activités criminelles.
Jusqu’à l’annonce de cet OIS, le programme Alternative Suspension était financé directement par le ministère fédéral de la Sécurité publique et divers partenaires communautaires. Une évaluation du programme réalisée en 2017 par le ministère avait révélé que le programme s’autofinance, grâce à la différence entre les impôts fédéraux sur le revenu payés par les personnes ayant fait des études secondaires et celles qui ont décroché.
En 2020, le gouvernement libéral a décidé de transformer cet important programme social en une occasion pour le privé de faire de l’argent. L’OIS implantera le programme à d’autres endroits, un objectif simple qui pourrait être atteint simplement en augmentant le financement gouvernemental direct.
Les derniers renseignements accessibles au public indiquent un rendement potentiel des investissements de 8,9 à 11,7 pour cent si le programme atteint ou dépasse ses objectifs. Ce rendement se fonde sur un « changement de comportement positif » chez les participant(e)s au programme et le nombre de personnes qui terminent le programme. Il n’y a rien de nouveau ou d’innovant dans ces résultats. Le programme a été évalué à plusieurs reprises et réussit bien sur ces deux points.
La pandémie de COVID-19 a nui à la chasse aux investissements. Plus d’un an après son lancement, l’OIS n’avait pas réussi à lever de fonds. Partout au pays, les conseils scolaires ont passé à l’apprentissage en ligne et adopté une politique de non-suspension. Du coup, difficile d’intéresser le privé à investir dans les suspensions scolaires.
Avec la reprise de l’apprentissage en personne, le gouvernement fédéral a pu trouver des investissements privés. Mais avant de recueillir l’argent des investisseurs, le gouvernement a dépensé plus de 600 000 dollars pour mettre cette OIS sur pied; les frais juridiques et de consultance constituant le quart de cette somme.
Avec l’OIS, le privé gagne à tout coup
Les tenant(e)s de la privatisation comme MaRS et le gouvernement libéral présentent l’OIS comme un modèle de « rémunération à la réussite ». Ils prétendent que le gouvernement ne paie les investisseurs que pour les programmes qui réussissent. Or, en coulisses et dans les négociations avec les investisseurs, les gouvernements promettent un risque minuscule de perdre de l’argent. La recherche a montré que les gouvernements ne peuvent attirer les investissements sans garanties significatives. Il s’agit notamment de choisir des programmes ayant fait leurs preuves, d’utiliser des mesures simples et faciles à atteindre, et d’inclure des dispositions contractuelles qui protègent le capital des investisseurs.
Par exemple, l’Agence de la santé publique du Canada a annoncé l’an dernier que les investisseurs dans la première OIS du gouvernement libéral, Activate (anciennement connu sous le nom d’Initiative communautaire de prévention de l’hypertension), toucheraient un rendement de plus de 7 pour cent sur leur investissement initial, même si la participation au programme était inférieure de 35 pour cent à l’objectif fixé.
Les investisseurs disposent également de sièges avec droit de vote au conseil de surveillance d’une OIS. Souvent, le prestataire de services est incapable de modifier le programme sans l’approbation des investisseurs.
La mise en place, le suivi et l’évaluation d’une OIS consomment beaucoup d’argent public. De par sa nature, l’OIS représente une occasion d’affaires lucrative pour les intermédiaires financiers, comme les consultant(e)s, les avocat(e)s, les cabinets de vérification financière et les gestionnaires de projets. On détourne de l’argent du financement direct pour emplir les poches du privé.
Il n’y a pas de place pour le profit dans les services sociaux ni dans aucun service public. Le SCFP demande aux gouvernements de rejeter le modèle à but lucratif de l’obligation à impact social et de financer correctement et directement les services et programmes sociaux dont nous avons besoin pour faire progresser la justice socioéconomique et la réconciliation.