Les changements au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et au Programme des aides familiaux résidants (PAFR) annoncés récemment ne tiennent pas compte de la situation précaire et de la vulnérabilité des travailleurs migrants du Canada.

Le PTET est un programme fédéral  qui  permet aux travailleurs étrangers de venir au Canada pour combler les besoins régionaux à court terme en main-d’œuvre des employeurs. Le PAFR est un programme fédéral qui permet de faire entrer des travailleurs étrangers pour fournir des soins à des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées à leur domicile.

Les travailleurs étrangers temporaires du Canada comptent parmi les quelque 200 millions de travailleurs qui ont quitté leur domicile et leur famille pour chercher du travail à l’étranger. Les gouvern ments et les employeurs traitent les travailleurs migrants comme de simples commodités alors que l’argent qu’ils renvoient à leur famille, jusqu’à 400 milliards de dollars américains par année, sert à renflouer l’économie des pays aux prises avec de grandes inégalités sociales ainsi que des engagements de prêts auprès du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Les pays d’accueil des travailleurs étrangers les utilisent pour exercer une pression à la baisse sur les salaires ainsi que pour saper les gains et les demandes du mouvement syndical ouvrier.

L’exportation de cette main-d’œuvre est hautement systématisée. Les pays d’où proviennent les tra-ailleurs, habituellement pauvres, ont mis en place des politiques d’exportation de la main-d’œuvre pour s’assurer qu’un afflux constant de capitaux étrangers est injecté dans leur économie. À l’inverse, les pays qui accueillent les travailleurs, comme le Canada, sont habituellement riches et ont mis sur pied des programmes pour les travailleurs étrangers temporaires au profit des employeurs. Les travailleurs migrants de partout dans le monde, y compris au Canada, se qualifient eux-mêmes d’« esclaves des temps modernes ».

Le Canada utilise le PTET pour exploiter les travailleurs vulnérables et obtenir de la main-d’œuvre bon marché tout en offrant de moins bonnes conditions de travail à tous les employés. Cette façon de faire porte atteinte à notre capacité de nous organiser collectivement et de mettre en œuvre nos conventions collectives. De plus, cela permet aux employeurs de ne pas financer l’apprentissage, la formation et les programmes publics nationaux comme la garde d’enfants.

PTET

Le recensement de 2006 a permis de constater une augmentation du nombre de travailleurs étrangers temporaires entrant au Canada de l’ordre de 118% sur une période dix ans. En 2008, pour la première fois, un plus grand nombre de résidents temporaires que de résidents permanents sont entrés au Canada; une tendance qui se poursuit aujourd’hui. Ces travailleurs proviennent principalement des pays les plus pauvres de la planète et ce sont les Philippins qui dominent la catégorie des travailleurs peu spécialisés au Canada.

Détails des changements

En juin 2014, Jason Kenney, ministre d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), et Chris Alexander, ministre de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), ont annoncé des changements au PTET.
 
Les défenseurs des travailleurs migrants réclament depuis longtemps une réforme du programme. Toutefois, ce qui a forcé cette annonce, c’est lorsque plusieurs restaurants McDonald’s de Victoria (Colombie-Britannique) ont propulsé à la une des journaux et dans le débat public les problèmes soulevés par le PTET.

À l’époque,  l’opinion publique et la principale critique à l’endroit des pratiques de McDonald’s voulaient que l’on privilégiait l’embauche de travailleurs étrangers au détriment des Canadiens ce qui privait ces derniers des emplois de premier échelon. Sans réfléchir, le gouvernement canadien a déclaré un moratoire sur l’embauche de travailleurs étrangers temporaires dans le secteur de la restauration qui a rapidement débouché sur ces changements importants en juin.

PTET

Nous pouvons maintenant distinguer deux programmes de travailleurs étrangers temporaires :

  1. Le programme des études d’impact sur le marché du travail (ou EIMT) qui remplacent les avis relatifs au marché du travail. Ce programme est piloté par Emploi et Développement social Canada et est axé sur des considérations relatives au marché du travail.
  2. Le Programme de mobilité internationale (ou le PMI) est piloté par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et est principalement fondé sur des accords internationaux tels que l’ALÉNA, l’Accord général sur le commerce des services (GATS) et les accords internationaux sur la mobilité des jeunes.

Les changements apportés divisent essentiellement le programme en deux catégories de travailleurs : les travailleurs qui ont besoin de documents pour obtenir un permis de travail et entrer au Canada ainsi que ceux qui peuvent le faire sans que leur employabilité ne soit restreinte.

Les autres changements importants comprennent :

Limitation du nombre de « travailleurs à bas salaire » : Désormais, l’on ne peut accueillir plus de 30 % de travailleurs migrants de cette nouvelle catégorie de travailleurs à bas salaire.  Le programme limite l’embauche de travailleurs à bas salaire en fonction du taux de chômage régional. Si ce dernier s’élève à plus de six pour cent, aucune EIMT ne sera amorcée pour les travailleurs à plus bas salaire. Les organisations de défense des intérêts des travailleurs migrants s’attendent à ce que ces mesures provoquent une augmentation des retraits forcés ou du nombre de travailleurs sans-papiers au Canada.

Hausse des frais liés aux EIMT pour les employeurs : Les changements comprennent une hausse des frais à payer pour les demandes des employeurs et ces derniers doivent maintenant payer 1 000 dollars par employé plutôt que 275 dollars.

Réduction de la période de résidence au Canada : Les permis de travail des travailleurs à bas salaire sont valides pour une année seulement et ils ne peuvent rester au Canada que pour deux ans. Quant aux employés à haut salaire, les employeurs devront fournir des plans de transition faisant état de leurs efforts pour que les travailleurs étrangers deviennent des citoyens canadiens ou des résidents permanents, ou démontrer comment ils soutiennent les travailleurs étrangers dans leurs démarches pour obtenir leur statut de résident permanent.

Application de la législation du travail : Plus d’inspections visant à vérifier la conformité des milieux de travail auront lieu ce qui permettra de détecter un plus grand nombre de manquements aux conditions du programme. Les employeurs doivent garder les dossiers de leurs employés pendant au moins six ans, et tout manquement aux modalités du programme peut donner lieu à une amende de 100 000 dollars et une peine d’emprisonnement pouvant atteindre cinq ans. Les défenseurs des travailleurs migrants nous rappellent que l’on avait déjà promis de protéger les travailleurs migrants, mais qu’aucune mesure d’application n’avait été prise en ce sens.

Nouveaux pouvoirs accordés à l’Agence des ser- vices frontaliers du Canada (ASFC) : L’ASFC a vu sa mission s’élargir puisqu’elle doit maintenant
veiller à l’application des changements apportés au PTET. Les organisations militant pour les droits des travailleurs migrants sont préoccupées puisqu’elles craignent que ce mandat élargi mène à davantage de descentes en milieu de travail, à des inspections aléatoires et à des arrestations arbitraires. On dénombrera 20 inspecteurs supplémentaires à l’échelle du pays et l’Agence des services frontaliers du Canada sera responsable de faire respecter le programme.

Changements au Programme des aides familiaux résidants (PAFR)

À la fin d’octobre 2014, après une série de consultations à huis clos, qui excluaient les défenseurs des travailleurs migrants, Chris Alexander, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC), a annoncé d’importantes réformes touchant le PAFR..

  • Les aides familiaux résidants pourront désormais vivre ailleurs qu’au domicile de leur employeur, une requête formulée par les défenseurs des travailleurs migrants depuis des décennies.
  • On imposera dorénavant un quota quant au nombre de travailleurs migrants assurant la garde d’enfants acceptés en tant que résidents permanents. Cette mesure vient s’ajouter à la promesse que le délai de traitement des demandes sera réduit à six mois pour permettre aux familles des travailleurs migrants d’être réunies plus rapidement.

Répercussions de ces changements sur les travailleurs migrants

L’annonce de ces changements apportés au PTET et au PAFR a seulement jeté de l’huile sur le feu dans les débats entourant ces programmes. Les militants pour les droits des travailleurs migrants prétendent que les actions et les annonces des responsables gouvernementaux canadiens ne cherchent qu’à étouffer les critiques du public plutôt qu’à alléger le fardeau de ces travailleurs asservis.

Les changements récents ne modifient pas fondamentalement les éléments du programme qui permettent l’exploitation des travailleurs. Ils ne répondent pas au besoin de favoriser l’immigration plutôt que la migration de la main-d’œuvre. Ils ne répondent pas au besoin de favoriser l’obtention de la résidence permanente des travailleurs migrants plutôt que la création d’une nation de travailleurs invités.

Les travailleurs étrangers temporaires resteront liés à leurs employeurs, une situation sans issue qui accroît la vulnérabilité des travailleurs étrangers à l’abus et à l’exploitation. Le gouvernement a largement ignoré cette réalité bien documentée, à savoir que les employeurs et les recruteurs violent les normes du travail et portent atteinte aux droits de la personne et du travail en les empêchant de s’organiser.

En ce qui a trait aux changements au PTET :

  • Le fait que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) soit officiellement mandatée pour surveiller la mise en application du programme n’est pas rassurant et l’on peut s’attendre à ce que la déportation des travailleurs qui n’ont pas de statut soit rapide et généralisée. Les travailleurs perdent souvent leur statut parce que les employeurs ne veulent pas ou sont incapables de leur donner un emploi. Sans qu’ils n’aient fait quoi que ce soit, ils se retrouvent souvent sans statut parce qu’il leur est difficile de trouver un nouvel employeur prêt à suivre les procédures requises pour embaucher un travailleur étranger temporaire.
  • À partir de maintenant, EDSC ne fera plus d’EIMT pour les secteurs de l’hébergement, de la restauration et du commerce de détail, excepté, peut-être, à Calgary ou à d’autres endroits en Alberta où le taux de chômage est de moins de six pour cent. Les emplois visés comprennent ceux de serveurs au comptoir, de caissiers, de commis d’épicerie, de concierges, de nettoyeurs, de gardiens de sécurité, d’aides de soutien des métiers et de manœuvres en construction.
  • Dès avril 2015, nous nous attendons à une recrudescence du nombre de travailleurs sans statut puisque la limite de durée de séjour de quatre ans, annoncée en 2011 pour les travailleurs étrangers temporaires, arrivera à échéance.

En ce qui a trait aux changements au PAFR :

  • Les défenseurs des travailleurs migrants croient que le fait de limiter le nombre d’aides familiaux à qui l’on peut offrir la résidence permanente, combiné au processus de sélection aléatoire utilisé, est une manière inhumaine de régler le problème des procédures administratives complexes. Ils prétendent en outre que cette limite nourrira les divisions et la concurrence parmi les travailleurs migrants.
  • Le fait que les aides familiaux doivent encore travailler sur une base temporaire pendant deux ans afin que leur demande de résidence permanente soit traitée dans un délai de six mois ne facilite en rien la réunion des familles. Les femmes provenant de pays pauvres qui obtiennent un emploi dans le cadre du PAFR sont séparées  de  leurs  enfants  pendant  au moins trois à cinq ans, une situation d’autant plus attristante qu’elles doivent souvent prendre soin des enfants des autres, ici, au Canada. Compte tenu des exigences relatives aux examens médicaux, à la sécurité et d’autres nature préalables à la présentation d’une demande de résidence permanente, les défenseurs des travailleurs étrangers ne s’attendent pas à ce que ces changements soient mis en œuvre ou que les familles touchées soient réunies rapidement.
  • Les défenseurs des travailleurs migrants n’ont aucun doute que tant et aussi longtemps que le statut d’aide familial est lié à un employeur en particulier, les employeurs peuvent demander aux aides familiaux de vivre à leur domicile, ce qui compromet la possibilité de se prévaloir de « l’option » de vivre à l’extérieur du domicile de travail. Il est tout à fait inutile d’offrir l’option de vivre à l’extérieur du domicile de travail sans s’attaquer à la source du problème de vulnérabilité – le fait que le statut du travailleur est lié à un employeur en particulier. De plus, les aides familiales du PAFR reçoivent seulement le salaire minimum. À défaut d’un meilleur salaire, la plupart des travailleurs ne peuvent se permettre de vivre ailleurs que chez leur employeur de sorte que leur liberté de choix n’est pas réelle.

Encore une fois, les changements ne s’attaquent pas à la vulnérabilité créée par le statut d’immigration précaire qui touche les travailleurs migrants. Il est essentiel d’offrir un statut de résident permanent dès leur arrivée en plus d’offrir un salaire décent aux travailleurs qui s’occupent des enfants au Canada, tout en investissant dans un programme national de garde d’enfants encadré par la loi.

Analyse

Des reportages récents dans les médias combinés aux demandes de certains syndicats ont renforcé le mythe selon lequel les travailleurs étrangers menacent les emplois canadiens. Les travailleurs étrangers ne volent pas les emplois de travailleurs canadiens, ce sont plutôt les programmes de travailleurs étrangers temporaires et le fait que le gouvernement canadien répond aux intérêts des employeurs qui posent problème.

Les études montrant que les régions ayant le taux de chômage le plus élevé, comme le  Nunavut, sont celles qui ont relativement peu de travailleurs étrangers temporaires alors que les régions ayant le taux de chômage le plus bas, comme l’Alberta, sont celles qui accueillent le plus grand nombre de travailleurs étrangers temporaires ne font qu’illustrer la mesure dans laquelle le gouvernement utilise ces mesures comme stratégie de nivellement par le bas.

C’est la nature précaire et temporaire du statut d’immigrant et des travailleurs étrangers temporaires qui les rend vulnérables aux abus et à l’exploitation, qui leur donne un accès inégal à celui des Canadiens aux normes et au droit du travail canadien en plus de les exposer à des menaces de perte d’emploi et de déportation et à des situations où celles-ci s’avèrent.

Le meilleur moyen de protéger les travailleurs étrangers est de leur octroyer le statut de résident permanent dès leur arrivée au Canada. Des mesures intérimaires devraient inclure des permis de travail liés au secteur d’activités ou à la province plutôt qu’à un employeur en particulier.

Toute proposition visant à mettre fin aux PTET ne peut prétendre au statut de solution fondée sur un principe de solidarité si elle n’est pas aussi accompagnée de la reconnaissance que l’octroi de la résidence permanente, l’accès complet aux services et le respect des droits de la personne et des travailleurs sont nécessaire pour promouvoir et protéger les droits et le bien-être des travailleurs étrangers. Le Canada devrait envisager d’accueillir un plus grand nombre d’immigrants en vue d’en faire des citoyens plutôt que d’accueillir un plus grand nombre de travailleurs étrangers temporaires et de recentrer sa politique d’immigration sur les statuts permanents et non temporaires.