En créant la Banque de l’infrastructure du Canada, le gouvernement Trudeau favorise les profits privés au détriment des intérêts des Canadiens. Dans cette chronique publiée sur le site iPolitics, le président national du SCFP, Mark Hancock, fait état des problèmes qu’entraîne l’implication des fonds de retraite dans nos infrastructures publiques.

Le lundi 14 novembre, le premier ministre Justin Trudeau, son ministre des Finances Bill Morneau et d’autres ministres fédéraux ont rencontré de puissants investisseurs privés pour concrétiser un changement de politique publique amorcé par Stephen Harper.

Lors de cette réunion à huis clos organisée par BlackRock Capital, un géant de la gestion d’actifs, le premier ministre et les ministres libéraux présents ont fait la promotion de la nouvelle Banque d’infrastructure du Canada auprès d’un public gagné d’avance composé des gestionnaires des plus gros fonds de retraite au pays.

Cette banque accorderait aux investisseurs privés un contrôle jamais vu sur nos infrastructures publiques. Que ce soit par la vente complète d’infrastructures ou par l’entremise de partenariats public-privé (PPP) à long terme, les investisseurs privés pourraient tirer de la privatisation de nos réseaux de transport d’électricité, d’égouts et de transports en commun, de nos routes, de nos ponts et de nos aéroports, des profits de l’ordre de milliards de dollars.

Confier l’évaluation et le financement des projets d’infrastructure aux fonds de retraite et aux autres investisseurs à but lucratif représente un virage à 180 degrés en matière de politique publique.

Ce sont les municipalités et les autres niveaux de gouvernement qui devraient prendre les décisions en matière d’infrastructures, et ce, en fonction des priorités publiques. Pourtant, le ministre Morneau affirme que sa banque devra répondre aux besoins du secteur privé. Autrement dit, elle devra concentrer ses efforts sur les projets offrant aux investisseurs privés un taux de rendement élevé, ainsi que des revenus garantis, par l’entremise de frais d’utilisation, de péages et des paiements gouvernementaux stipulés aux contrats.

Le gouvernement fédéral ne devrait pas faire de la création d’occasions d’affaires pour les fonds de retraite une priorité. Il devrait plutôt planifier et financer les services et les installations publics qui contribuent au développement et à la sécurité de nos communautés.

Notre syndicat s’oppose au contrôle privé de nos infrastructures publiques, même si les fonds de retraite de nos membres pourraient en bénéficier. Oui, nous souhaitons que nos fonds de retraite réalisent un taux de rendement décent, mais pas aux dépens des citoyens.

Si certains fonds de retraite ont un important portefeuille d’infrastructures (essentiellement à l’étranger), d’autres se tiennent loin des infrastructures privatisées. D’ailleurs, avec plus de 72 milliards de dollars en actifs, le régime du secteur ontarien de la santé, le Healthcare of Ontario Pension Plan (HOOPP), est l’un des fonds canadiens les plus performants, sans détenir aucune participation dans les infrastructures.

Les raisons qui motivent les fonds de retraite à investir dans les infrastructures canadiennes devraient en fait convaincre le gouvernement fédéral de ne rien leur céder.

Le PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Michael Sabia, a en effet affirmé que les investisseurs privés comme son fonds de retraite recherchent un rendement de sept à neuf pour cent, alors que le gouvernement fédéral peut émettre des obligations de 30 ans à un taux de 1,8 pour cent. Cette différence, sur 30 ans, représente cinq fois le coût d’emprunt, ce qui fait doubler le prix total d’un projet.

À Montréal, on voit clairement que la propriété privée fausse les priorités en matière d’infrastructures. Le SCFP fait partie d’une vaste coalition qui s’oppose au projet de train léger en PPP détenu, financé en partie et exploité par la Caisse de dépôt et placement du Québec, le fonds qui gère le portefeuille du Régime de retraite du Québec et l’argent de régimes publics plus petits.

Bill  Morneau a dit que ce projet de train léger illustre bien le type de projets qu’appuiera la Banque de l’infrastructure du Canada. Or, les problèmes du Réseau électrique métropolitain (REM) démontrent ce qui se produit lorsqu’une infrastructure est conçue pour servir les intérêts du privé.

Résultat : les décisions concernant le tracé, la technologie et la compatibilité avec le réseau de transport en commun existant sont motivées par les profits que pourront en tirer la Caisse et les promoteurs privés.

Au lieu de respecter l’environnement, le tracé traversera des terres sensibles, en plus de favoriser l’étalement urbain et la circulation automobile. Ces facteurs vont annuler les réductions d’émissions de gaz à effet de serre que le projet permettra de réaliser. Ce projet bloquera d’autres projets indispensables, comme le prolongement des lignes existantes. On craint également, et avec raison, que le REM ne soit pas viable financièrement, à moins que le prix du billet soit très élevé, que de généreuses subventions gouvernementales soient versées, ou les deux. Cela signifiera que moins d’argent sera disponible pour nos réseaux publics de transport.

Enfin, ce projet s’attire de nombreuses critiques pour son manque de transparence. En effet, la banque du ministre Morneau sera indépendante et la supervision du gouvernement inadéquate. Rien ne garantit que les dizaines de milliards de dollars en fonds publics qu’elle contrôlera seront assujettis au contrôle du Parlement et du vérificateur général.

En se penchant sur 74 PPP, la vérificatrice générale de l’Ontario a conclu que ceux-ci coûtaient 6 milliards de dollars de plus uniquement en financement. Elle n’a trouvé aucune preuve empirique pour justifier la réalisation de ces projets en PPP. La Banque de l’infrastructure du Canada ne fera qu’amplifier ce problème à l’échelle du pays. Elle est inacceptable sous sa forme actuelle.

Stephen Harper a lancé ce plan de privatisation. Les baisses d’impôts accordées aux entreprises et au un pour cent des Canadiens les plus riches au cours des 15 dernières années ont creusé un trou béant dans les coffres du fédéral, ce qui a fait fondre l’investissement d’Ottawa dans les infrastructures publiques comme neige au soleil. Malheureusement, le premier ministre Trudeau espère palier ce sous-financement fédéral en matière d’infrastructures à coup de PPP et de ventes d’actifs.

Il existe une meilleure solution. En annulant les baisses d’impôts de l’ère Harper et en introduisant d’autres mesures fiscales équitables, le gouvernement fédéral pourrait récolter 30 milliards de dollars de plus par année. Voilà une somme qui permettrait au gouvernement fédéral d’investir à nouveau dans nos infrastructures publiques, dans l’intérêt de toute la population.

Mark Hancock est président national du Syndicat canadien de la fonction publique, le plus grand syndicat au Canada. Le SCFP compte plus de 639 000 membres.