Au cours de la dernière année, le Guatemala a connu d’importants changements politiques et sociaux. L’espoir d’y voir les droits de la personne respectés s’est ravivé et n’a jamais brillé aussi fort depuis les accords de paix de 1996. L’élection inopinée, en 2023, de Bernardo Arévalo, un président réformateur anti-corruption, marque un tournant dans l’histoire du pays.
Leocadio Juracán Salomé est le coordonnateur de la réforme agraire et l’un des intervenants clés d’un partenaire du SCFP au Guatemala, le Comité campesino des hautes terres (CCDA), un mouvement de justice sociale actif dans plus de 70 localités. La CCDA constate des progrès dans les négociations sur les enjeux territoriaux, bien que le champ d’action du nouveau gouvernement minoritaire soit limité en raison de la corruption qui règne toujours dans le système judiciaire sous l’emprise de fonctionnaires corrompus.
Après l’élection d’Arévalo, le Guatemala a été balayé par des mobilisations de masse – les plus importantes depuis la révolution de 1944 – visant à défendre le processus démocratique. M. Juracán s’est joint aux foules qui s’étaient alors rassemblées pour s’opposer aux tentatives de la droite d’annuler la victoire d’Arévalo.
« Le peuple s’est soulevé parce qu’il en avait assez de tout cela, il en avait assez de ces décennies de corruption et d’oppression », explique-t-il. Parmi les manifestant(e)s, beaucoup étaient des travailleuses et travailleurs et des résident(e)s de communautés urbaines marginalisées, dont les luttes sont étroitement liées à leur identité autochtone.
« Le CCDA lutte contre la répression et les tactiques d’intimidation des entreprises et des personnalités politiques de droite. Nous luttons pour la dignité et les droits des agriculteurs et agricultrices et des peuples autochtones », explique M. Juracán. « Mais le coût de ce combat est élevé. » En effet, le CCDA a perdu 12 de ses têtes dirigeantes, assassinées, et de nombreuses autres risquent la prison ou sont la cible de menaces. Près de 1 060 membres du CCDA font l’objet d’un mandat d’arrêt.
M. Juracán, un Maya kaqchikel, a derrière lui un long passé de militant. Enlevé par l’armée guatémaltèque pendant la guerre civile des années 1990, il est un exemple inspirant de résilience.
« Nous appelons la population canadienne à faire preuve de vigilance face à la guerre de l’information menée par les gouvernements corrompus et l’oligarchie. La pression diplomatique est cruciale pour protéger les activistes et défendre la démocratie », souligne-t-il.
M. Juracán évoque avec nostalgie les débuts modestes de Café Justicia, un café équitable cultivé par des membres de coopératives agricoles et transformé par le CCDA. « En 1982, avec l’aide d’une église, nous avons acquis notre première ferme de café. Ce projet, qui a commencé avec des étudiant(e)s canadien(ne)s de Vancouver qui nous aidaient à distribuer notre café, s’est transformé en un puissant mouvement qui arrive à financer notre lutte pour l’autosuffisance et la justice sociale. Le CCDA, c’est plus qu’une coopérative : c’est une force politique. Notre café biologique, ce n’est pas seulement un produit : c’est une source de financement pour nos batailles juridiques, nos initiatives de défense des droits du travail et nos démarches de récupération des terres pour les peuples autochtones. »
En 2015, M. Juracán est devenu le premier agriculteur maya à être élu au Congrès de la République du Guatemala. Depuis, il s’emploie à faire tomber les barrières pour les peuples autochtones. Il a parcouru le Canada et les États- Unis afin d’évaluer les accords commerciaux et d’inciter les gouvernements et les communautés à lutter pour les droits de la personne au Guatemala. Il a également rendu visite à des torréfacteurs comme Moccasin Joe, une entreprise familiale du territoire kanien’kehá:ka (mohawk) de Kanesatake qui torréfie les grains de Café Justicia depuis plus d’une décennie.
Lors de son passage au Congrès national du SCFP en 2023, M. Juracán a transmis un message clair à nos membres : « Les syndicalistes doivent se préoccuper de notre histoire. » Il encourage tout le monde à acheter des produits distribués par des syndicats et des coopératives afin de contribuer à la défense des droits des travailleuses et travailleurs dans le monde entier. « Il est essentiel d’aider nos pairs à vivre de leur travail », souligne-t-il. « Lorsque les grandes entreprises ne sont soumises à aucun contrôle, les travailleuses et travailleurs et les productrices et producteurs agricoles en pâtissent. Notre partenariat avec le SCFP met en lumière la crise politique au Guatemala, une lutte à l’image du grand combat pour la justice sociale. »