Comme en 2016, le budget fédéral 2017 fait une grande place à l’investissement dans les infrastructures. D’ailleurs, le mot « infrastructure » revient près de 200 fois dans le texte du budget.

Cependant, cette utilisation abondante du mot cache une absence totale de nouveaux engagements dans les infrastructures. Ce que fait le budget de cette année, c’est donner plus de détails sur la manière dont seront dépensés, au cours des 11 prochains exercices financiers, les 96 milliards de dollars consacrés aux infrastructures dans le budget de 2016 et l’énoncé économique de l’automne 2016.

Le budget 2017 apporte peu de précisions sur la controversée Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), une banque annoncée dans la mise à jour économique de l’automne dernier pour « tirer parti de » l’investissement du secteur privé dans les infrastructures. Les détails sont plutôt enfouis dans la Loi portant exécution de certaines dispositions du budget 2017 présentée le 11 avril 2017.

En enchâssant la législation qui crée la Banque de l’infrastructure dans ce projet de loi budgétaire omnibus, le gouvernement limite sérieusement les débats sur les mérites des différents éléments qu’il contient. Ce geste rappelle, de façon troublante, la stratégie utilisée par l’ancien premier ministre Stephen Harper, stratégie qu’on jugeait antidémocratique à l’époque.

Le projet de loi confirme l’intention du fédéral de doter sa banque d’un fonds de 35 milliards de dollars que celle-ci pourra investir aux côtés de fonds privés. Le projet de loi ne précise pas les secteurs d’activité de cette banque, mais le budget 2017 précise que celle-ci investira dans de « grands projets transformateurs » susceptibles de générer des revenus, comme le transport en commun, les infrastructures commerciales, les réseaux de transport (comme les routes et ponts à péage) et les infrastructures vertes, dont celles qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre, qui permettent d’assainir la qualité d’air et d’offrir un accès à des réseaux d’eau potable fiables, et qui font la promotion des sources d’énergie renouvelables. Le budget 2017 alloue cinq milliards de dollars à chacun de ces types de projets.

Le gouvernement souhaite que cette banque entre en activité d’ici la fin de 2017. Elle sera constituée en société d’État indépendante avec un PDG et un conseil d’administration. La banque rendra des comptes au Parlement par l’entremise d’un ministre et elle devra se soumettre aux enquêtes du vérificateur général. Cependant, le vérificateur général aura moins de pouvoirs sur elle (en termes de normes et de transparence) qu’il en a sur les dépenses directes des ministères. Il se pourrait d’ailleurs que le vérificateur général ne puisse pas enquêter sur des projets spécifiques pour vérifier si le citoyen en a pour son argent.

Fait troublant, le projet de loi budgétaire stipule qu’il n’y aura aucun représentant des gouvernements fédéral et provinciaux ou des administrations municipales au conseil d’administration de la banque. Tout aussi troublant, il précise que la banque devra assurer le secret de tous les renseignements concernant les promoteurs, le secteur privé et les investisseurs institutionnels, sauf dans des cas exceptionnels.

En outre, la banque fera office de centre d’expertise sur les projets d’infrastructure pour aider le privé et les investisseurs institutionnels à faire de grands investissements. Autrement dit, elle se transformera probablement en « banque de privatisation », comme l’avait prédit le SCFP l’an dernier.

Cette nouvelle banque risque fort d’entraîner la privatisation des aéroports, du transport en commun, des autoroutes, des ponts, des réseaux d’eau et d’eaux usées, ainsi que des services publics d’hydroélectricité et de transmission électrique. Cette privatisation, par la vente totale ou partielle d’actifs ou par le biais de PPP, affectera directement les emplois des membres du SCFP dans ces secteurs. En outre, elle fera augmenter les tarifs des utilisateurs. Elle risque aussi d’entraîner une contribution financière plus importante de l’État à long terme pour couvrir les taux de rendement plus élevés qu’exige le secteur privé.

Permettre à des entreprises et à des investisseurs privés de détenir des infrastructures publiques constitue une mauvaise politique publique pour d’autres raisons : manque de transparence et de responsabilité, manque d’intégration aux autres services d’infrastructure publics, impacts potentiels sur l’environnement et augmentation du contrôle du secteur privé dans la société, notamment.

Plusieurs voix remettent en question la nécessité même de cette banque ou soutiennent que celle-ci devrait utiliser uniquement des fonds publics, comme le font les autres banques d’investissement ou de développement publics.[1] Bien qu’il soit vrai que les gros investisseurs privés canadiens, comme les caisses de retraite, sont à la recherche de placements sûrs dans des projets d’infrastructure au pays, on ne voit pas trop pourquoi le gouvernement fédéral devrait modifier ses politiques publiques pour les aider.

Sous sa forme actuelle, ce projet n’est qu’une autre promesse brisée des libéraux fédéraux. Dans le programme électoral libéral comme dans les lettres de mandat données aux ministres, le premier ministre Justin Trudeau promettait de mettre sur pied une « Banque d’infrastructure du Canada qui fournira du financement à bas prix aux nouveaux projets d’infrastructure ». Or, avec le projet de loi, les libéraux effectuent un virage à 180 degrés, puisque le gouvernement souhaite maintenant « tirer parti » du financement à coût élevé du secteur privé.

Un gouvernement est en mesure de financer les projets d’infrastructure à coût bien moindre qu’un ou plusieurs investisseurs privés, parce qu’il a accès à des taux d’intérêt nettement plus bas. Par contre, en recourant au financement privé, le gouvernement fédéral n’a pas besoin d’inscrire ces investissements dans les infrastructures dans ses livres, ce qui facilite, du moins en apparence, l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Cette stratégie cynique maquille la vérité : le fédéral va rembourser les investisseurs privés et ceux-ci vont empocher de solides rendements sur leurs investissements, ce qui fait gonfler inutilement le coût du financement des infrastructures. En fait, le financement privé pourrait faire doubler le coût des projets d’infrastructure. Et, à terme, c’est la population qui devra payer la différence, que ce soit par le biais d’une hausse des tarifs d’utilisation ou de décaissements de l’État.

Répartition des investissements dans les infrastructures du budget 2016

Dans le budget 2016, le gouvernement fédéral s’engageait à dépenser 11,9 milliards de dollars sur cinq ans dans les infrastructures, dans le cadre de la phase 1 de son programme :

  • 3,4 milliards de dollars sur trois ans pour la mise à niveau et l’amélioration des réseaux de transport en commun.
  • 5 milliards de dollars sur cinq ans dans les systèmes d’eau et d’eaux usées et les infrastructures vertes.
  • 3,4 milliards de dollars sur cinq ans dans les infrastructures sociales, dont le logement social, les services de garde, les infrastructures culturelles et récréatives et les installations de soins de santé communautaires dans les réserves.

Une autre enveloppe de 2,5 milliards de dollars destinée aux infrastructures a été redirigée en 2016-2017 vers les établissements postsecondaires et l’accès à Internet haute vitesse. Ainsi, l’engagement total pour les infrastructures pour 2016-2017 est maintenant de 14,4 milliards de dollars.

Selon le budget 2017, l’essentiel de ce financement sera dépensé dans les trois premières années de la phase 1, soit près de 13 milliards de dollars d’ici 2018-2019. Cette année-là, le Fonds pour l’infrastructure de transport en commun et le Fonds pour l’eau potable et le traitement des eaux usées, deux fonds créés pour distribuer de l’argent pour ces types d’infrastructure par l’entremise d’accords bilatéraux avec les provinces, viendront à échéance.

Répartition des investissements dans les infrastructures de l’Énoncé économique de l’automne

Dans son Énoncé économique de l’automne 2016, le gouvernement a annoncé des dépenses additionnelles dans les infrastructures de 81,3 milliards de dollars sur 11 ans à compter de 2017-2018. Le budget 2017 donne des détails sur la répartition de ces fonds.

La majeure partie de ces fonds (60,2 milliards de dollars) sera dépensée dans les six dernières années du plan de 11 ans. Dans les cinq premières années, soit d’ici 2021-2022, le gouvernement fédéral déboursera seulement 21,1 milliards de dollars sur cette somme. La répartition des fonds, par type de programme et par année, se trouve au Tableau A1.13, page 308 du budget 2017, dans une annexe vers la toute fin du document principal. En voici les faits saillants :

  • 25,3 milliards de dollars sur 11 ans, soit près du tiers du nouveau financement, sont consacrés aux réseaux de transport.
  • 21,9 milliards de dollars pour les infrastructures vertes, y compris les systèmes d’eau et d’eaux usées.
  • 10,1 milliards de dollars pour les infrastructures commerciales et de transport.
  • 21,9 milliards de dollars pour les infrastructures sociales qui couvrent un vaste éventail de projets comme les places en garderie et en prématernelle, les installations culturelles et récréatives communautaires, le logement social et le soutien aux communautés autochtones.
  • 1 milliard de dollars pour « l’infrastructure de soins à domicile ».
  • 2 milliards de dollars pour les communautés rurales et nordiques.

Le plan pour les infrastructures sociales comporte un engagement considérable dans le logement social, soit 5 milliards de dollars sur 11 ans pour un Fonds national pour le logement, 3 milliards de dollars pour des partenariats fédéral-provincial-territorial en matière de logement, plus de 2 milliards de dollars pour lutter contre l’itinérance, 2 milliards de dollars pour les communautés autochtones et une dernière enveloppe de 225 millions de dollars pour le logement pour les Autochtones vivant à l’extérieur des réserves.

Le gros changement par rapport à l’an dernier, c’est que la part maximale de financement du fédéral dans les projets entrepris avec les municipalités est ramenée à 40 pour cent du coût du projet, alors qu’elle était de 50 pour cent pour les projets financés dans la phase 1.

Les engagements en matière d’infrastructures détaillés dans le budget 2017 représentent un pas dans la bonne direction à certains égards, notamment pour le logement social. Par contre, on remarque aussi plusieurs reculs, dont la Banque de l’infrastructure du Canada qui devient la Banque de la privatisation des libéraux.

 

[1] Pour en savoir plus sur les implications financières du projet de banque d’infrastructure, lisez Creating a Canadian infrastructure bank in the public interest de l’économiste du SCFP, Toby Sanger, mars 2017 (en anglais seulement). Lisez aussi “Why create an Infrastructure Bank?”, de Scott Clark et Peter DeVries dans National Newswatch, 28 mars 2017 (en anglais seulement).