Karin Jordan | Employée du SCFP

Ary Girota brandit un T-shirt avec le slogan « Qui paiera le prix de la privatisation de la CEDAE ? L’eau, c’est la vie et la santé, et elle n’est pas à vendre ! », avec un groupe de manifestant(e)s sur les marches du parlement, avril 2021. Photo : SINDAGUA-RJ
Ary Girota est travailleur brésilien des eaux et n’a pas cessé de se battre depuis que le service des eaux où il travaille a été privatisé en avril 2021. Il défend 2 500 membres contre des licenciements massifs et souligne sans relâche les dangers de l’eau à but lucratif. Il est tout aussi implacable dans sa dénonciation de deux caisses de retraite canadiennes qui profitent de la vente de ce service public.

Il y a de l’espoir à l’horizon. Ary Girota et bien d’autres s’organisent à l’échelle internationale pour freiner la vague de privatisation. Ils sont à pied d’œuvre pour rebâtir le pays suite à la prochaine élection présidentielle, cet automne.

Ary Girota travaille dans l’assainissement des eaux depuis 28 ans. Il s’est impliqué dans son syndicat pour lutter contre la privatisation. En 2020, il a été élu président de SINDAGUA-RJ, l’un des trois syndicats qui représentent la main-d’œuvre de la société des eaux Companhia Estadual de Águas e Esgotos, ou CEDAE. La CEDAE est le service d’eau et d’assainissement le plus important et le plus rentable du pays. Il approvisionne 12 millions de personnes dans 64 municipalités de l’État de Rio de Janeiro.

Dans une allocution vidéo au congrès du SCFP-Saskatchewan de 2022, Ary Girota a expliqué aux congressistes que la privatisation de ce service public prospère est « une tragédie » qui s’inscrit dans le cadre d’une attaque plus vaste contre les services publics et la société brésilienne. Il a remercié les membres du SCFP pour leur solidarité dans cette lutte de longue date, qui s’est intensifiée avec l’élection, en 2018, du président d’extrême droite Jair Bolsonaro.

« Nous traversons l’un des moments les plus difficiles, non seulement pour nous, travailleurs et travailleuses de la CEDAE, mais pour tout le pays », nous a-t-il dit en entrevue. « Notre pays est dirigé par un gouvernement fasciste qui met en œuvre des propositions et des lois qui privent les travailleuses et travailleurs de leurs droits et qui s’en prennent à la classe ouvrière. »

Les efforts du gouvernement Bolsonaro pour vendre les services publics du Brésil ciblaient spécifiquement les services d’eau et d’assainissement, sans hésiter à piétiner les obstacles juridiques et juridictionnels.

« Le gouvernement brûle tout pour boucler son budget à court terme », dit Ary Girota.

Selon Ary Girota, les coupes dans les budgets d’entretien et d’infrastructure de la CEDAE étaient des actes de sabotage afin d’amorcer la privatisation de la société. Pire, le gouvernement a profité d’une vague brutale de COVID-19 pour privatiser à toute vitesse.

Vendre un droit humain aux enchères

En avril 2021, les parties rentables de la CEDAE ont été vendues à l’encan à l’occasion d’un spectacle télévisé où Bolsonaro lui-même brandissait le maillet. L’entreprise brésilienne Iguá Saneamento a remporté le contrat de 35 ans pour une grande partie du service public avec une offre de 1,7 milliard de dollars. Iguá Saneamento est détenue majoritairement par deux caisses de retraite canadiennes. L’entreprise exploite déjà plusieurs contrats de privatisation dans le pays.

Ary Girota a été surpris d’apprendre que la privatisation de la CEDAE était financée en partie par les caisses de retraite des Canadiennes et Canadiens. « C’est ridicule ! », s’est-il dit.

Travailleurs, travailleuses et résident(e)s de Rio de Janeiro manifestent contre la participation de deux caisses de retraite canadiennes dans un important accord de privatisation de l’eau. La banderole exhorte les travailleuses et travailleurs canadiens à arrêter de soutenir avec leur fonds de retraite les gangs paramilitaires directement liés au président Jair Bolsonaro et à sa famille, et s’oppose à la privatisation de l’eau, avril 2021. Photo : SINDAGUA-RJ
Il s’est vite rendu compte que « ce sont les gestionnaires de placements qui contrôlent cela, et non la classe ouvrière canadienne ». En collaboration avec la fédération syndicale mondiale du secteur public, l’Internationale des services publics, les travailleuses et travailleurs brésiliens se sont concertés avec les syndicats canadiens pour cibler Investissements RPC, la société qui gère les fonds du Régime de pensions du Canada.

Le SCFP s’est joint à la lutte, exigeant qu’Investissements RPC se retire immédiatement d’Iguá Saneamento et le président national Mark Hancock a qualifié le stratagème de « néfaste d’un point de vue social et risqué d’un point de vue économique » dans une lettre au PDG d’Investissements RPC.

Le SCFP a signalé que l’accord menace le droit à l’eau et aux services d’assainissement. Il a fait référence au bilan mondial désastreux de la privatisation de l’eau : augmentation fulgurante des tarifs, accès réduit, baisse de la qualité, coupes dans les services et les emplois.

Le rôle du Canada ne s’arrête pas aux profits des caisses de retraite. Le gouvernement canadien fait la promotion du plan de privatisation de l’eau de Bolsonaro auprès des entreprises canadiennes comme une occasion d’affaires « socialement et écologiquement responsable ». L’un des délégués commerciaux du Canada au Brésil a applaudi les politiques de Bolsonaro pour augmenter « l’accès aux marchés et la concurrence dans un secteur qui a traditionnellement été contrôlé par des sociétés d’État. »

Les partisans de la privatisation de la CEDAE affirment également que celle-ci augmentera l’accès aux services d’eau et d’assainissement, une question urgente pour des millions de Brésiliens et Brésiliennes. Mais Ary Girota rejette ces affirmations comme du « marketing », affirmant que le jargon corporatif ne peut cacher le fait qu’il s’agit « d’un investissement qui fera souffrir les gens ».

Les déboires de l’eau à but lucratif

Ary Girota sait de quoi il parle lorsqu’il dit que le secteur privé n’améliorera pas l’accès à l’eau. Il affirme que 80 % de la population de Rio a déjà accès à l’eau potable, après des décennies d’efforts minutieux de la part du service public.

Pour lui, les travailleuses et travailleurs de la CEDAE sont des héros qui « méritent vraiment d’être reconnus. Au cours des deux années de la pandémie, la CEDAE ne s’est jamais arrêtée, pas un seul jour. Tout le monde a continué à avoir de l’eau ! »

Ary Girota, à droite, rencontre la présidente du Parti travailliste, Gleisi Hoffmann, lors d’un lobby des membres de la chambre basse du Congrès national du Brésil, novembre 2021. Photo : SINDAGUA-RJ
Pendant ce temps, la privatisation de l’eau au Brésil a entraîné une baisse spectaculaire des salaires de la main-d’œuvre et des difficultés à faire respecter les normes de santé et de sécurité. Des exploitants privés ont déversé des eaux usées non traitées dans des lacs, des rivières et même dans l’océan, causant des dommages environnementaux.

Le prix de l’eau augmente, ce qui est également inévitable selon Ary Girota : « La facture d’eau de tout le monde commence à augmenter, bien évidemment. C’est la philosophie du secteur privé, c’est son but. Le problème, c’est que personne ne peut vivre sans eau. »

Il ajoute que fournir des services d’eau et d’assainissement aux personnes vivant dans des quartiers informels comme les favelas, où vivent plus de 12 millions de personnes, nécessite un savoir-faire local que le privé ne possède tout simplement pas. Tout aussi important, l’élargissement de l’accès aux communautés non desservies ne générera pas les bénéfices que réclament les investisseurs privés.

En général, les administrations publiques de l’eau fournissent l’accès à l’eau potable et au traitement des eaux usées aux personnes qui ne peuvent pas payer.

« Il n’y a que l’administration publique qui a la capacité et la volonté, le désir, de fournir de l’eau à ces 20 % les plus défavorisés de la population », insiste Ary Girota. « Certainement pas le privé. Toutes nos expériences de privatisation à Rio ont eu le même résultat : le privé ne veut pas servir les communautés les plus pauvres. »

Préparer un avenir meilleur

Des élections présidentielles sont prévues pour octobre 2022. Beaucoup voient de l’espoir dans la candidature de l’ancien président et chef du Parti travailliste, Luiz Inácio Lula da Silva, communément appelé Lula. Son élection pourrait ouvrir la porte à l’annulation des politiques de l’ère Bolsonaro qui ont déchiqueté le tissu social du pays, notamment par la privatisation de l’eau.

« Nous comprenons qu’il faut faire élire Lula, mais nous comprenons aussi qu’une seule personne, un seul dirigeant politique, ne peut pas tout faire », poursuit Ary Girota.

Il est convaincu que le changement ne viendra pas seulement d’en haut. Il faudra que des gens à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement travaillent ensemble pour le changement.

« Il ne s’agit pas seulement de changer de président. Nous devons élire d’autres membres du congrès pour constituer une masse critique d’individus qui prendront des décisions en faveur de la population  », ajoute-t-il.

Ary Girota et des représentant(e)s de SINDAGUA-RJ posent avec une banderole au slogan « Nous sommes tous et toutes la CEDAE - publics, appartenant à l’État et efficaces » devant le consulat canadien à Copacabana, après la remise d’une lettre pour Justin Trudeau et les PDG des deux sociétés d’investissement canadiennes, juin 2021. Photo: SINDAGUA-RJ
Ce qui est bon pour la classe ouvrière brésilienne pourrait être dommageable pour les caisses de retraite canadiennes. Celles-ci risquent des pertes financières si la CEDAE et d’autres entreprises privatisées reviennent dans le giron de l’État. Le SCFP a souligné la nature intrinsèquement risquée de la privatisation dans sa campagne ciblant Investissements RPC. Il continuera de soulever les problèmes fondamentaux dans l’idée que des caisses de retraite possèdent des services publics vitaux, les exploitent et en tirent des profits.

« Ce dont nous avons besoin, c’est de tout le pouvoir que nous pouvons rassembler collectivement pour changer la situation », explique Ary Girota. « C’est un moment vraiment difficile et compliqué de notre histoire. Et l’eau potable et les eaux usées y tiennent un rôle central. »

« Parce que couper l’eau aux gens, c’est couper l’accès à la vie », dit Ary Girota.

Ary Girota espère l’élection de Lula : « Ce que nous essayons de faire, c’est de nourrir l’espoir des gens, de renforcer leur capacité à rêver et à envisager un autre modèle », conclut-il.


Évitons que nos régimes de retraite contribuent à la privatisation !

Deux caisses de retraite canadiennes profitent de la privatisation de l’eau au Brésil.

AIMCo gère les fonds de plusieurs régimes de retraite du secteur public de l’Alberta, y compris le régime de retraite des administrations municipales (LAPP), auquel participent la plupart des membres du SCFP en Alberta. AIMCo a investi pour la première fois dans Iguá Saneamento en 2018 ; aujourd’hui, elle en détient 39 %.

Investissements RPC gère les fonds du régime de retraite public du Canada, auquel nous cotisons tous et toutes ; elle a acheté une participation de 45 % dans Iguá Saneamento en mars 2021.

Cette situation a mis en lumière un problème généralisé. Les capitaux privés, y compris les caisses de retraite, cherchent de plus en plus à tirer profit des services et des réseaux publics par le biais de la privatisation. Le SCFP a mis au point une trousse à outils pour aider les membres à protéger les infrastructures publiques et à éviter que leur régime de retraite contribue à la privatisation.

Visitez le scfp.ca et téléchargez Évitons que nos régimes de retraite contribuent à la privatisation : Guide pour les membres du SCFP, les fiduciaires et les autres représentant(e)s des régimes de retraite.