Le système économique actuel profite grandement aux plus riches au détriment de la classe moyenne et de la classe ouvrière. Pour justifier ce système, on s’appuie parfois sur des théories qui se sont révélées fausses. En examinant les données probantes, on constate qu’en plus d’être faux, ces mythes sont nuisibles.

Mythe n° 1 : le marché fonctionne mieux sans intervention de l’État

Le premier mythe, et peut-être le plus répandu, est la théorie selon laquelle le meilleur moyen d’assurer la prospérité de tout le monde est de limiter l’intervention de l’État pour permettre au marché de fonctionner sans entrave.

Cette philosophie est parfois appelée l’économie du laissez-faire. Le fondement de ce point de vue est que les marchés sont le moyen le plus efficace de distribuer toutes les ressources; toute interférence avec les marchés et leur fonctionnement entraînant des pertes économiques pour la société. Les gouvernements devraient donc en faire le moins possible en matière de fiscalité, de réglementation ou de prestation de services.

Or, comme la plupart d’entre nous le savent par expérience, ce n’est pas si simple. La concurrence sur le libre marché ne fonctionne de cette manière que si personne n’a assez de pouvoir pour fixer les prix. Le pouvoir d’influencer les prix peut provenir de la part de marché qu’on détient ou de l’inégalité de l’information entre acheteurs et vendeurs. Plus un marché s’approche d’un monopole (un seul vendeur) ou d’un monopsone (un seul acheteur), plus les résultats seront inéquitables et plus grandes seront les possibilités de profit. Ces dernières sont généralement assurées par une sous-rémunération de la main-d’œuvre et une surfacturation de la clientèle, ou encore par l’exploitation de celles et ceux qui ne disposent pas d’autant de pouvoir.

Au cours de cette ère du « libre marché » qui a commencé au début des années 1980, les gouvernements ont assoupli la réglementation, diminué l’impôt des entreprises et l’impôt sur la fortune, affaibli les protections existantes en matière de travail, réduit les transferts sociaux et, en général, façonné les marchés au profit d’une minorité de privilégiés. Les résultats de cette expérience globale sont évidents. Le « libre marché » distribuera toujours plus de richesses au sommet, parce que les gens au sommet finissent toujours par avoir plus de pouvoir et d’influence. Nous avons besoin d’un acteur neutre, l’État, pour intervenir afin de mettre un terme aux inégalités extrêmes et de redistribuer la richesse équitablement dans la société.

Mythe n° 2 : si on augmente la taille du gâteau, tout le monde en profitera

Selon ce deuxième mythe, si le produit intérieur brut (PIB) croît, tout le monde en profitera, parce que chacun aura une plus grosse part du gâteau. En vertu de ce mythe, les gouvernements devraient se concentrer sur la croissance de l’économie et non sur la redistribution de la richesse, car la redistribution consiste simplement à prendre une part du gâteau aux plus riches pour la donner aux autres.

Or, les grandes entreprises peuvent aussi accroître leur « productivité » en trouvant des moyens de payer moins leur main-d’œuvre pour la même production ou en se tournant vers l’automatisation. Dans ces deux cas, leurs gains sont puisés dans les poches des travailleurs. Ainsi, la croissance d’une entreprise ne se traduit pas nécessairement en ajouts d’emplois ou en augmentations de salaire. Habituellement, les riches PDG et actionnaires récoltent la grande partie des bénéfices de cette croissance. En 2019, le PDG moyen au Canada gagnait plus de 200 fois le salaire moyen de sa main-d’œuvre, une augmentation spectaculaire par rapport à 1998, où ce ratio était de 104:1.

En fait, l’image du gâteau illustre mal le fonctionnement réel de l’économie. L’économiste Kate Raworth préfère l’analogie du beigne, dont l’extérieur représente les ressources naturelles limitées et l’intérieur, nos assises sociales. Tout modèle qui soustrait les gens, les soins non rémunérés, les infrastructures publiques et notre environnement naturel de sa compréhension de l’économie est voué à donner de mauvaises réponses.

Mythe n° 3 : le « ruissellement » de la richesse vers le bas profite à tout le monde

Selon le mythe du « ruissellement », si on diminue les impôts des plus riches ou des grandes entreprises pour améliorer leur situation, tout le monde en profitera car les investisseurs et les entreprises réinvestiront leurs économies d’impôt dans la création d’emplois et la croissance de l’économie.

Dans une étude publiée en décembre 2020, les économistes David Hope et Julian Limberg de la London School of Economics ont analysé plus de 50 ans de diminutions d’impôts pour les plus riches dans 18 des principaux pays européens et nord-américains de l’OCDE. Ils ont conclu, de manière très convaincante, que la théorie du ruissellement ne tient pas la route : les réductions d’impôts ne stimulent pas la croissance et ne créent pas d’emplois, elles ne font qu’accroître les inégalités.

Si on veut améliorer la qualité de vie de tout le monde au Canada, y compris des plus riches d’entre nous, on doit s’assurer que les individus et les entreprises les plus riches paient leur juste part au lieu de leur donner plus d’argent.

Mythe n° 4 : taxer les riches, c’est du vol

Le mythe selon lequel augmenter les impôts des riches est une sorte de vol repose sur la prémisse que ces gens méritent de garder leur argent parce qu’ils ont travaillé pour l’accumuler, qu’ils l’ont gagné et qu’on ne devrait pas les imposer davantage simplement parce qu’ils ont réussi. Les super-riches eux-mêmes soutiennent souvent qu’on ne devrait pas leur demander de payer plus, car ils ont créé nos emplois et notre richesse (voir mythe n° 3). Souvent, ils menacent même (implicitement ou explicitement) de quitter le pays s’ils doivent payer plus d’impôt.

Les gouvernements ont façonné les marchés pour permettre cette accumulation extrême de richesses au détriment de la majorité; ils ont donc la responsabilité de réécrire les règles pour rendre le système plus équitable. Les entreprises bénéficient d’importantes infrastructures publiques, comme les routes, les chemins de fer, les ports et les aéroports, mais elles bénéficient aussi de programmes sociaux gouvernementaux. En d’autres termes, les gouvernements ne volent pas de l’argent aux plus riches lorsqu’ils perçoivent des impôts plus élevés; ils perçoivent un rendement basé sur la contribution des infrastructures publiques aux bénéfices privés.

Changer le système

Ces mythes sont constamment cités, malgré les preuves qui démontrent leur fausseté. On les utilise pour nier les inégalités ou justifier l’inaction, ce qui, dans le monde d’aujourd’hui, rivalise avec le déni climatique qui vise aussi à contrer l’action sur un enjeu qui nécessite une attention urgente. Les gens qui détiennent une grande richesse et un grand pouvoir n’ont aucun intérêt à changer le système. Ils s’opposeront à de tels efforts. Si on veut changer les choses, il faudra s’atteler à une tâche énorme.

Cet extrait est tiré du nouveau livre d’Angella MacEwen intitulé Share the wealth! How we can tax Canada’s super-rich and create a better country for everyone, coécrit avec Jonathan Gauvin, directeur des politiques au Nouveau Parti démocratique du Canada. Vous voulez en lire plus ? Demandez à votre bibliothèque publique ou à une librairie indépendante de votre région d’en commander un exemplaire.