Angela Hodgson est présidente du SCFP 1974 et du comité des infirmières auxiliaires autorisées du Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario (CSHO-SCFP).
 
Depuis plus de deux décennies, Angela vit de près la pénurie critique de personnel hospitalier qui perdure en Ontario. En tant qu’infirmière auxiliaire autorisée (IAA), elle a constaté directement le déclin des conditions de travail : taux élevé de blessures et de violence au travail, dégradation de l’état de santé des patient(e)s, et détérioration du moral.
 
Les effectifs insuffisants en personnel infirmier en Ontario – le niveau le plus bas au pays – ont des conséquences graves. Cchaque patient(e) qui s’ajoute à la charge de travail normale de chaque membre de l’équipe infirmière se traduit par une hausse de 7 % du nombre de décès parmi les patient(e)s. . À l’inverse, le maintien d’un ratio de personnel infirmier adéquat sauve des vies. 
 
Une répartition saine des effectifs protège les travailleuses et travailleurs aussi, comme le précise Angela. D’après une enquête menée par le SCFP en 2023, 75 % du personnel infirmier a dit ressentir un niveau élevé de stress, 61 % a rapporté de la difficulté à dormir, et 55 % appréhende d’aller au travail. L’établissement d’un bon ratio du personnel infirmier par patient(e) amène une charge de travail raisonnable, une réduction des blessures, une plus grande satisfaction professionnelle et une meilleure rétention dans le secteur. 
 
Est-ce assez pour convaincre les gouvernements séduits par l’austérité d’investir pour accroître les effectifs? 
 
On remarque depuis quelques années des signes encourageants en ce sens. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a commencé à mettre en place des ratios du personnel infirmier par patient(e). Le personnel infirmier en Nouvelle-Écosse a négocié avec succès des normes de dotation avec les autorités sanitaires. Au Manitoba, les employeurs, les syndicats et le gouvernement ont signé une lettre d’intention afin d’établir des ratios. 
 
Mais en Ontario, le personnel infirmier fait face à un gros défi avec le gouvernement conservateur au pouvoir. Au cours de la dernière ronde de négociation à la table centrale, l’employeur (l’Association des hôpitaux de l’Ontario) a refusé de discuter de la question avec le front commun formé par le Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario (la division hospitalière du SCFP qui représente près de 50 000 salarié(e)s), le SEIU (20 000 salarié(e)s) et Unifor (15 000 salarié(e)s).
 
En tant que présidente du comité des IAA du CSHO-SCFP, Angela joue un rôle clé dans la campagne menée par le syndicat en faveur d’une répartition saine des effectifs infirmiers. Une campagne a débuté en août 2025 avec une tournée médiatique, diffusant les récentes conclusions d’une importante étude académique confirmant la pertinence des ratios pour les effectifs infirmiers. 
 
Question 1
Qu’est-ce qui vous a incitée à devenir infirmière?
 
Déjà enfant, j’avais un grand désir d’aider les gens, surtout ceux qui ne vont pas bien. Je trouvais du réconfort à m’occuper des membres de la famille qui étaient malades et je me suis toujours sentie profondément valorisée en étant à leurs côtés. Visiter des proches à l’hôpital éveillait quelque chose en moi. J’étais fascinée par l’ambiance, la compassion du personnel soignant et la résilience des patient(e)s.
 
Je crois que c’est un privilège d’être là pour une personne dans ses plus grands moments de vulnérabilité. Personne ne devrait vivre de la solitude ou de la peur en étant malade, alors qu’il suffit parfois d’un peu de réconfort et de compagnie pour faire la différence. Être infirmière me permet de faire exactement ça : offrir des soins, du soutien et un brin d’humanité quand les gens en ont le plus besoin.
 
Question 2
Vous travaillez comme infirmière en milieu hospitalier depuis plus de 20 ans. Comment les conditions de travail ont-elles évolué depuis vos débuts, et qu’est-ce qui vous a menée vers l’activisme syndical?
 
Les conditions de travail du personnel infirmier se sont grandement dégradées depuis 20 ans. Je ne dirais pas qu’elles étaient idéales avant, mais il y a 10 à 15 ans, notre charge de travail était encore gérable. Aux soins de courte durée, on nous confiait cinq ou six patient(e)s, ce qui nous permettait de donner des soins efficaces au moment opportun. Ces ratios n’étaient pas parfaits, et on devait parfois rester plus tard, sauter notre repas ou manquer une pause, mais on sentait qu’on pouvait effectuer notre travail à un niveau acceptable. On ne rentrait pas chez soi en se demandant si la qualité des soins avait été compromise.
 
Aujourd’hui, c’est tellement plus éprouvant. Le nombre de patient(e)s par employé(e) a augmenté. Il est très fréquent d’être responsable de six à huit patient(e)s par quart de travail. C’est devenu pratiquement impossible de fournir les soins comme on nous les a enseignés. C’est injuste pour les personnes qu’on soigne. 
 
Au fil du temps, j’ai pris de plus en plus conscience des défis dans notre profession, surtout en ce qui concerne la charge de travail, le manque de soutien pour les IAA et l’absence d’une véritable sensibilisation à notre rôle dans le système de santé. Je savais que je devais mieux comprendre l’origine de ces problèmes et trouver une manière de changer les choses.
 
C’est la combinaison de l’augmentation du niveau d’acuité des besoins des patient(e)s, de la diminution des effectifs et des ressources limitées qui m’a poussée à agir. J’ai découvert que la compassion et l’engagement que je mettais dans tous les soins que je prodigue aux gens pouvaient être mis à profit pour représenter mes collègues. Mon objectif était clair : contribuer à améliorer nos conditions de travail, assurer un soutien adéquat aux travailleuses et travailleurs de la santé et créer un milieu de travail plus sain et respectueux pour tout le monde.
 
Question 3
On entend beaucoup parler de la détresse psychologique que ressentent les travailleuses et travailleurs de la santé, dont le personnel infirmier, face à leur incapacité de fournir les soins dont leurs patient(e)s ont besoin. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous vivez?
 
On choisit un métier en soins infirmiers parce qu’on ressent de la compassion pour les gens, et qu’on désire les aider et contribuer à leur bien-être. Mais lorsqu’on est incapable de fournir le niveau de soins nécessaires aux personnes que nous soignons, quand on ne peut répondre à leurs appels, que la prise de médication est retardée, et qu’on n’a pas le temps de s’asseoir avec elles, de comprendre leur condition, ou simplement de leur offrir du réconfort, on commence à douter de soi. On doute de la qualité des soins qu’on donne et on traîne le sentiment de ne pas en avoir fait assez. On porte ces doutes en nous. C’est très démoralisant. 
 
Question 4
Notre enquête de 2023 révélait que les infirmières et infirmiers sont préoccupés par leurs conditions de travail au point d’en perdre le sommeil, ce qui explique en partie pourquoi tant de personnes quittent le métier qu’elles aiment. Le CSHO-SCFP mène une campagne de sensibilisation sur les ratios du personnel infirmier par patient(e). En quoi ces ratios aideraient-ils?
 
Ce sentiment constant de laisser tomber les personnes qu’on soigne ne s’estompe pas. Il s’incruste en nous et pèse sur notre bien-être émotionnel. Au fil du temps, ce fardeau émotionnel se fait ressentir aussi physiquement. C’est ce qui nous tient éveillé(e)s toute la nuit, angoissé(e)s par les « et si » et les « on aurait pu ». On endure, encore et encore, jusqu’à ce qu’on atteigne forcément un point de rupture et qu’on décide de démissionner. Il n’est pas étonnant qu’autant aient quitté la profession.
 
L’imposition de ratios du personnel infirmier par patient(e) est de la plus haute importance. Des données provenant des États-Unis et de l’Australie indiquent que ces ratios sont associés à une diminution des taux de décès, une amélioration de la satisfaction des patient(e)s et une baisse des blessures au travail.  
 
Ces ratios garantiraient que les effectifs ne diminuent jamais en dessous d’un certain seuil préétabli. On aurait alors le temps de bien évaluer nos patient(e)s, de leur prodiguer des soins et de leur apprendre comment mieux prendre soin d’eux-mêmes. On ne les soignerait plus de manière aussi précipitée, ce qui diminuerait le risque d’erreur. Les infirmières et infirmiers seraient en mesure d’établir la relation thérapeutique nécessaire pour apaiser l’anxiété des personnes soignées. Globalement, il en résulterait de meilleures conditions de travail pour le personnel infirmier, qui nous permettraient de prendre correctement soin de nos patient(e)s. 
 
Question 5
Serait-il possible d’appliquer cette répartition des effectifs infirmiers dans une province comme l’Ontario, considérant l’importante pénurie de personnel infirmier, et sachant que les employeurs peinent déjà à pourvoir les postes vacants?
 
L’imposition de ratios n’est pas une panacée, mais les données ont démontré qu’elle facilite le recrutement et la rétention. Je crois que ça envoie un message fort aux travailleuses et travailleurs comme quoi le système se soucie de leur bien-être et que des mesures concrètes sont prises pour améliorer leurs conditions de travail. 
 
On a la preuve que les ratios du personnel infirmier par patient(e) ont eu des effets très bénéfiques ailleurs. Dans l’État australien de Victoria, la mise en application de ratios en 2015 a entraîné une augmentation de 24 % des infirmières et infirmiers, dont 7 000 qui ont effectué un retour vers la profession. Imaginez un scénario similaire en Ontario, où 15 000 infirmières et infirmiers autorisés ne pratiquent pas actuellement. Ce serait une réussite inouïe. 
 
Question 6
Dans d’autres provinces, comme en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse, le personnel infirmier a réussi à faire établir des ratios ou des normes de répartition des effectifs équivalentes. En quoi consiste la campagne du CSHO-SCFP en Ontario, et à quelle réponse vous attendez-vous de la part de l’employeur lors des négociations à la table centrale?
 
En août, le CSHO-SCFP a publié une étude académique se penchant sur les ratios du personnel infirmier par patient(e). Cette étude conclut que les ratios sont indispensables. On va faire une tournée provinciale et tenir des conférences de presse dans le cadre d’une campagne de sensibilisation et d’information pour obtenir le soutien de la population. On va aussi organiser des manifestations, offrir des formations aux membres du SCFP et faire pression sur les membres de l’Assemblée législative. On va aussi tenir des séances d’information virtuelles ainsi qu’une conférence, le 1er décembre, pour l’ensemble des infirmières et infirmiers membres de notre syndicat afin de faire adopter un plan d’action visant à obtenir ces ratios.
 
Les ratios du personnel infirmier par patient(e) feront aussi l’objet d’une des demandes déposées à la table centrale lors des négociations. Malheureusement, lors de la dernière ronde de négociation, l’Association des hôpitaux de l’Ontario a même refusé d’aborder le sujet. Rien ne laisse présager une attitude différente cette fois-ci, ce qui accentue l’importance de mener une solide campagne contraignant l’employeur à sérieusement travailler avec nous sur la question. 
 
Une saine répartition des effectifs infirmiers sauve des vies. Si l’employeur se soucie véritablement d’améliorer la qualité des soins, on doit discuter ensemble de la meilleure manière de la mettre en œuvre ici, en Ontario. La vie des gens en dépend. Le problème ne disparaîtra pas de lui-même. On va réussir à obtenir des ratios en Ontario et, un jour, dans toutes les provinces du pays.