Tara Paterson | Employée du SCFP
Travaillant dans une bibliothèque, Max Hare n’avait pas vraiment fait son « coming out » à ses collègues quand, au début de 2020, le SCFP 4948 a négocié des dispositions inclusives pour les personnes trans dans sa convention collective. Hare est agenre (ne s’identifiant à aucun genre) et utilise le pronom iel. « Je ne cachais pas vraiment mon identité au travail, mais je n’en parlais pas non plus », dit-iel.
Ce n’est que lorsque qu’iel a changé de nom à la fin de 2020 que les gens ont commencé à poser des questions et qu’iel a senti pouvoir baisser la garde au travail. « Tout le monde était vraiment formidable et solidaire », explique Max Hare à propos de ses collègues de la petite succursale de la bibliothèque de Toronto où iel travaillait à l’époque. « À la sortie de la convention collective, c’était incroyable de voir toutes ces clauses inclusives. C’est tellement important pour les gens de voir leur personne et leur vécu respectés et évoqués dans la convention collective. Cela envoie un signal aux personnes trans et non binaires que nous comptons pour le syndicat. »
Deux ans plus tard, lorsqu’iel a eu besoin de s’absenter du travail pour une opération d’affirmation de genre, iel a obtenu un congé payé. Le SCFP 4948 avait négocié un congé pour soins d’affirmation de genre, une véritable bouée de sauvetage pour beaucoup de personnes bispirituelles, trans et non binaires qui y ont accès.
Lex Konnelly, un assistant d’enseignement trans masculin non binaire et membre du SCFP 3902, a déclaré qu’iel n’aurait pas pu se faire opérer sans congé payé. Iel a passé quatre ans sur une liste d’attente pour cette procédure. Lorsque son tour est enfin venu, iel a dû voyager de Toronto à Montréal, ce qui aurait été impossible sans s’absenter du travail.
En plus du congé, iel a bénéficié du « fonds pour personne trans » de sa section locale, qui a aidé à couvrir les dépenses supplémentaires. « Le problème avec les soins d’affirmation de genre, c’est que même si la procédure en soi est couverte, il y a plein d’autres dépenses qui s’ajoutent, comme les frais de déplacement. Sans financement, nous en avons rarement les moyens », souligne Lex Konnelly.
Thania Vega, membre non binaire du SCFP 3903, est d’accord. Sans le fonds pour personne trans de sa section locale, iel aurait une dette supplémentaire de 20 000 dollars.
Bien sûr, de nombreuses personnes bispirituelles, trans et non binaires n’ont pas recours à une opération. Mais pour celles qui le souhaitent, Lex Konnelly nous rappelle qu’il s’agit souvent de soins « vitaux ». Puis, iel ajoute : « Que cela soit reconnu dans notre convention collective, et de pouvoir obtenir le financement et prendre les congés dont nous avons besoin, c’est énorme. »
Bien que ces avantages soient offerts aux membres d’une poignée de sections locales qui les ont négociés, la grande majorité des gens n’ont toujours pas de congé de transition payé ni de financement pour les dépenses liées à la transition. Hailey Fielden, membre du personnel de soutien scolaire du SCFP 606 et siégeant à la vice-présidence à la diversité du SCFP-C.-B., fait partie de cette majorité.
Iel affirme avoir vécu « un cauchemar » l’an dernier pour trouver l’argent et obtenir des congés pour soi et pour son partenaire, qui n’est pas syndiqué et qui avait besoin de soins d’affirmation de genre, ainsi que pour prendre soin de lui. Des clauses de convention collective qui prévoient des fonds et des congés payés peuvent réduire considérablement le stress et les difficultés vécus par les personnes bispirituelles, trans et non binaires. En juillet, le SCFP a lancé un Guide de négociation pour favoriser la diversité de genre et l’inclusion des personnes trans afin d’aider les sections locales à se battre pour ce type de dispositions à la table de négociation.
Le guide présente des exemples d’articles de convention collective sur une foule de sujets, notamment le harcèlement, l’équité en matière d’emploi, les uniformes et codes vestimentaires non genrés, les prestations de santé, les installations non genrées, la terminologie inclusive et les congés pour soins d’affirmation de genre. Il présente aussi des ressources externes pour aider les équipes de négociation à s’informer sur la diversité de genre, ainsi qu’un glossaire pour aider les travailleuses et travailleurs à comprendre les termes qui pourraient être nouveaux pour eux.
Il se veut un outil pour toutes les sections locales, pas seulement pour celles qui ont déjà des membres bispirituels, trans ou non binaires qui s’affichent ouvertement. En fait, négocier l’inclusion de genre pourrait être ce qui permet aux membres de se sentir en sécurité pour faire leur « coming out » au travail ou dans leur syndicat.
La vice-présidente du SCFP 4948, Emma Lee, raconte qu’une fois ratifiée la convention collective qui comprenait des clauses de langage inclusif et un congé payé pour soins d’affirmation de genre, elle a reçu plusieurs remerciements de membres disant n’avoir jamais cru se sentir suffisamment en sécurité pour être eux-mêmes au travail. « Les membres m’ont écrit pour me dire tout ce que cela signifiait pour eux, qu’ils pouvaient enfin être à l’aise de s’afficher et que cela leur donnait envie de s’impliquer dans le syndicat. »
Pour elle, il est évident que même les sections locales qui ne croient pas compter de personnes trans parmi leurs membres devraient mettre ce type de protections en place dès maintenant. Attendre qu’une personne bispirituelle, trans ou non binaire s’affiche ou soit embauchée pourrait être trop tard. Les personnes de diverses identités de genre ne devraient pas être contraintes d’attendre la prochaine ronde de négociations pour régler des problèmes qu’elles ne devraient pas avoir à vivre dès le départ.
Même avec les avantages que procure la négociation, il est important de se rappeler que la négociation de clauses inclusives ne suffit pas pour garantir la sécurité et l’équité au travail pour les personnes de diverses identités de genre. Comme le dit Lex Konnelly, « la défense des personnes bispirituelles, trans et non binaires n’est pas seulement importante à la table de négociation et ce n’est pas quelque chose qui se termine à l’obtention d’un article de convention collective. » Iel souhaite que les travailleuses et travailleurs cisgenres (non trans) comprennent que la transphobie est si répandue « que nous avons besoin de cette solidarité tout le temps, tous les jours ».
En effet, selon les recherches du SCFP, de nombreuses personnes trans et non binaires sont fréquemment mégenrées et subissent d’autres formes de harcèlement de la part de collègues et de gestionnaires. Le harcèlement au travail est généralement encore plus grave pour les personnes trans et non binaires qui sont autochtones, noires, racisées, en situation de handicap et/ou des femmes. Négocier la meilleure convention collective ne suffira pas pour lutter efficacement contre la transphobie si l’on n’outille pas les travailleuses et travailleurs à s’y opposer au quotidien.
Max Hare, Hailey Fielden et Thania Vega soulignent à l’unanimité l’importance de l’éducation comme outil complémentaire à la négociation. Iels ont pu constater à quel point la formation dispensée par leurs sections locales a accru la sensibilisation et le respect dans leur milieu de travail et parmi leurs membres. Thania Vega a remarqué que l’impact est souvent plus puissant lorsque cela provient du syndicat. Et le SCFP pilotera cet automne un cours sur la création d’espaces plus sécuritaires pour les personnes bispirituelles, trans et non binaires.
Il est aussi important « de soutenir le leadership trans et d’entretenir un lien solide avec les membres trans au sein de la section locale », ajoute Lex Konnelly. D’autant plus que les enjeux auxquels les personnes bispirituelles, trans et non binaires pourraient être confrontées évolueront entre les cycles de négociation. « Et de ne pas traiter ces enjeux comme périphériques », insiste Thania Vega. « Ce sont des enjeux liés aux soins et à la santé. Il s’agit de bâtir une culture qui comprend que les gens vivent des choses qui ont un impact sur leur vie. »
Lorsqu’on leur demande quels sont leurs conseils pour les sections locales qui souhaitent négocier des articles de convention collective trans-inclusifs, les membres avec qui nous avons parlé ont la même réponse : « Juste faites-le ! » N’attendez pas. Contactez les sections locales qui ont déjà entamé le processus. Faites vos recherches. Le Guide de négociation est un excellent point de départ.
Téléchargez le Guide de négociation pour favoriser la diversité de genre et l’inclusion des personnes trans du SCFP.