Kelti Cameron | Direction des services nationaux
Bien que peu fréquentes, les pandémies font partie de ces rares catastrophes qui affectent le monde entier en même temps. On reste stupéfait à l’idée que 7,8 milliards de personnes ont été touchées par la COVID-19 d’une manière ou d’une autre. On entend souvent la phrase « Nous sommes tous dans le même bateau », mais c’est faux. Oui, la pandémie nous touche tous, mais certains d’entre nous sont dans un yacht pendant que d’autres se noient. L’accès aux vaccins en est un bon exemple.
Pour survivre et affronter l’avenir, il est urgent de vacciner la majeure partie de la population mondiale. Les solutions à la pandémie doivent se fonder sur la solidarité, ce qui signifie que les vaccins doivent être accessibles et abordables. À l’inverse, des pays riches comme le Canada se précipitent pour réserver leur approvisionnement au lieu de s’engager dans un plan mondial. Cette course est orchestrée par une poignée de grandes entreprises pharmaceutiques qui contrôlent l’approvisionnement et qui tirent d’énormes profits de la pandémie.
Le Canada a acheté cinq fois plus de vaccins que nécessaire; les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne, plus du double de ce dont ils ont besoin. Les géants Moderna et Pfizer devraient tirer respectivement 10 et 19 milliards de dollars des ventes de vaccins en 2021. Les pays les plus pauvres, qui représentent 84 pour cent de la population mondiale, n’ont pu réserver que 32 pour cent de la production.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place un système de collaboration mondiale appelée COVAX afin de maintenir le prix des vaccins bas et de garantir un accès équitable dans le monde. L’idée consiste à ce que les pays riches, dont le Canada, mettent en commun des fonds pour acheter des vaccins pour eux-mêmes et les pays pauvres. La distribution aurait été planifiée collectivement et équitablement répartie, les 190 pays inscrits recevant suffisamment de doses à un prix abordable.
Hélas, les pays riches minent ce programme en se faisant concurrence pour accéder à l’approvisionnement mondial limité contrôlé par les pharmaceutiques. En ce moment, 60 pour cent des vaccins sont contrôlés par des pays qui ne représentent que 16 pour cent de la population mondiale. Le réflexe a été de garantir l’approvisionnement national.
L’Inde et l’Afrique du Sud, avec le soutien de 99 autres pays, surtout du Sud, ont proposé une dérogation à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui supprimerait temporairement les droits de monopole des pharmaceutiques sur les vaccins contre la COVID-19. En contrôlant la production, ces multinationales font obstacle à une production à plus grande échelle et à une distribution plus rapide.
Malheureusement, les pays riches, dont le Canada, se sont opposés à la dérogation, préférant protéger les bénéfices des pharmaceutiques plutôt que la santé de l’humanité. « L’opposition du Canada est tout simplement indéfendable. Elle contribue à aggraver les inégalités mondiales. Elle est aussi autodestructrice », a déploré Sangeeta Shashikant du Third World Network dans une lettre au premier ministre Trudeau.
Pfizer et Moderna engrangent des profits records grâce aux subventions pour la recherche, le développement des vaccins et la vente de doses. Pendant ce temps, les pays pauvres qui n’y ont pas accès se tournent vers la Banque mondiale et les banques privées afin d’emprunter les sommes nécessaires pour en acheter, s’enfonçant davantage dans l’endettement. La fausse logique du marché et les solutions à but lucratif poussent les gouvernements à agir au détriment des plus vulnérables.
Sans capacité publique de produire des médicaments et des vaccins, nous sommes tributaires d’entreprises à but lucratif pour assurer notre survie. C’est un jeu dangereux dont les règles sont truquées.
À court terme, il faudra changer ces règles et répondre aux appels des pays du Sud pour soutenir la dérogation de l’OMC. À long terme, il faudra changer complètement la donne et veiller à ce que les subventions soutiennent la production publique et l’accès aux médicaments et vaccins, en faisant passer la santé et l’intérêt publics avant le profit.