Pierre Ducasse | Service des communication

Entrevue avec Angella MacEwen, économiste du SCFP

Angella MacEwen est l’économiste principale du SCFP. Spécialiste des effets de l’économie et des politiques sociales sur les travailleurs, elle partage avec nous ses pensées sur les répercussions à venir de la pandémie sur les négociations de conventions collectives et sur l’économie.

Au moment de l’entrevue, nous sommes toujours en pleine pandémie. Nous ne connaissons pas encore toutes ses répercussions. Quels seront selon vous les effets de cet événement sur l’économie à court et à moyen terme?

L’effet immédiat a été intense. Avant le coronavirus, il y avait environ un million de personnes en chômage au pays. La semaine où les premières mesures ont été mises en place pour ralentir la propagation de la maladie au Canada, au moins un autre million de personnes ont présenté une demande d’assurance-emploi. Et nous verrons vraisemblablement davantage de mises à pied au cours du mois d’avril. On estime que le taux de chômage devrait tripler.

Les économistes pensent que nous sommes déjà en récession, et comme nous ne savons pas combien de temps les mesures de santé publique seront en vigueur, nous ne savons pas combien de temps cette situation va durer. Les prix plancher records du pétrole vont aggraver la récession pour les provinces productrices. Les politiques que le gouvernement fédéral est en train de mettre en œuvre sont destinées à aider les travailleurs et les entreprises à traverser cette crise. Plus cette aide sera importante, plus la situation se rétablira rapidement après la pandémie.

Les taux d’intérêt au Canada et aux États-Unis ont été réduits à 0,25 %, et de nombreuses banques centrales prennent des mesures pour soutenir l’économie afin d’éviter le type de crise financière que nous avons vécue en 2008. La baisse des taux d’intérêt permet aux gouvernements fédéral et provinciaux d’emprunter à des coûts plus bas. Les dépenses du gouvernement visant à soutenir l’économie maintenant porteront leurs fruits à moyen et long terme.

Qu’en est-il de la négociation? Quelles seront les difficultés et comment devons-nous nous y préparer?

De nombreuses provinces avaient déjà appliqué des réductions salariales. Dans le cadre de la lutte contre la pandémie, les gouvernements provinciaux recevront moins de revenus et devront augmenter leurs dépenses. Il faut s’attendre à ce que cette tendance se poursuive.

Des compagnies aériennes aux services de garde, a pandémie a touché les secteurs de l’économie de façon très différente. Chacun des secteurs tirera probablement des leçons importantes de cette crise et pourront s’en servir lors de leur prochaine ronde de négociation, par exemple en revendiquant des clauses sur les mesures de protection des emplois et sur le soutien des salaires pour les travailleurs qui ont dû se mettre en quarantaine, des clauses sur les mesures de santé et sécurité pour les travailleurs et les plans permettant d’offrir en ligne les services publics qui ont été suspendus.

Les régimes de retraite constituent un autre enjeu. Le marché boursier a considérablement baissé, et les taux d’intérêt ont atteint des niveaux plancher records. Les travailleurs qui n’ont pas de régimes de retraite à prestations déterminées pourraient devoir retarder leur retraite, comme ce fut le cas après la crise financière de 2008. Bien sûr, les régimes de retraite à prestations déterminées seront mis à rude encore une fois. Mais à long terme, notre économie devrait se rétablir, et les régimes de retraite devraient suivre. Il sera donc essentiel de défendre férocement nos régimes de retraite.

Que pensez-vous des interventions du gouvernement fédéral à ce jour? Ottawa néglige-t-il certains travailleurs à risque ou des personnes vulnérables?

Jusqu’à présent, le gouvernement a reconnu l’ampleur du problème. La réaction initiale a été de s’assurer de fournir aux travailleurs qui devaient rester à la maison et ne pouvaient pas travailler une aide financière et un congé garantissant leur emploi, et de veiller à ce que les travailleurs des services essentiels aient l’équipement et les protocoles nécessaires pour rester en sécurité.

Le résultat a été une série d’annonces de programmes ciblant différents types d’employés et de secteurs. Les programmes ciblés ont inévitablement des lacunes, parce qu’ils ne sont pas fondés sur une approche universelle. Cependant, le gouvernement a fait preuve de souplesse pour reconnaître ces lacunes et tenter de les éliminer en créant de nouveaux programmes ou en adaptant les programmes initiaux. Malheureusement, les plans du gouvernement laissent encore certaines personnes en plan, notamment celles qui étaient déjà en chômage, celles qui reçoivent une aide inadéquate des programmes d’aide sociale, les étudiants, les aînés qui ont vu fondre leurs économies, et les travailleurs qui ont perdu la plupart de leurs revenus, mais pas la totalité. Au lieu de cibler, il aurait été plus simple et plus rapide d’offrir une prestation universelle. Moins de personnes auraient été laissées pour compte.

Quelles leçons peut-on tirer de cette crise?

Cette crise rappelle la valeur et l’importance des travailleurs du secteur public. Les bibliothécaires et les employés de secteur des loisirs nous manquent, mais nous savons aussi à quel point nous comptons sur les employés des services de garde, les aides-enseignants, le personnel d’entretien, les employés d’hôpitaux et des foyers de soins de longue durée, les travailleurs sociaux, les travailleurs du secteur de l’énergie et les employés des transports en commun. Et j’en oublie de nombreux autres! Nous devrons aussi nous rappeler des risques auxquels les employés à faible revenu (comme les employés des épiceries et les livreurs) sont exposés et reconnaître l’importance de leur travail, maintenant et après la pandémie.

La pandémie a également mis en évidence les inégalités dans notre société. Par exemple, les employés ayant un salaire plus élevé sont plus susceptibles d’avoir des congés de maladie payés et la possibilité de travailler à domicile. Cette probabilité est plus faible pour les employés à faible salaire. Les employés précaires le sont devenus encore davantage, puisque les premières personnes qui sont mises à pied sont les employés temporaires, à temps partiel ou contractuels.

Nous avons également constaté que nous ne sommes pas suffisamment préparés pour ce genre de situation. Nous n’avons pas assez de masques pour tous les travailleurs de la santé, sans parler des autres personnes qui doivent continuer à travailler. Nous n’avons pas de programmes de soutien du revenu établis qui peuvent répondre rapidement aux besoins d’un grand nombre de personnes ayant besoin d’un soutien financier. Nous devons être mieux préparés pour d’autres crises qui pourraient survenir à l’avenir.

Je tiens à souligner de nouveau l’importance du secteur public et des employés du secteur public dans une période de crise comme celle-ci. Ce sont ces employés qui prennent soin de nous, qui veillent à ce que tout le monde ait accès à l’électricité, à l’eau potable, qui nettoient nos écoles et nos hôpitaux pour les personnes qui continuent à travailler. Après la pandémie, ce sont ces employés qui assureront un avenir plus sain et équitable dans nos communautés.